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Ecriveuse en herbe
18 juin 2008

Sourire ***

Sourire

Son nom est Nina Ichka. Un prénom doux, un nom de famille qui se crache. Personne ne l’appelle jamais par son prénom.
Ce qui lui convient très bien. Nina Ichka est une femme qui déteste l’humanité toute entière. Elle déteste les enfants parce qu’ils font du bruit et les vieux parce qu’ils n’en font pas. Elle déteste les amoureux parce qu’ils sont naïfs et les businessmen parce qu’ils sont cyniques. Elle déteste les hommes, elles déteste les femmes, elle déteste les chasseurs, elle déteste les végétariens, elle déteste les croyants, elle déteste les athées, elle déteste les chômeurs, elle déteste les travailleurs, elle déteste les gens qui ont les yeux bleus, ceux qui ont la peau noire, ceux qui ont un grand nez, ceux qui ont des petites épaules, ceux qui parlent, ceux qui respirent…
Nina Ichka a presque quarante ans aujourd’hui et parait bien plus âgée : jamais de sa vie elle n’a teint ses cheveux ni n’a pris soin de sa peau, et des mèches blanches parsèment sa chevelure brune coupée court, encadrant mal un visage sévère et ridé. Uniquement des rides de colère. Le visage de bois de Nina Ichka parait s’être figé il y a bien longtemps en un masque de fureur. Sans doute la colère de voir, autour d’elle, autant d’êtres humains s’ébattre en toute liberté. Elle est bloquée dans son indignation.
Mais si son visage est celui d’une vieille femme, son corps parait jeune et sain comme celui d’une championne olympique. Elle était grande et mince par sa nature, et a peu à peu ajouté des muscles à ses os longilignes, principalement en s'entraînant à la boxe. Personne n’osait lui faire face sur ce terrain, ce qui ne l’a pas empêchée, par provocations et manipulation, de défoncer le visage de nombreux adversaires. Elle est forte et aucuns travaux ne lui font peur. Heureusement pour elle, puisqu’elle vit seule, dans une maison loin de tout et surtout de tout le monde, sans téléphone, ni télévision, ni internet, et sans que le facteur n’ose mettre une roue de sa camionnette sur son chemin.
Nina Ichka vit en partie de sa propre production, et complète – pour ce qu’elle ne peut pas fabriquer elle-même ni faire pousser dans son jardin – en racketant ses voisins et tous les touristes sur lesquels elle peut mettre la main. Une fois qu’elle a trouvé ce dont elle a besoin, elle se sert, et si quelqu’un proteste, elle le tabasse. Personne ne porte plainte. Car ce n’est pas seulement la folie de Nina Ichka qui effraie. Ce sont surtout ses yeux. Deux vrilles de haine et de mépris lancés à la face du monde. Un regard impossible à soutenir. Un atroce scanner qui voit jusqu’au fond de l’âme de sa victime et lui affirme que oui, sans aucun doute, il vaut moins qu’un cloporte. Et qu’il sera tout à fait aussi facile à écraser.
Il ne fait donc aucun doute, dans le coin, que Nina Ichka est une sorcière et que porter plainte contre elle reviendrait à apporter le malheur sur toute sa famille pour des générations. Sans compter, plus prosaïquement, que le vol d’un bidon d’essence ou d’une hache neuve ne la conduirai pas en prison bien longtemps. Et qu’à son retour, si ce n’est pas sa magie qu’elle déclenche sur le délateur, ce sera la furie de ses poings. Des poings qui, dit-on, traversent l’écorce des arbres.
Et en plus, ajoutent les rumeurs, elle mange les petits enfants égarés.
(à ce stade-là, la narratrice ne peut confirmer ou infirmer, parce qu’elle a préféré ne pas vérifier.)
(en tous cas, Nina Ichka a un grand four.)
(taille 4 ans au moins)

