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Ecriveuse en herbe
19 février 2008

Les Techs, chapitre 5, première version (suite)

3, 4 et 5

Thune fait visiter son royaume à 5 qu’il parait avoir adoptée. Pas une seule fois il ne jette un regard en arrière pour vérifier que 3 et 4 les suivent, et ils suivent mieux que s’ils étaient attachés par une laisse. Il parait faire son exposé uniquement pour 5 mais il sait très bien que les deux autres n’en perdent pas une miette, ainsi que ses troupes toujours en adoration :

« Tu sais, Vicky, pourquoi il n’y a presque que des enfants dans ma bande ? Parce que tous les autres baissent les bras. On leur a dit, non vous vous sortez pas, et au lieu de se mettre en colère ils se sont mit à chercher comment s’occuper en restant enfermés. De toute façon ils ont pas cherchés bien loin. Moi j’habitais  déjà là avant qu’il y ait le mur et je peux te dire qu’il y en a plein qui étaient jamais sortis d’ici. Ils ont continué tout comme avant : la drogue, l’alcool, le sexe, les guerres de gangs. Mais c’est devenu de pire en pire. Et le pire de tout c’est la dixe. Tu sais ce que c’est la dixe, ma jolie ?

_ Non.

Derrière eux, 3 et 4 envoient à 5 des messages pour lui dire de se méfier. Malgré sa grammaire bancale et sa mine piteuse l’homme est un orateur de premier ordre, à la voix envoûtante, et la fillette ne parait pas percevoir le danger.

_ La dixe, souffle-t-il, c’est la pire maladie de chiotte que t’ai jamais rencontrée. Une came qui rend accro tout de suite et te bouffe de l’intérieur. Tu vois ces pauvres déchets ? (il fait un grand geste qui désigne les trois hommes malades peinant devant les ordinateurs). Tous ils sont camés à la dixe et ils sont sevrés. Mais ils ont encore mal. Les touche pas, c’est contagieux. Après tout ce qui peut t’enlever la douleur, c’est la dixe. Tu as pas de dixe chez toi, petite poupée ?

_ J’ai pas de chez moi.

Indignée, 3 tente de lui envoyer une secousse mentale pour avoir osé dire une chose pareille. Mais 5 a bien récupéré et la repousse négligemment. Ils quittent la salle et traversent une enfilade de pièces taguées et décrépites mais plutôt propres en comparaison du dépotoir des immeubles précédant. Partout des enfants, les uns en train de charger des caisses, les autres de distribuer ou de réparer leurs armes. Certains sont plongés dans une sorte de transe et écoutés avec adoration par les autres. La petite escorte de Thune change, quelques enfants s’en vont et d’autres les remplacent, gardant sans se concerter un nombre constant de protecteurs autour de l’homme.

_ Mes enfants non plus n’ont pas de chez moi. Parce que leurs parents sont des gosses aussi et qu’ils sont complètement pourris, ils peuvent pas s’en occuper. Ils ont la dixe ou ils se battent. Pas moyen d’en tirer quelque chose ! Alors Thune est là et s’occupe des enfants. Je les protège de la rue, ils m’obéissent et ils se feraient couper la main plutôt que de toucher à la dixe ! Et bientôt on va tous se barrer d’ici.

On devrait les aider à partir dit 5 à 3 et 4.

Certainement pas ! répond fermement 3, plus que jamais partisane de l’ordre établi. Ce sont des criminels, ils n’ont pas le droit de sortir et c’est pour une bonne raison. On ne va rien faire d’illégal, c’est clair ?

Ce sont des enfants ! C’est pas de leur faute si ils sont nés ici ! Ils sont prisonniers, comme nous au laboratoire !

ON ETAIT PAS PRISONNIERS C’ETAIT NOTRE MAISON !!! hurle mentalement 3 de toutes ses forces.

4 reste prudemment à l’écart de la dispute. Tout ce qu’il espère, c’est de ne pas avoir à prendre une décision pareille. Et de pouvoir partir d’ici, bien sûr.

Avec une habilité diabolique, Thune a deviné que 5 lui est beaucoup moins hostile que 3 et déploie tout son charme pour la rallier à son camps. C’est un homme prudent qui ne rejette jamais une possibilité tant qu’il n’est pas certain qu’elle ne servira pas. Si la douceur ne marche pas sur la fillette, il sera toujours temps d’employer la force. Il ne sait encore rien de l’histoire de ces trois enfants ni de quelle manière ils sont parvenus à entrer, mais il les veut à ses cotés. Toutefois même toute son habilité ne lui permet pas d’anticiper des enfants télépathes.

5 aurait pu repousser le cri de sa sœur d’une seule pensée. Elle n’en a rien fait. Au fond d’elle-même, elle espérait bien que 3 puisse lui prouver qu’elle se trompait. Mais 3 n’a rien d’autre à lui montrer que sa conviction, et elle a beau être aussi brûlante qu’un acte de foi, ce n’est pas une preuve pour 5 qui se sent abandonnée de adultes depuis trop longtemps. Dans un geste de fureur dérisoire elle se jette sur sa sœur pour la frapper.

Personne ne s’y attendait, pas même 5 qui est la première surprise d’être parvenue à placer son coup. Durant quelques secondes elle ne sait plus quoi faire, horrifiée d’avoir levée la main sur une de ses sœurs pour la première fois de sa vie. Quelques secondes qui suffisent à 3 pour riposter violemment, à la hauteur de la fureur qu’elle ressent elle aussi devant la trahison de sa petite sœur, qui ose accuser leurs pères de ne pas les avoir toujours choyés comme leurs enfants chéris. Très vite les deux petites filles roulent dans la poussière, sous les applaudissements et les encouragements des autres enfants qui les repoussent du pied quand elles s’éloignent trop du cercle qu’ils ont formé.

« Arrêtez ! » crie 4, parfaitement en vain. Son appel mental n’a pas plus de succès. Alors, puisqu’il faut que quelqu’un fasse quelque chose et qu’il ne voit personne d’autre de disposé à le faire, il prend le revolver à la ceinture de l’un des enfants, trop vite pour que l’autre ait le temps de réagir. Il frissonne en sentant le métal dans sa paume. Il a rarement tiré avec des armes non-tech et a toujours détesté ça – tout en le cachant à 5 qui se serait moquée de lui. Mais il se souvient très bien de comment on fait. Il fait feu sur le plafond.

La détonation assourdissante prend tout le monde par surprise et arrête le combat. A leurs esprits redevenus calmes 4 lance Ce n’est pas le moment de se conduire comme des humains. On s’en fiche de qui a raison, on s’aime et on ne se bat pas. C’est tout. A ses yeux, c’est aussi simple que ça. Et les deux filles ont beau chercher les raisons de leur geste, aucune ne tient devant la simplicité de cette évidence. Il rend l’arme à son propriétaire et leur tend ses deux mains pour les aider à se relever. Honteuses, les deux petites évitent de se regarder. Tant qu’il les tient, 4 en profite pour leur souffler de faire la paix un peu mieux que ça. Les plus grands doivent s’occuper des plus petits et les plus petits obéissent aux plus grands. C’est comme ça que ça marche.

3 acquiesce immédiatement à ce rappel des règles du Laboratoire. 5 se fait davantage prier. Un temps que Thune met à profit pour reprendre les choses en mains. Un haussement de sourcils suffit à ce qu’on emmène l’enfant qui a prêté son arme à 4 – les Techs ne sauront jamais ce qu’il est devenu. Une main protectrice sur l’épaule de 5 suffit à ce que la fillette se range à son coté, séparée de son frère et de sa sœur. Une simple position dans l’espace. Ça ne veut rien dire. Mais la rupture parait irrémédiable.

« Les enfants, dit Thune en souriant de toutes ses dents gâtées, faites attention à ce que miss Nora n’embête pas notre amie Vicky, d’accord ?

Immédiatement les armes s’abaissent et les bras se tendent pour faire reculer 3 qui les foudroie tous du regard mais se laisse faire. 4 reste entre ses deux sœurs, indécis, ne sachant pas laquelle rejoindre.

_ Si on vous aide à partir, marmonne 5 sans oser regarde 3, qu’est-ce qui va se passer ?

_ On sera libre, ma chérie ! Et tu seras très récompensée, je te promet !

_ Oui, mais… vous êtes des méchants ou pas ?

_ Ne l’écoute pas, dit 3 d’une voix glacée, c’est un menteur.

Thune s’est mis à genoux pour avoir le visage à la hauteur de celui de 5 qu’il regarde dans les yeux. Il a réussi à échanger son regard de tueur contre le désespoir le plus sincère.

_ Est-ce que je vous ai fait du mal ?

_ Mais… commence 5 qu’il interrompt aussitôt :

_ Depuis que vous êtes entrés dans le Ghetto, est-ce que ce je vous ai frappé ? Je vous ai obligés à me suivre ? Je vous ai forcé à m’ouvrir ?

_ Bah, non, mais…

_ NON ! crie Thune en se relevant d’un bond. Non, je ne fais pas le mal ! Et tu sais pourquoi ? Suis-moi ! »

Attrapant 5 par la main, il l’entraîne encore un peu plus loin. 4 hésite quelques seconde et leur emboîte le pas, après un dernier regard désespéré à 3 qui reste immobilisée par la vigilante garde de Thune. L’homme court si vite que la fillette a du mal à le suivre. Ce n’est cependant pas long avant qu’ils ne pénètrent, par la cave, dans une immense église.

« Prophète ? appelle Thune. J’ai des nouveaux enfants qui veulent te poser une question ! Prophète, viens donc voir !

Prophète, c’est un mot dont ni 4 ni 5 ne connaissent la signification. Ils regardent autour d’eux, très intrigués par le lieu. L’église n’est à leurs yeux qu’un bâtiment en pierre d’une forme particulière, dont les grands espaces rappellent le manoir de l’acteur Josh Mallone. Toutes les fenêtres ont été bouchées par des planches et des matelas et l’immense porte en bois a été barricadée par un empilement de bancs en béton. La lumière faible n’éclaire pas jusqu’au sommet des immenses voûtes : quelques objets sont éclairés par des lampes, le reste de la pénombre est à peine troublé par des milliers de bougies surveillées par deux jeunes adolescents portant une capuche noire leur cachant le visage. Cette capuche et leur air grave et solennel tranche avec leurs tenues fluo et les fusils qu’ils portent négligemment sur l’épaule. Même dans l’église du Prophète, l’élite de combattants de Thune assure la sécurité du saint homme.

Les objets brillements éclairés n’évoquent rien aux deux Techs et il est probable qu’ils n’auraient rien évoqué de bien religieux à quelqu’un de l’extérieur. Au centre d’une longue estrade, à la place d’honneur, un squelette en plastique est dressé, une faux à la main, portant une robe noire de femme et une capuche noire cachant en partie son crâne blanc. Plus loin, un poisson de pierre bleue gros comme une tête d’homme est perché en équilibre instable sur un club de golf fixé à un pied en ciment. De l’autre coté, un manteau vert est posé sur une armature de fil de fers qui suggèrent qu’il contient une personne invisible. Au-dessus du col, des fils de pêche tiennent deux énormes émeraudes comme deux yeux flamboyants. Les trois objets sont dominés par un énorme soleil souriant peint en doré. A leurs pieds, une cuvette contient un liquide marronâtre d’aspect répugnant.

Un homme est à genoux, les bras en croix, le visage tourné vers le soleil géant. Lorsque Thune l’appelle pour la troisième fois, laissant à présent un soupçon de menace filtrer de sa voix, l’homme se relève en maugréant. Il est colossale mais son jeune âge et son sourire sympathique l’empêchent d’être effrayant.

« Soyez les bienvenus, mes enfants. Que puis-je pour vous ?

_ Raconte ce que les Dieux t’ont dit, dit Thune en souriant comme un chat et en malaxant l’épaule de 5. Raconte bien comme il faut. Je veux que mes nouveaux amis soient mes amis et qu’ils m’aiment comme tous mes enfants.

_ Comme il te plaira, mon cher fidèle. Tu peux me les laisser et retourner à tes affaires que j’imagine comme toujours très importante pour notre communauté. Que la bénédiction de la Mère accompagne tes pas et que ton Soleil les illumine. »

Thune sourit à nouveau au Prophète et fait un signe à ses troupes. Trois des combattants les plus grands restent, les autres le suivent. Il dit au revoir très gentiment à 4 et à 5 avant de s’en aller. La petite fille demande à son frère tu crois que 3 va bien ?, une question qui n’évoque pas l’idée que Thune puisse faire du mal à sa sœur, seulement de la culpabilité. Elle se sent très mal au souvenir de sa rébellion et de leur dispute et surtout elle a peur de ce lieu et de cet homme qu’elle ne comprend pas. La présence de 3 la rassurerait bien plus que celle de 4. Le garçon ne lui répond que par une sensation : elle ferait mieux d’être attentive, c’est important ce qui va se jouer là. Il regrette de ne pas avoir pensé à dire à Thune qu’ils ont besoin d’être trois pour réussir à lui être utiles. Il ne croit pas que l’homme fasse quoi que ce soit à 3, mais il n’en est pas réellement sûr et l’angoisse lui brûle le ventre.

Le Prophète ignore leurs hésitations et s’installe par terre. Immédiatement les autres enfants l’imitent, prenant à peine le temps d’appuyer sur les épaules de 4 et de 5 pour leur dire de suivre le mouvement. Ils s’assoient à leur tour. Le Prophète leur adresse son plus éblouissant sourire et commence son histoire. Sa voix est mélodieuse et bien rythmée. Il s’exprime bien mieux que les autres habitants du Ghetto et avec une poésie que les enfants n’ont jamais entendue à l’extérieur. Sa foi est différente des revendications criardes des utopistes du 10 Johnson Street, elle résonne comme la plus évidente des vérités. Malgré leur éducation strictement cartésienne, cette première rencontre avec une religion bouleverse les deux Techs.

Car cette religion – révélée par des visions au Prophète qui a abandonné sa vie confortable au-dehors pour porter la bonne parole dans le Ghetto – a beau ne pas être classique et ne pas avoir peur des paradoxes, elle offre des Réponses et des Solutions. Elle parle de Dieux bienveillants et d’Esprits protecteurs. De Pardon et de Vie après la mort. Elle sépare le monde entre le Bien et le Mal, entre les Gentils et les Méchants, aussi clairement que l’univers des anciens super-héros. C’est un baume capable d’apaiser toutes les blessures de ce monde trop complexe et de leurs responsabilités trop lourdes pour leurs jeunes épaules.

En même temps, remarque 4, ce sont tout de même des histoires. C’est bien joli de dire que chacun porte un Soleil intérieur directement relié au soleil réel, que la Mère du monde et la Mort sont une seule et même personne, que les esprits dévient les balles qui menacent les vrais croyants et que le poisson en pierre a volé jusqu’au club de golf, mais ça ne parait pas très réel. Tout ça a l’air très bien et le Prophète sait le raconter comme un magnifique témoignage. Sauf que l’enfant s’y connait un peu en astronomie et qu’il sait bien que l’astre du jour n’est pas une boule de cristal brillant de mille feux et abritant des esprits. Il l’a observé par des télescopes techs, autant dire qu’il en est aussi certain que s’il l’avait vu de ses propres yeux. Et Mars n’est pas une tache de sang, ça il en est certain aussi. Le reste de l’histoire est plus délicat à trancher, à son avis. Il a du mal à y croire sans pour autant être certain que ce soit impossible. Après tout, l’existence des Techs elle-même est impossible.

5 ne se pose pas autant de questions. C’est justement parce que ça parait impossible qu’il faut y croire, et elle y croit comme si elle avait attendu toute sa vie qu’on lui donne enfin des réponses, des vraies, des éternelles. Pas des théories bonnes à jeter quand on a trouvé d’autres théories. Le monde est bien meilleur s’il est stable et compréhensible. S’il y a quelqu’un qui s’occupe de tout, quelqu’un qui soit plus fiable et plus fort que les adultes.

Quelqu’un qui pourrait lui pardonner pour le soldat mort.

D’après le Prophète ce soldat est actuellement un esprit malveillant pour elle, mais il est contrebalancé par des esprits bienveillants puisqu’elle a tenté de faire le bien autour d’elle. Donc au final tout s’équilibre et elle n’a pas à s’en soucier. Elle n’a plus qu’à rendre encore quelques services histoire d’ajouter quelques points à son karma et tout devrait bien se passer, pour elle et pour les autres Techs.