Il faut donc le désespoir et la terreur la plus folle pour oser mettre un pied sur le terrain de Nina Ichka…
Désespoir et terreur folle, c’est bien ce qui a l’air d’arriver à ces quatre jeunes gens (Brenda, Joanna, Luc et Kévin) qui déboulent ce matin sur le chemin de Nina Ichka. Leur voiture fait un énorme dérapage incontrôlé dans la boue, devant la maison, et termine sa course brutalement arrêtée par un arbre. Alertée par le bruit, Nina Ichka attrape rapidement son fusil – toujours chargé – et sort voir. En l’apercevant sur le pas de la porte, la première fille, Joanna, se met aussitôt à hurler comme une possédée :
« A L’AIDE !!!!!!!!!!!!!!!! JE VOUS EN SUPPLIE, MADAME, AIDEZ-NOUS !»
Nina Ichka a souvent entendu appeler à l’aide quand elle apparaît, surtout quand elle apparaît avec son fusil, une imposante arme militaire qu’elle utilise pour chasser certaines grosses bêtes. Mais c’est bien la première fois qu’on la supplie de sauver qui que ce soit. L’espace d’un moment, elle se demande si ce sont des touristes qui s’imaginent poursuivis par un sanglier – avec les citadins, maudits soient-ils, tout est possible – mais très vite elle reconnaît les occupants de la voiture. Elle déteste tous ses voisins mais a une bonne mémoire. Il n’y a pas si longtemps, ceux-là étaient encore des gamins qui se lançaient comme défi d’oser approcher le plus près possible de la maison de Nina Ichka – ou peut-être pire, avec les campagnards, maudits soient-ils, tout est possible. Elle braque son arme vers eux et dit calmement :
_ Tirez-vous ou je vous tue.
Si Nina Ichka ne tire pas sur-le-champ, c’est bien pour éviter les ennuis avec la maréchaussée, et pour ne pas avoir à s’embêter des corps. La réaction des intrus la surprend. Ils sortent de la voiture. Oh, en pleurant et en suppliant, preuve qu’ils ne sont pas fous ni totalement dénués d’instinct de survie, mais ils sortent, alors qu’elle vient précisément de leur ordonner le contraire. Du moins, trois d’entre eux sortent. Le quatrième, Kévin, reste assis dans la voiture, respirant par des râles atroces. Les autres pleurnichent des histoires de monstres et morts qui tuent, d’abominables morts-vivants errant dans les rues à la recherche de cervelles à sucer et de morsures transmettant la maladie.
Nina Ichka est, pour sa part, une mauvaise vivante, et quelle que soit la chose encore plus terrifiante qu’elle – ce qu’elle demande à voir – qui a poussé ces gamins à venir l’emmerder, ils n’ont qu’à y retourner, ou sinon elle pourrait bien perdre patience et perdre son temps à enterrer quatre corps quelque part dans les bois. Tant pis pour les flics, elle fera l’effort de ne pas laisser d’indices derrière elle, ce ne serait pas la première fois.
Elle vise la voiture et tire.
Les filles hurlent, le garçon reste figé sur place et vide sa vessie. L’autre garçon, celui qui paraissait mal en point, se prend la balle en pleine poitrine, qui explose. Nina Ichka n’avait jamais testé cette arme sur un humain et elle trouve l’effet assez réussi. On sent que ça a été prévu pour.
Maintenant, elle doit se débarrasser des autres gêneurs avant qu’ils ne s’enfuient…
Mais avant qu’elle ait le temps de tirer à nouveau, Kévin, contre toute attente et malgré la garantie accompagnant l’excellent fusil, se redresse. Il a même l’air d’aller beaucoup mieux. On peut voir ses poumons bouger sous les cotes éclatées. Mais pas son cœur. Il perd du sang à gros bouillons. Ça n’a pas l’air de le déranger. Il peine un peu pour ouvrir sa portière, mais finit par sortir de la voiture.