Libérer Thune et ses enfants soldats est donc une bonne action, puisqu’ils sont tous gentils et du coté du Bien, et un geste utile qui devrait rapporter beaucoup de chance aux Techs, ce dont ils ont particulièrement besoin en ce moment. 5 envoi cette idée si simple à 4 et a du mal à comprendre les réticences de son frère. Pour le garçon ce n’est plus important de décider ce qui est juste ou pas. Ce genre de décision est du ressort des adultes et il le leur laisserait avec un réel plaisir. Tout ce qu’il veut c’est fuir de cet horrible endroit où les enfants portent des mitraillettes et où on peut devenir toxicomane en touchant une personne contaminée. Les récits du Prophète l’ont fasciné sur le moment mais à présent il ne leur trouve pas plus de réalité que les vieilles bandes dessinées. Ce serait chouette si c’était vrai. Mais ce n’est pas sûr que c’est vrai. Alors que l’horreur des murs du Ghetto est bien réelle. Et que les yeux de tueur de Thune sont bien réels aussi.

On s’en va ! supplie presque 4. Ce n’est pas un caprice mais un besoin aussi irrépressible qu’un besoin d’oxygène. Un besoin si terrible qu’il va jusqu’à l’impensable. 4 est prêt à partir seul s’il le faut. Seul. L’idée heurte 5 aussi violemment que la gifle de 3 tout à l’heure. Elle se demande pourquoi tous ses frères et sœurs la déteste. Au moins, le Prophète a l’air gentil. Et Thune, même s’il n’en a pas l’air, a généreusement recueilli et protégé des enfants abandonnés. Elle préfère rester ici où il n’y a pas d’horrible manifestations anti-Tech ni de faux amis qui lui refuseraient le droit d’exister. Pour elle c’est évident qu’il faut rester. Elle cherche à convaincre son frère par leur lien tech, elle ligote l’angoisse qui voile son esprit comme un nuage et veut lui mettre directement dans le crâne l’évidence qui est sous ses yeux. 4 romps le contact et s’éloigne d’elle comme si elle avait tenté de le mordre. C’est pourtant bien pire ce que sa sœur a failli faire. On n’a pas le droit de modifier les esprits des autres. Même avec la meilleure intention du monde, même pour faire le bien. On peut lire leurs pensées, calmer leurs sentiments, leur transmettre des informations. Mais pas modifier leur esprit. C’est le plus évident des tabous, celui qu’ils n’ont jamais appris et jamais remis en question.

Je veux partir d’ici ! lance une dernière fois 4 comme un défi. Puis il ferme complètement l’accès à son esprit – et 5 se rend compte que le moment serait vraiment mal choisi pour forcer le passage.

1 et 7

L’inconvénient des plans reposant essentiellement sur l’improvisation, c’est qu’il est difficile de ne pas avoir de doutes à leur sujet. Une fois arrivé à New York 1 a réussi sans mal à renouer le contact avec M. Edmund, ou plutôt avec son bureau caché dans le camp militaire – le jeune homme se doute bien que cet homme n’est pas resté dans sa cachette une fois qu’elle a été découverte, mais il a laissé sur place les moyens de le joindre. Le Tech a obtenu un rendez-vous en chair et en os dans un parc où il devrait y avoir trop de monde pour une tentative d’assassinat. Malgré cette assurance il est hors de question de laisser 7 venir. Et d’après 2, il est tout aussi hors de question de la confier au gouvernement – c’est déjà suffisamment difficile pour la jeune fille de veiller sur 6. Le petit garçon est pourtant partiellement protégé par son image de symbole d’un futur radieux et super-technologique de l’humanité, mais il reste un prisonnier aux talents utiles et personne ne se soucie de ce qu’il désire. Pas question de voir la même chose arriver à la petite fille. Elle est trop fragile.

Mais à qui peut-on confier un enfant quand on veut être sûr qu’il ne lui arrivera rien ?

A l’école privée du Soleil Vert, par exemple. Rien à voir avec le foyer des fugueurs : ici c’est une école pour les gens qui offrent le meilleur à leurs enfants mais n’ont pas le temps de s’en occuper. Elle est parrainée par le président de l’Alliance lui-même et dispose de moyens phénoménaux utilisés dans la pédagogie dernier cri. Forger une nouvelle identité à la fillette ne prend que quelques instants. La convaincre est par contre nettement plus dur, à tel point que 1 finit par renoncer et à l’emmener encore hurlante et en larmes. Pour finir il utilise un argument lâche mais efficace : si elle ne se conduit pas comme une gentille petite humaine, elle mettra tous les Techs en danger. Elle ne crie plus mais de grosses gouttes continuent à couler sur ses joues. Ensembles ils entrent dans l’immense hall du non moins immense immeuble abritant l’école, un imposant espace recouvert de marbre qui rappelle une banque. 1 sent le Réseau parcourir les lieux et dit à 7 : tu vois, on restera en contact, et 2 s’occupera de toi aussi.

Et le pont ? demande la petite fille de tout son désespoir.

Ne t’en fait pas pour le pont. 1 a bien d’autres sujets de préoccupation mais il sait qu’il reviendra mentalement vérifier que la chose inconnue ne rôde pas à nouveau auprès de sa sœur. Les autres aussi se relayeront s’il le faut et ils veilleront tous sur ses cauchemars. Si seulement il parvenait à retrouver la trace de 3, 4 et 5 ! Maintenant leur silence devient vraiment inquiétant. Il faudra qu’il en parle à M. Edmund…

Le jeune homme est encore plongé dans ses pensées quand une femme vient lui demander s’il a rendez-vous. Il sursaute et bafouille qu’il accompagne la nouvelle pensionnaire. La femme est jeune et jolie, elle porte des talons aiguilles et un maquillage parfait, et ne correspond absolument pas à l’image de 1 se fait d’une éducatrice. Elle ne jette pas le moindre regard à 7 mais offre son plus beau sourire à son frère avant d’ouvrir son agenda tech et de demander :

« C’est à quel nom ?

_ Juliette Lester.

_ Oh, oui, je vois… son inscription a été acceptée, ses tests sont excellents, les frais ont tous été payés, les dossiers sont remplis, vous n’avez plus qu’à signer ce papier comme quoi vous nous l’avez remise, et ce sera tout !

_ Euh… je ne peux pas l’installer ?

_ Je regrette mais les parents ne sont pas autorisés à visiter nos installations. Si vous êtes inquiets je peux vous prendre un rendez-vous avec la directrice.

_ Mais, les gens qui vont s’occuper d’elle, je pourrais les voir ?

_ Bien entendu, lors de la rencontre parents-éducateurs qui a lieu deux fois par an.

_ Pas tout de suite ?

_ Mais enfin pourquoi faire ? demande la secrétaire surprise. Notre école est la plus réputée du pays ! »

1 hésite. Il regarde 7 qui tente de pleurer le plus silencieusement possible. Puis ils font demi-tour.

Que ce soit bien clair, tempête 1, tu ne viens pas avec moi, je vais juste te confier à des gens mieux.

La petite fille ne répond rien et profite de son sursis. 1 replonge dans l’or du Réseau et se remet en chasse d’une personne capable de garder des enfants. Evidemment il est difficile de juger puisque seule l’opinion des adultes figure sur le Réseau, et il est plus difficile encore de trier ces milliers de propositions…

Mais dans la pieuvre un message de 2 l’attend : j’ai trouvé. La jeune fille a fait le tri d’une manière plus simple : elle a fouillé dans les données personnelles des agents du B.A.G.N. Beaucoup d’entre eux confient leurs enfants pour la semaine à une ‘deuxième maison’, des nourrices à plein temps. Par contre, pas de dossiers Techs à fabriquer : 1 va devoir improviser pour convaincre cette Breda Johns. Tout ce qu’il aime. Au moins il lui reste du temps avant son rendez-vous…

C’est un garçon d’environ trois ans qui leur ouvre la porte, immédiatement rattrapé par une adolescente affolée qui le prend dans ses bras pour le ramener à l’intérieur. 1 rattrape la porte juste à temps pour l’empêcher de se refermer sur eux. Ce n’est qu’à ce moment-là que la jeune fille parait s’apercevoir de son existence.

« Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-elle anxieusement.

_ Heu… bonjour, je voudrais inscrire ma petite sœur… c’est bien une nourrice ici ?

Elle jette un coup d’œil craintif à 7 et leur fait signe d’entrer avant de claquer la porte derrière eux et de fermer les verrous à double tour. Après quoi elle coure vers l’intérieur de l’appartement, l’enfant toujours dans les bras. 1 hésite entre la suivre ou tenter une autre adresse quand un autre enfant sort la tête d’une des chambres. Il a une dizaine d’année mais a l’air plus vieux, sans que 1 n’arrive à trouver ce qui donne cette impression. Le Tech bafouille :

_ Heu je… j’ai… c’est bien ici chez Breda Johns ? Je croyais… on m’a dit que…

_ Ouais, c’est ici. Fait pas gaffe à Cally, elle est cinglée. On est tous cinglés ici. Et la mère Johns c’est la pire de tout le lot. Mais on s’habitue au bout d’un moment. Venez.

L’enfant repart sans regarder en arrière. Machinalement 1 et 7 lui emboîtent le pas. La petite fille est trop surprise pour continuer à pleurer, ce qui est déjà un progrès. Ils entrent dans un salon où une grande femme tente de convaincre Cally de lâcher le petit garçon.

Elle a des arguments plutôt simples : si l’adolescente n’obéit pas elle se fera un porte-jarretelle avec ses tripes.

Cally finit par ouvrir les bras. 1 fait demi-tour. Il se dit que sa sœur se moquait de lui en lui conseillant de venir ici. Ce n’est vraiment pas un endroit pour…

« Hé là, tonne une voix de femme dans son dos, vous allez où comme ça ?

_ Heu… hésite 1 en se retournant pour lui faire face. Vous êtes Breda Johns ?

_ Ouais. C’est le Bureau qui t’envoie ?

_ C’est lui qui m’a donné cette adresse, mais je crois que ça ne va pas aller…

_ C’est quoi son problème à la petite ? Pas de nom, hein, les noms c’est que des ennuis, mais en gros ce qui lui arrive.

_ Je… pourquoi vous pensez qu’elle a un problème ?

_ Sinon qu’est-ce qu’elle ferait ici ? C’est pas facile pour des gosses d’avoir des parents au Bureau. Avec les kidnappings, les représailles, tout ça… Mais c’est ma spécialité. Je les retape.

_ Alors pourquoi vous leur parlez comme ça ? Comment vous osez leur parler comme ça ?

_ Je sais ce que je fais. Cally c’est Cally. Les mots doux ça la fait flipper. Les injures ça la fait flipper. Y a que les menaces à la con qui la font sourire. Elle s’améliore. Avant elle vous aurait jamais laissé entrer. Et la chtiote ? C’est quoi son truc ?

_ Elle… commence 1.

Le Tech ne va pas plus loin. Mme Johns l’ignore pour se pencher vers 7 et s’adresse directement à la fillette :

_ Salut ma belle. Ça va ?

_ …

_ Tu sais pourquoi on t’a amenée ici ?

Silencieusement 7 fait oui de la tête.

_ Bien. Et toi tu es d’accord avec ça ?

_ Non.

_ Pourquoi ?

La petite fille ne répond pas et lance à son frère un regard à fendre l’âme. D’en bas Mme Johns lui lance :

_ Je crois bien qu’il va falloir que vous répondiez pour elle.

_ Je dois faire quelque chose d’important mais c’est trop dangereux pour qu’elle reste avec moi.

_ Et tu n’as pas peur ? demande la femme à 7 qui secoue la tête avec énergie.

_ Si, soupire 1, elle a peur. Mais sa… maison a été attaquée, alors… Enfin elle a plus peur de perdre ceux qui lui restent que d’avoir un… problème, elle-même. Elle ne réalise pas.

_ Ils ne réalisent jamais à cet âge-là, dit Mme Johns en se relevant. Mais ils savent. Ne vous en faites pas, j’ai l’habitude de ce genre d’enfant, je prendrais bien soin d’elle.

_ Non, je ne suis pas sûr de…

_ Ecoute mon gars, tu ne seras jamais sûr. Je ne sais pas qui est cette gamine pour toi mais tu n’arriveras jamais à la laisser derrière toi la conscience tranquille. Alors laisse tomber. Il va bien falloir que tu te décides à un moment ou à un autre. Moi je t’oblige à rien.

_ Tu devrais écouter la mère Johns, intervient le plus grand garçon qui paraissait complètement absorbé par son jeu. J’ai usé six psy sans qu’ils arrivent à me tirer un mot avant que ma tante me mette ici. Elle aussi c’est une psy mais ça se voit pas. En plus elle est cool.

1 ne réponds rien. Il regarde rapidement comment sa petite sœur se sent ici. Elle refuse toujours de le laisser mais au moins elle n’est pas sur la défensive par rapport à l’endroit ni aux gens. Et il y a un accès au Réseau dans les chambres.

_ C’est bon, conclut-il. Je vais vous confier ma sœur. Elle s’appelle Juliette. »

2 et 6

« Bestie ? Betsie ? appelle inlassablement une voix dans le brouillard.

2 est dans le Réseau, en train de stocker dans la pieuvre les dernières informations qu’elle a récolté. Elle compte ensuite vérifier que tout va bien pour 7. Toutes ces opérations se sont déroulent presque instantanément mais elle est bien obligée de prendre le temps de réfléchir avant de se diriger dans le Réseau et son absence est assez visible. Eve Hindgame a l’impression qu’elle dort mais ni ses appels ni ses secousses n’ont le moindre effet sur la jeune fille. En désespoir de cause elle demande à 6 :

« Qu’est-ce qui se passe ? Elle a un problème ?

_ Non, répond tranquillement l’enfant.

_ Alors quoi ?

_ Elle est occupée.

_ Dans le Réseau ?

_ Oui.

_ Mais bon sang pourquoi elle ne m’entends pas ? Elle réagit toujours d’habitude !

_ Elle est très occupée.

Le petit garçon adresse à la RP son sourire le plus paisible et comme à chaque fois elle doit réprimer sa fureur en le voyant. Elle sait ce que ce sourire veut dire. Il veut dire « moi je sais quoi faire et toi qui te prend pour la chef tu patauge complètement ». Mais Eve a bâti sa carrière sur la manipulation politique et elle comment faire dans ce genre de situation. Elle doit simplement admettre qu’elle n’a pas en face d’elle un extraterrestre ni un adulte miniature mais tout simplement Steven. Et que même si elle ne sait absolument pas parler aux enfants, elle sait lui parler à lui.

_ S’il te plait, lui demande-t-elle, va la chercher et dis-lui que j’ai besoin de lui parler assez vite.

_ D’accord, répond l’enfant qui se lève et prend la main de sa sœur.

Le contact dure moins d’une seconde mais il est suffisant. La jeune fille ouvre les yeux et se redresse. Son regard glisse sur Hindgame comme si la femme en face d’elle n’existait pas et c’est au mur que 2 adresse un morne : « Bonjour. »

Ce qui n’empêche pas l’attachée de presse de lui décocher un sourire éblouissant ni de lui adresser un salut enthousiaste. Puis, avant que Betsie ait le temps de soupirer ou de lui demander de quoi il s’agit, elle reprend l’attitude qui lui est habituelle avec la jeune fille : un mélange d’autorité, de professionnalisme et d’intérêt amical.

_ Tu sais pourquoi je suis là ? Je me suis dis que tu devais pas mal te morfondre depuis notre dernière discussion. C’est normal, ça t’a fait un choc, ça fait un choc à tout le monde mais étant donné tes responsabilités Tech et ton jeune âge je ne peux qu’imaginer à quel point ça dû être dur pour toi. Et le mieux ce serait que tu en parles.

Normalement un silence soigneusement calculé aurait dû suivre ces mots, mais Steven en profite pour demander :

_ De quoi vous avez parlé la dernière fois ?

Le silence qui suit n’a plus la même qualité. 6 guette la réaction de 2, 2 guette la réaction d’Hindgame, et Hindgame abasourdit regarde le petit garçon. Elle se maudit intérieurement de l’avoir encore négligé dans ses calculs. Evidemment, 2 n’a pas révélé l’existence des HR à son frère, elle trouve ça trop choquant pour quelqu’un de si jeune. Mais 6 n’est pas stupide et il a bien compris qu’il se passait quelque chose. Assez lâchement la femme répond :

_ Betsie t’expliquera plus tard, d’accord ? Ecoute, j’aimerai te présenter quelqu’un. Je pense que cette personne t’aidera beaucoup à y voir plus clair sur ce que tu veux faire et la place que vous voulez obtenir.

_ Qui ça ?

_ Nora Milley. »

Elle existe pour de vrai ? demande 6 à sa sœur. Qui lui renvoie un je crois que oui rageur. Elle est jalouse de la fille du professeur Milley depuis qu’elle a appris son existence, et voilà qu’en prime Hindgame la lui impose pour lui donner des leçons. Non mais pour qui elle se prend ?

Elle doit être triste à cause de son père. Tu crois qu’elle pense que c’est de notre faute ? demande 6. Sa sœur est bien obligée de s’avouer que cette idée ne lui a jamais effleurée l’esprit. Après tous, eux les Techs n’ont rien fait de mal. Ils ont obéit sagement à tout ce qu’on leur a dit de faire. Pourquoi est-ce qu’on les croirait coupable de quoi que ce soit ?

Et toi, tu penses que c’est de notre faute ?

Ben oui. Sans nous, personne ne serait venu sur l’île, il n’y aurait pas eu de laboratoire, et personne n’aurait embêté les professeurs.

Ce sont les professeurs qui ont décidé de nous créer et d’installer le laboratoire sur l’île. Il y a des méchants qui les ont attaqués, mais c’est une histoire entre les professeurs et leurs ennemis. Peut-être qu’il y a d’autres gens qui comptent, comme ce M. Edmund. Mais nous, on n’y est pour rien. On n’a rien demandé à personne. Personne ne croit que c’est de notre faute.

On peut cacher certaines choses dans le Réseau. Mais on ne peut pas mentir. 6 est convaincu. Quand à 2, elle se demande pourquoi elle ne s’est aperçue de rien. Son petit frère est encore bouleversé par l’attaque du laboratoire et la disparition des professeurs mais elle n’a pas cherché à lui en parler. Elle lui a demandé de s’occuper de lui-même, comme un grand, pour qu’elle ait les mains libres et parvienne à espionner et calculer. Il l’a fait. En lui cachant sa souffrance.

Ça fait longtemps que 2 ne pleure plus les professeurs. Combien de temps exactement ? Elle ne sait plus.

Elle se lève brusquement et dit à Eve :

« Si Steven vient avec moi, j’accepte de la rencontrer. »

3, 4 et 5

Thune sourit et 4 a peur. Quand il était plus petit il se riait des histoires d’ogres et autres bains de sang. A présent qu’il est face à un véritable ogre, il se fait tout petit et laisse parler 5. Elle parle avec fougue et enthousiasme de sa toute nouvelle conversion et 4 ne dit rien, pourtant c’est sur le garçon que Thune a braqué son terrible regard. Et son non moins terrible sourire aux dents gâtées.

5 lui demande le droit pour les trois Techs de discuter ensemble. Et elle promet d’ouvrir les portes. Elle ne demande pas à 4 ce qu’il en pense et l’enfant ne dit rien, ni oralement ni mentalement. Pour la première fois de leur vie il y a un véritable fossé entre eux, une incompréhension mutuelle qui les déchire et qu’ils ne savent pas comment réparer. Ils n’osent plus entrer en contact tech. Ils n’osent même plus se regarder. L’arrivée de 3 est la bienvenue – et ni l’un ni l’autre ne réalise que leur sœur vient de passer un atroce moment seule et à la merci d’inconnus effrayants. Comme d’habitude, que ce soit dans l’apparence qu’elle présente sur le Réseau ou dans son attitude corporelle, la jeune fille est calme et imperturbable.

Rapidement ils lui envoient les souvenirs des récits du Prophète. 3 réfléchit quelques minutes à la situation avant d’accepter la communication tech. Elle se prend alors la conviction de 5 et la terreur de 4 en pleine tête.

Stop, laissez-moi la place de penser ! Les deux autres tentent de brider l’expression de leurs émotions et de lui ménager un espace au calme pour qu’elle puisse s’exprimer. 3 n’a jamais été à l’aise dans le Réseau mais c’est bien la première fois qu’elle a besoin d’autant d’attention. Ils ne réalisent pas que c’est parce qu’elle est épuisée. Il faut qu’on décide tous ensembles, déclare 3. 4 et 5 hésitent puis se lancent. Ils ont peur de découvrir chez l’autre quelque chose qu’ils n’aimeraient pas y voir… mais c’est le seul moyen de se mettre vraiment d’accord. Mettre ensemble tout ce qu’ils ont, tout ce qu’ils sont, et s’unir sans se modifier, pour trouver un compromis qui soit parfaitement en équilibre entre les désirs de tous. Mieux qu’un compromis, une solution.

Si le reste du monde veut bien les laisser faire, bien sûr…

« Alors on fait comme ça, expose 5 avec aplomb à Thune. Vous, vous avez besoin de temps pour que tout soit prêt et que vous vous fassiez pas emmerder par les autres bandes. Mon frère, là, il veut sortir tout de suite. Alors on y va, on lui ouvre, comme ça vous voyez bien que ça marche, et puis quand vous êtes prêts on vous ouvre à vous, et voilà ! Nora elle reste avec moi comme ça elle est sûre que vous me faites pas de mal. Et tout le monde est content.

Thune en tous cas à l’air content. Si on se fit à son sourire. Mais montrer les dents n’est pas une preuve de contentement, pas pour quelqu’un qui a des yeux de tueur. Les Techs attendent son verdict, 5 est optimiste, 4 terrifié et 3 folle d’angoisse – mais trop fière pour le montrer. Le sourire s’élargit.

_ Tu sais, ma toute belle, il y a bien longtemps Prophète il a déclaré qu’une fée-esprit allait venir et nous ouvrir la porte. Il savait que tu allais venir ! Bien sûr nous on va obéir à l’enfant de la prophétie ! Viens ! Et le garçon aussi ! Non, les enfants, elle, elle reste là.

Thune désigne du doigt 3. Immédiatement cinq combattants l’encerclent et la maintiennent en place, mais cette fois elle est bien décidée à ne pas se laisser faire et frappe pour se dégager. Elle n’a jamais été excellente en corps à corps mais elle a réussit à battre deux adultes armés, alors des gosses !

Mais les gosses du Ghetto sont bien meilleurs que les pseudo-soldats qui ont attaqué le laboratoire. 3 est rapidement pliée en deux d’un coup de poing puis assommée par un tuyau de plomb servant de matraque. 4 et 5 ont été entraînés trop vite par le mouvement et n’ont rien vus, leur sœur est trop loin pour que son message de détresse tech leur soit parvenu.

Ils comprennent d’autant moins cette précipitation qu’on les fait ensuite attendre. Thune veut faire les choses en grand. Il veut rallier à lui tous les hésitants de la ville et les membres de son clan dont la foi vacille, il veut être nommé le grand chef de l’Armée du Ghetto lorsqu’elle s’élancera vers la ville maudite qui les a parqués comme des animaux. Et pour ça, rien de tel qu’un bon miracle. La proposition de la fillette lui évite de devoir trouver une excuse pour le lui faire exécuter sans fuir elle-même, ce qui est parfait. Maintenant il prépare soigneusement la cérémonie : il faut de la pompe, du panache, et bien sûr le Prophète en grande forme, de préférence ayant une vision (malgré toutes ses tentatives, Thune est toujours incapable de contrôler ces visions). Et il faut des spectateurs pacifiques et désarmés qui iront ensuite dans tout le Ghetto répandre la nouvelle : Thune a le pouvoir, Thune peut faire ouvrir ces putains de Portes !

Les spectateurs restent le plus difficile à réunir de la liste. Surtout pour un clan qui n’est pas si grand ni si fort que les enfants aimeraient le croire et qui a obtenu bien plus de victoires par la diplomatie et la ruse que par les armes.

Mais en matière de diplomatie et de ruse Thune est un maître. Il veut un public. Et il l’obtient.

Et si j’essaye de faire un caprice ? tente 5 (qui essaye surtout de se convaincre elle-même). Il ramènera 3, non ?