Nina Ichka est assez surprise pour baisser légèrement son fusil. Ok, finalement, peut-être que les jeunes n’étaient pas des drogués cinglés ayant forcé sur les hallucinogènes et/ou les psychotropes. Elle marmonne pour elle-même :
_ Des morts qui tuent, hein ?
Les filles pleurent et s’écartent de la trajectoire de ce qui reste de Kévin, ce qui n’est pas difficile, étant donnée la lenteur avec laquelle il titube. Mais Luc reste pétrifié sur place. Arrivé à sa portée, Kévin bondit vers lui d’une façon étrangement plus souple et rapide – Nina Ichka note pour elle-même de se méfier de leur lenteur – et lui mord sauvagement la nuque.
_ Oh nooooooooooooooon ! gémit Brenda. Non, non, non, il est contaminé aussi, il va mourir, non, non, pitié, non…
_ Hé, Barbie ! lance Nina Ichka d’une voix méprisante. Comment ça se tue définitivement, ces machins ?
_ Je je je ne sais pas, je ne sais pas, ils se relèvent toujours, il…
_ Il faut exploser la cervelle, dit Joanna. Dans les films. En vrai, je ne sais pas.
Kévin est toujours très occupé avec Luc, qui ne hurle plus mais parait contempler le pire des cauchemars – alors que le pire des cauchemars est juste derrière lui. Un horrible bruit de succion s’élève distinctement dans le silence de la campagne. A la grande horreur de Joanna et de Brenda, Nina Ichka pose son fusil et rentre chez elle en claquant la porte. Les deux filles se précipitent pour tambouriner à la porte quand celle-ci se rouvre. Nina Ichka porte négligemment sur l’épaule une masse de bûcheron, pesant 4 kilos, qu’elle utilise ordinairement pour planter des piquets de ses bras puissants. Elle ignore les filles et s’avance vers les zombies.
La masse ne vaut rien comme arme : la force de son impact provient de son poids et ce même poids la rend trop lente à déplacer. En théorie.
En pratique, Nina Ichka lève la masse si vite qu’elle laisse une traînée noire dans l’air avant d’éclater d’un même geste les crânes de Kévin et de Luc, qui sont brutalement détachés de leurs colonnes vertébrales respectives et s’envolent. Les deux corps s’écroulent. Nina Ichka les enjambe, écrasant au passage ce qu’il reste d’une main, et va jusqu’aux têtes. La première a été arrêtée par un arbre. Le crâne a été fendu, la dure-mère aussi, et des morceaux de cervelle ont été projetés un peu partout. Pour plus de sécurité, Nina Ichka lève haut sa masse, le manche droit, et écrase ce qui reste dans un bruit atrocement mou. Puis elle part à la recherche de l’autre tête.
Une tâche difficile, même pour une chasseuse expérimentée comme Nina Ichka, car de hautes fougères, ronces et orties s’élèvent entre les arbres. Soudain elle sent que quelque chose lui agrippe la botte. C’est bien la tête de Luc, insuffisamment cabossée par le premier coup, qui tente de la mordre et qui a planté les dents profondément dans le cuir épais. Pas moyen de lui faire lâcher.
Nina Ichka choisi alors un arbre et donne un grand coup de pied dedans, fracassant la tête contre l’écorce.
Lorsqu’elle ressort des bois, elle voit les deux jeunes filles, terrorisées, agrippées l’une à l’autre et tremblant de tous leurs membres. Elles gémissent en la voyant revenir vers elles, la masse et la botte tachées de sang et autres résidus humains. Nina Ichka sent certains muscles inhabituels de son visage se contracter. Cet exercice lui a bien plus. Et, pour la première fois depuis des années, elle sourit.
Pour la première fois de leur vie, Brenda et Joanna voient Nina Ichka sourire.
Et elles hurlent de toute la force de leurs poumons.

Retrouvez la suite tous les samedis soirs sur http://episodierdeslyres.over-blog.com/categorie-10456570.html

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Commentaires
M
Je reviens du blog "episodierdeslyres". C'est vraiment une bonne idée de proposer une suite chaque semaine. Elle est terrible votre histoire.
M
Et bien dis donc! Ca arrache (si je puis dire)! Quelle nouvelle...Tu as beaucoup de talent.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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