Non, répond 4. Mais il va être vraiment méchant. J’ai très peur.

Tu vas sortir, ne t’inquiète pas.

Je reviendrai ! Je ramènerai l’armée ou le B.A.G.N. ou n’importe qui mais je reviendrai vous sauver !

Mais il ne va pas vraiment faire du mal à 3 ! Ni à moi ! On est ses faiseurs de miracle !

3 voulait qu’on lui fasse croire qu’on a besoin d’être tous ensemble pour ouvrir les portes, si tu fais ça pour vous deux, il fera plus attention !

5 doit bien admettre que c’est une idée de génie, et elle compte bien l’utiliser sur Thune dès qu’il croisera sa route. Pour le moment les deux Techs se font habiller et laver par des enfants qui n’ont jamais entendu parler de douceur et n’ont qu’une idée très approximative de ce qu’est l’hygiène. On leur enfile des survêtements en tissu non-tech, doré pour 5, argenté pour 4, au-dessus duquel ils portent tous les deux la traditionnelle capuche noire. Puis on les tire dans le labyrinthe sans leur expliquer ce qui va leur arriver. Ils commencent à avoir l’habitude de ces manières, sans que ça les rassure sur le sort de 3. On les sépare. 5 se retrouve dans une pièce assez haute et à demi écroulée qui forme une espèce de terrasse surplombant la porte. Le Prophète, Thune et une bonne dizaine d’inconnus – enfants et adultes – sont là. En bas, un grand demi-cercle a été tracé et maintenu en place par les enfants à capuche noire, mitrailleur au bras. A l’extérieur, la foule se presse avidement. A l’intérieur, il n’y a personne. A part 4.

Il a été jeté là comme dans une arène et panique complètement. Il est seul, atrocement seul, plus le moindre contact tech, plus de présence rassurante à ses cotés : les autres Techs pourraient aussi bien être morts, pour ce qu’il en sait. Comment les humains peuvent-ils supporter ça ?

« Princesse-Esprit, demande timidement le Prophète, êtes-vous prête ?

Prête ? se demande 5. Cet homme parle peut-être avec les Esprits mais il ne comprend vraiment rien. D’ici, elle ne peut rien faire. C’est 4 et lui seul qui ouvrira la porte. Elle ignore royalement les autres personnes présentes, va jusqu’à l’extrême limite du sol de béton et crie :

_ 4 ! Ecoute-moi ! N’ai pas peur, je vais demander qu’ils amènent 3 !

L’attention de 4 se braque sur sa sœur. Ouf, elle est là, elle est toujours là, tout va bien, enfin non tout va mal, mais elle est vivante, donc l’essentiel va bien…

Thune ne commet pas l’erreur de protester devant ce manquement à l’étiquette : devant ces gens qu’il veut convaincre, il fait son maximum pour que tout ai l’air calculé dès le départ. Ses enfants à lui arrivent toujours aussi bien à deviner ses désirs, ce qui en jette toujours : il n’a qu’à claquer des doigts pour qu’on emmène l’antique télévision connectée à une caméra dans la pièce où 3 est gardée.

Quelqu’un hors du cadre demande à la Tech : « Dis que c’est bon et qu’ils ouvrent la porte.

3 lui jette un regard furieux puis regarde droit vers l’objectif et dis :

_ Il faut que tu laisse partir Neil tout de suite. Essaye de partir aus-. »

La transmission est brutalement coupée mais elle suffit à rassurer 5 : sa sœur va bien. La fillette se penche à nouveau vers la foule et hurle :

_ 3 va bien ! Je l’ai vue, elle va bien ! Vas-y ! »

4 montre d’un signe de tête qu’il a compris et plaque sa main contre la porte. Dans l’assistance le silence est parfait – personne ne doit ne serait-ce qu’oser respirer. Il trouve facilement l’accès au Réseau – et il aimerait plonger dedans jusqu’à retrouver ses frères et sœurs, ne plus être coupé d’eux tous, mais ce n’est pas ce qu’il doit faire maintenant – et il ouvre les portes. Très vite il se glisse à l’intérieur et les referme immédiatement. Ce mince interstice suffit pourtant à plonger les spectateurs dans le délire le plus complet. Tous ils franchissent le cordon et se précipitent sur les portes qu’ils tentent d’écarter à la main, à coups de pieds ou de poings, à coup de revolver. Les cris de frustration s’accumulent, les blessés aussi. Même certains enfants à capuche noire se lancent dans la mêlée – difficile de dire si c’est pour ramener la foule au calme ou pour tenter leur chance eux aussi.

Thune prend un mégaphone et lance :

« VOUS VOYEZ ! LE PROPHETE IL L’AVAIT PREDIT ET MOI JE L’AI REALISE ! LA VERITABLE PRINCESSE-ESPRIT EST AVEC NOUS ! C’EST MOI ET QUE MOI SEUL QUI PEUT OUVRIR CES PORTES ! SUIVEZ-MOI !

Intriguée, 5 lui demande :

_ Quoi, il faut les ouvrir maintenant ?

_ Non, répond Thune hors micro. Toi tu bouges pas. IL FAUT SUIVRE THUNE ET LE PROPHETE ! ON SAIT OUVRIR LES PORTES !

Il continue quelques minutes ainsi à graver le message dans tous les esprits assez réceptifs pour l’entendre, parfaitement indifférent au combat qui règne en bas. Ses combattants ont été les premiers à arrêter de se battre. D’autres ont suivi. Les enragés au dernier degré sont morts. Peu à peu le calme revient. Tous les visages sont levés vers la terrasse et de toutes les bouches commencent à sortir des murmures : il peut ouvrir les portes le prophète a raison ils ont la princesse-esprit l’esprit commande aux portes thune peut le faire thune ouvre les portes a la princesse-esprit pour ouvrir les portes la princesse-esprit elle ouvre c’était réel je l’ai vu…

_ Bien, dit Thune à un de ces soldats, tu prends la gamine et tu la montres. Si un de ces crétins la bute je t’égorge.

L’adolescent acquiesce et attrape 5 d’un bras. Il est grand et fort pour son âge et n’a aucun mal à la soulever haut tandis qu’il grimpe sur un bloc qui domine légèrement les autres et surveille la foule du canon de son mitrailleur. La fillette entend les mots venir jusqu’à elle, des mots qui n’ont aucun sens, tout comme les rugissements de haine des manifestations anti-techs n’avaient aucun sens. C’est la même colère qui envahie l’enfant, la même révolte devant ceux qui tente de faire d’elle autre chose que ce qu’elle est, et à nouveau elle hurle. Pas de Réseau pour lancer son message cette fois, c’est à pleine voix qu’elle s’adresse à son public :

_ LA FERME ! ECOUTEZ MOI ! JE SUIS PAS UNE PRINCESSE NI UN ESPRIT NI RIEN, JE SUIS 5 ! CINQ, FIVE, FUNF, CINQUE ! JE SUIS PAS…

Son beau discours est interrompu en plein vol par Thune qui lui murmure à l’oreille « Tu dis un mot de travers et moi je tue l’autre gamine, c’est clair dans ta tête ? Dis que c’est le Prophète qui t’envoie. »

5 lui adresse un regard furieux mais obéit. Elle ne réalise pas qu’elle pourrait leur dire la vérité, à ces gens, et les libérer de la mystification qui est en train de soumettre leurs esprits. Après tout elle-même y croit presque. Y croit beaucoup.

A très envie d’y croire.

Elle prend une grande inspiration inutile puisqu’on lui tend le mégaphone et continue :

_ JE NE SUIS PAS HUMAINE ! J’AI ETE FABRIQUEE EN TECH ET LES ESPRITS M’ONT AMENE ICI !

_ Dis que Thune va tous les libérer, dit Thune.

_ ET JE VAIS VOUS OUVRIR ET ON VA TOUS SORTIR AVEC THUNE !

_ Ça ira. » conclut Thune en lui reprenant le mégaphone.

Il fait signe pour qu’on écarte la fillette et continue à parler. Très vite la cérémonie se termine : l’essentiel est fait et les ennuis arrivent.

1

1 attend de revoir Mr Edmund. Et Sanx. Il n’arrive pas à dire quelle perspective le rend le plus nerveux.

Il n’est même pas sûr de revoir Sanx. Il l’a appelé et le jeune homme lui a donné rendez-vous le soir même. Peut-être qu’il ne pourra pas venir. Peut-être que Mr Edmund va le faire tuer, ici, maintenant, peut-être qu’il va l’emmener jusqu’aux professeurs, peut-être que… Bref, il y a d’innombrables inconnus sur cette journée et sans doute plus de ‘peut-être’ que 1 ne parvient à les imaginer.

Il tente de se concentrer sur ce qu’il veut obtenir, de se rappeler ce que Mr Edmund lui a dit et ce qu’il a sous-entendu – mais rien, son esprit n’est qu’un brouillard blanc où s’entrecroisent des mots de feu : attaque, armée, enlèvement, piratage, manifestation, Ghetto, HR, attentat… Ce n’est pas là le monde qu’on l’a formé à servir et protéger. On lui a caché beaucoup trop de choses et la seule dont il soit sûr, c’est qu’il ne doit surtout pas se fier aux réponses qu’il obtiendra. Comment peut-on survivre dans un univers pareil sans devenir fou ?

Peut-être qu’ils sont tous fous. Ça ne serait qu’un ‘peut-être’ de plus.

Une femme approche. Il y a des centaines de gens qui approchent et qui s’éloignent – c’est pour ça qu’il a choisit ce parc comme lieu de rendez-vous – mais cette femme-là s’approche de lui. Elle porte un jean et une chemise d’homme non-techs qui flotte au-dessus de ses hanches. Elle pourrait facilement porter des revolvers à la ceinture sans que personne ne s’en doute. Et c’est probablement ce qu’elle fait – sa façon de se tenir, de le regarder, tout en elle rappelle au Tech les vigiles surarmés du Laboratoire. Un dernier détail prouve qu’elle vient bien le rencontrer lui : elle ne porte pas le moindre objet tech sur elle. Il lui dit :

« Vous venez de la part de Mr Edmund ?

_ Pas de nom. Suivez-moi.

_ Pas tout de suite.

Il aurait dû se douter que quelque chose comme ça allait se produire – ils n’allaient tout de même pas lui ramener les professeurs au lieu et au moment qui lui conviendrait, comme ça, simplement parce qu’il l’avait réclamé gentiment, n’est-ce pas ? Ce serait trop beau. Il ne possède aucun moyen de pression, aucune garantie, il ne peut donc qu’obéir.

Sauf s’il parvient à bluffer, à faire croire qu’il a plus de quatre as dans son jeu. Ce serait impossible face à Mr Edmund. Peut-être pas avec elle.

_ Je dois d’abord établir un contact, assure-t-il, et échanger un code.

_ Un contact ? Ici ?

_ Le Réseau est toujours sûr pour moi.

_ Ce n’est pas ce qui était prévu.

_ Mr Edmund me l’a garanti.

La femme est debout devant 1 tout en regardant nerveusement autour d’elle. 1 se penche et murmure :

_ Regardez.

Chaque banc est équipé d’un écran à ses pieds. Celui-ci projette un ensemble d’images apaisantes et continuera tant qu’on ne lui aura pas donné un ordre direct. Sauf dans un petit carré où c’est le visage de la femme qui apparait. Celui-ci est rapidement remplacé par le logo du B.A.G.N, celui de la cellule antiterroriste, celui de la police et enfin celui des services secrets. 1 regarde la femme par en-dessous pour voir si elle comprend. Elle reste impassible, il lui met donc délicatement les points sur les i :

_ Je n’ai qu’à demander une recherche dans leurs fichiers pour tout savoir de vous. Ensuite je n’aurais qu’à le désirer pour l’afficher sur tous ces panneaux lumineux techs. Mr Edmund n’apprécierait pas ce genre de publicité.

_ Je vais voir ce que je peux faire.

La femme pianote sur un téléphone non-tech. Ce genre de technologie nécessite la mise en place d’un réseau connecté au Réseau pour être utilisée… Retrouver la connexion est difficile. Pas impossible. Pas pour 1 qui s’y emploie avec toute sa concentration. La piste tourne court : à l’autre bout de la ligne on a aussi branché un appareil non-tech impossible à repérer spatialement. Les données envoyées sont codées. Tant pis. 1 n’a plus qu’à attendre la réponse avec l’envoyée d’Edmund.

_ Vous voulez une glace ? propose-t-il.

_ Non merci.

_ Moi j’en prends une.

Difficile de dire où on a dressé cette femme. C’est sans doute un agent secret surentraîné. Un agent tellement infiltré et tellement secret qu’elle n’a plus de pays d’origine. Un robot parfait qui jamais ne s’abaisserait à manger une glace. En tous cas c’est ce que se dit le Tech qui joue à jongler entre ses nombreuses peurs pour ne pas se laisser envahir par l’angoisse. Ils attendent longtemps avant que le téléphone de la femme ne sonne. Elle décroche, écoute et raccroche sans avoir prononcé un mot – difficile de dire si c’est bon signe.

_ J’ai l’adresse Réseau d’une caméra. Vous n’aurez que le son et l’image, la caméra elle-même n’est pas tech et vous ne pourrez pas la retrouver. Tout ce que vous émettrez sera transmis à un écran non-tech qu’ils pourront lire. Ça ira ?

_ C’est mieux que rien.

_ Connectez-vous ici et soyez discret. »

Difficile d’être plus discret pour regarder un film que lorsqu’on le contemple à l’intérieur de ses paupières. 1 hausse les épaules et établi le contact. Il se protège contre le puissant courant du Réseau, laisse l’adresse où il se rend dans la pieuvre – au cas où – et trouve l’adresse de la caméra.

Ils sont là. Le professeur Milley et le professeur Stone. Jamais il ne les a appelé autrement. Pourtant en les voyant ce ne sont pas ces noms qui résonnent au fond de son cœur… ce ne sont pas des noms du tout, sans doute. Rien qu’une sensation. Un attachement profond envers ceux qui l’ont élevé. Une reconnaissance éternelle à ceux qui l’ont créé. 1 sait qu’il ne doit pas se risquer à mettre un nom sur cette sensation. Pourtant il l’a fait en affirmant chercher ses deux pères…

Il n’est pas prêt à prendre le risque de les appeler ainsi.

« Vous allez bien ? demande-t-il anxieusement.

_ Oui, assez bien, répond le professeur Stone.

_ Où es-tu ? demande le professeur Milley.

_ Dans un parc de New York. Avec une envoyée de Mr. Edmund. Vous êtes seuls ?

_ Oui, répond le professeur Stone.

_ Je cherche comment vous faire libérer.

_ 1, dit le professeur Milley, écoute-moi. Il faut que tu suives les instructions d’Edmund. Dorénavant c’est lui qui mène le jeu. Je veux que tous les Techs vous alliez le voir et que vous lui obéissiez.

_ Non !

Le cœur de 1 bat à toute allure tandis qu’il tente de réaliser que c’est bien lui qui a dit ça. Non. Il l’a dit, aucun doute. Pourquoi ? Il a suivit son instinct. Il refuse de se fier à Edmund. Ou peut-être, à la limite, qu’il pourrait s’y fier s’il était le seul concerné. Mais la seule idée de laisser ses frères et sœurs entre les mains de cet homme le révulse. Il ne veut plus être considéré comme une machine. Et il est sûr qu’Edmund les traiteraient comme ça, de simples machines à qui on donne de beaux discours et qui obéissent gentiment. Des machines humaines. Comme tous ceux qui travaillent pour lui. Pas question. 1 veut être libre.

Le professeur Stones interrompt le professeur Milley. Il a l’air effrayé et parle très vite :

_ 1 nous n’avons pas le choix ! Ils nous gardent en vie seulement parce qu’on a de l’influence sur v…

_ La ferme ! dit le professeur Milley en donnant un violent coup de coude dans le ventre de son collègue. Ecoute, 1, tu as fait de ton mieux pour t’occuper des enfants, mais tu n’es pas prêt, il y a des milliers de choses qui te dépasse, donc tu obéis !

_ On n’est pas obligé, dit 1. Je peux vous libérer. Il ne vous menacera plus jamais… Il faut que…

_ Tu te souviens de pourquoi je t’ai élevé ? dit le professeur Milley. J’ai besoin de vous tous pour le réaliser.

_ Je t’en prie… » dit le professeur Stones.

La communication est coupée.

1 reste immobile encore quelques instants. Il faut qu’il réfléchisse, qu’il réfléchisse…

Pourquoi le professeur Milley l’a-t-il élevé ? Pour protéger et servir.

Non. Ça, c’était le discours de tout le monde au Laboratoire. Le professeur disait autre chose. Il disait que les Techs étaient la nouvelle humanité. Qu’ils allaient créer leur propre façon de penser. Et 1… 1 était le premier, un nouvel Adam, il devait leur servir de guide à tous. Il devait savoir. Il devait protéger les siens pour qu’à leur tour ils puissent protéger l’humanité de sa propre folie.

1 ouvre les yeux. Il a prit sa décision.

2 et 6

Nora Milley.

Les Techs ont fondé un véritable mythe autour d’elle, un mythe d’autant plus riche qu’ils avaient peu d’informations. Sans une maladresse de la part du professeur Stones, ils n’auraient même jamais su qu’elle existait.

Nora Milley.

Elle était sans doute aussi intelligente que son père, avaient-ils décidé à l’unanimité. Et puis jolie, aussi – le professeur Milley avait forcément épousé une très belle femme. Elle devait être toujours sage et ne jamais se plaindre que son père consacre tout son temps à d’autres enfants. Bref, elle s’était peu à peu parée de toutes les qualités qu’un enfant peut avoir, les suppositions s’étaient lentement transformées en certitudes jalouses. Pourtant jamais les Techs n’avaient envisagés cette possibilité : Nora Milley a aujourd’hui une trentaine d’année.

Elle salue chaleureusement 2 et 6. Elle leur serre la main. Les deux enfants médusés lui répondent machinalement tout en la dévorant du regard.

Nora Milley… est une femme parfaitement ordinaire.

Elle travaille pour l’Alliance à un poste assez haut placé mais elle n’appartient pas aux sphères dirigeantes, d’après les informations de 2. Son apparence reflète parfaitement cette position sociale, que ce soit au niveau de ses vêtements, de sa coiffure ou de son attitude. Ça parait absolument incroyable à la jeune fille. C’est la fille du tout-puissant professeur Milley !

Les deux Techs n’ont pas le droit de sortir de la zone sécurisée du B.A.G.N., officiellement au cas où quelqu’un tenterait de les kidnapper, officieusement pour éviter qu’ils ne jouent les filles de l’air. Mais les lieux sont vastes et toutes les situations sont apparemment prévues, dont une salle de restaurant de haut standing placée sous haute surveillance. C’est là que la rencontre a lieu. L’ambiance évoque à 2 une véritable réunion de famille – du moins telles qu’elle les a vues durant ses cours sur la société.

« Alors… commence Nora, c’est vous les Techs.

_ Il y a aussi 1 et 3 et 4 et 5 et 7, précise 6.

Nora lui sourit et lui ébouriffe les cheveux tandis qu’à coté du petit garçon sa sœur se crispe.

_ Vous avez des nouvelles de votre père ? demande-t-elle en se forçant à dire ‘père’.

_ Non. J’espérais que vous m’en donneriez. Apparemment vous êtes les derniers à l’avoir vu avant son enlèvement et bien sûr, au gouvernement, personne ne sait rien.

_ Il y a quelqu’un qui sait. Mr Edmund.

_ Mr Edmund est un fantôme. Son existence est classée secret défense. Il n’y a rien à en tirer.

_ Mais il est de quel coté ?

_ Du sien, comme tout le monde.

2 reste quelques minutes silencieuse. 6 n’ose pas parler. Il sait que sa sœur a encore des choses à dire et tente de la convaincre de les dire – ça ne sert à rien de ruminer ses rancœurs.

_ Pourquoi vous vouliez nous voir ? demande 2.

_ Je vous l’ai dit, je n’ai aucune nouvelle de mon père. Et comme vous le connaissiez bien, j’aurais aimé en parler avec vous… Oh, et Mrs Hindgam m’a dit que tu voulais que je te parle des HR.

_ Qu’est-ce que tu y connais ? demande rageusement 2 qui ne supporte pas que son interlocutrice la tutoie.

_ C’est moi qui suis chargée de les gérer.

_ De les GERER ? Ce sont des gens !

_ Les gens, ça se gère. Ça te choque ?

_ Oui ! Pas étonnant qu’ils posent des bombes ! Et pourquoi ils sont HR d’abord ? Tout le monde devrait avoir le droit au Réseau !

_ Ça coûte cher…

_ NON ! s’exclame 2 en frappant la table de ses deux poings. NON, CA NE COUTE PAS CHER ! ET MEME SI C’ETAIT LE CAS, ON EN A LES MOYENS ! ON EST L’ALLIANCE DES PAYS LES PLUS RICHES DU  MONDE, BORDEL !

C’est quoi les HR ? demande 6 à sa sœur. En apparence il est parfaitement tranquille et suit la discussion comme un match de tennis. Mais sa question trahie toute son angoisse et sa colère d’être rejeté. Et sa volonté. Il veut savoir et aucune des manœuvres de 2 ‘pour le protéger’ ne l’en dissuadera.

2 se résigne. Il savait déjà pour les manifestations anti-tech, autant qu’il sache pour les HR. Elle lui envoie toutes les informations qu’elle a – en insistant tout de même sur le fait qu’elles viennent d’une seule source et ne sont pas sûres – et attend sa réaction. L’enfant n’est pas aussi choqué qu’elle l’avait craint et il met très vite le doigt sur la question essentielle : ce sont des gentils ou des méchants ?

Je ne sais pas réponds 2. Ce qu’on leur a fait est mal et ce qu’ils font est mal aussi.

Tout le monde est méchant ?

Je crois que tout le monde ne le fait pas exprès. Tout ça c’est du boulot pour nous. Ne t’inquiète pas, moi et 1 on va s’en occuper dès qu’on peut.

2 fait part de sa décision au petit garçon à l’instant même où elle la prend. Oui, elle et 1 vont prendre les choses en mains. Ça suffit comme ça. Elle ne sait pas encore comment, mais 6 croit en elle et cette confiance lui réchauffe le cœur.

Pour Nora Milley, les deux Techs n’ont échangés qu’un bref sourire et elle tente d’expliquer le plus calmement possible :

_ Non, nous ne pouvons rien faire. La SRAM est un organisme bien trop puissant. Ils ont le monopole de fabrication des objets techs et aucun de leurs employés n’a jamais trahi ce secret. Il y a beaucoup d’enjeux pour ça. La SRAM a… disons qu’elle s’est donné les moyens de protéger ses secrets, tu comprends ?

_ Oui, dit sombrement 2, je comprends. La toute-puissante Alliance des Gouvernements du Nord est bâtie sur une arnaque gigantesque et une entreprise mafieuse. Vive la démocratie !

_ S’il te plait, soupire Nora, tais-toi. Mon père se battait contre ce monopole lui aussi. Et regarde où ça l’a mené. Il s’est fait enlever…

_ On les retrouvera ! 1 est sur leurs traces et il va réussir à…

_ Non, tu ne comprends pas. Il s’est déjà fait enlever par la SRAM il y a vingt-six ans. Pour réaliser leur projet de fous. Pour vous créer.

Sous le choc de cette déclaration, 2 et 6 se sont instinctivement pris les mains. La jeune fille se sent aussi poignardée que son frère, mais devant le chagrin de l’enfant elle tente de mettre le sien de coté pour pouvoir consoler 6. Elle n’en a pas le temps. Le signal d’alerte retentit dans tout le bâtiment du B.A.G.N.. Les Techs et Nora Milley se lèvent précipitamment et suivent les ordres d’évacuation. Partout des agents affolés courent et hurlent autant d’ordres que de contre-ordres.

_ Qu’est-ce qui se passe ? demande Nora à une femme qui l’ignore.

2 se plonge dans le Réseau et n’a aucun mal à trouver. Cette information est partout.

_ Il y eut un attentat contre le président. »

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L
Pff... entre la fin du chapitre 4 et le début du chapitre 5, il y a eu quatre mois. Quand je commençais le roman, je mettais un mois par chapitre.<br /> Bon, j'ai des excuses : la fac, les partiels, les copains... Mais je vais essayer de retrouver le rythme. C'est quand même mon projet n°1.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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