Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ecriveuse en herbe
14 mai 2007

Selah **

Selah

Le 19 avril 2007, je vais me balader. Oui je sais, examens, révisions, pas le temps, bla bla bla. Arguments martelés par ma conscience à qui je répondrai très élégamment : merde. Non parce qu’il faut déconner dans la vie et que je suis déjà suffisamment coincée de nature pour ne pas en rajouter encore. Une autre partie de moi-même voudra sans doute laisser tomber la promenade dans des coins que je connais déjà et qui n’ont plus rien à m’apporter, et préfèrera galérer à aller à Pétaouchnok pour pouvoir dire : j’y suis allé. Cette partie de moi-même, je lui dirai merde aussi. Toujours aussi élégamment. Sachons vivre.

Donc j’irai me balader. Délicatement. Est-ce qu’on peut se promener délicatement ? Euh… on va dire que oui, pourquoi pas après tout ? Je vais marcher dans les rues, le nez en l’air et l’appareil photo à la main, prête à saisir un graffiti amusant, un oiseau, une boutique sympathique, un ciel d’un bleu particulièrement intense. Je n’ai pas la prétention non plus de faire de l’art ou quoi que ce soit avec mon petit numérique. Mais quand je regarderai ces photos, celles que je ne montrerai à personne pour ne pas tuer d’ennui mon public, moi je me souviendrai.

Je me souviendrai de l’air, du vent doux et un peu chaud qui caresse les joues comme un ami qui vous fait la bise très vite. Je me souviendrai du cri des mouettes et de l’odeur de sel jeté sur la neige qui évoque la mer. Je me souviendrai de l’immensité des rues droites et des points cardinaux – cap au nord, camarade ! Nous tournerons à l’ouest à la prochaine intersection ! Je me souviendrai des maisons et des immeubles en brique, si familiers qu’on en oublie leur laideur, des maisons particulières qui se prennent pour des châteaux, des immeubles en béton honteusement cachés entre l’autoroute et la banlieue, des immeubles s’élançant à l’assaut du ciel et arrêté en plein vol par la loi qui leur interdit de dépasser l’altitude du Mont-Royal (la grosse bosse au milieu de la ville). Je me souviendrai du métro et de tous les épouvantables musiciens qui y jouent.

Les numériques ont été inventés pour des gens comme moi.

Je ne suis pas encore partie de Montréal. Mais j’en partirai bientôt. Pourtant quand j’irai me promener, demain matin au tout début du jour, ce ne sera pas en pèlerinage, ce ne sera pas pour aller "une dernière fois" voir ce que je ne reverrai sans doute pas (quoique… ça dépendra aussi de comment tournent les choses en France, donc on ne sait jamais). Non, quand je marcherai dans ces rues, ce sera pour le simple plaisir d’y marcher. Le froid m’en a chassé sans douceur, non seulement en rendant toute sortie difficile, mais en plus en bloquant mon esprit, en épuisant mon énergie… J’ai hiberné, ne voulant plus sortir, restant pelotonnée dans mon cocon douillet où un simple geste rajuste la température. Mais maintenant c’est le dégel, les quelques paquets de neige ne sont plus que des terrains amusants qui crissent sous les pas, l’eau coule en ruisseau dans les rues et le soleil est de retour, le vrai, celui qui réchauffe le corps et l’esprit. Et j’ai envie de le suivre, ce soleil, de marcher au bout du monde, tranquillement, doucement, pour le plaisir de mettre un pied devant l’autre et d’être libre.

Mais comme je reste quelqu’un de normal, à la base, demain il me faudra un but. Je ne vais pas partir dans une direction et la suivre jusqu’à ce que j’ai envie de rentrer. Quoique… Mais non. Je vais Aller Quelque Part. Je vais aller voir le fleuve, tiens. Ce bon vieux St-Laurent et ses eaux incroyables, moitié douce moitié salée, moitié gelé moitié coulant, moitié gris moitié bleu. Oui, ça vaut le coup de prendre le métro pendant une demi-heure et de se laisser porter par ses pas, vers le sud, en suivant comme par hasard mon vieux pote le soleil… J’irai là demain.

J’irai et je prendrai des photos, histoire de valider ma venue, d’adopter des souvenirs. J’essayerai une fois de plus de prendre une photo de mouette en plein vol, et une fois de plus j’échouerai – mais comment ces garces font pour m’échapper systématiquement ? C’est pourtant si beau une mouette qui vole ! Tous les oiseaux en vol sont beaux, c’est vrai. Mais une mouette c’est une mouette. C’est stupide et teigneux, ça mange des ordures et ça a un cri détestable, sans parler de sa manie de mettre du guano sur tout ce qui bouge, mais en vol c’est un nuage filant, un enfant du ciel qui reste tout juste assez immobile pour se faire admirer avant de repartir dominer les airs… Je comprend pourquoi un type a écrit un livre sur le vol d’un goéland (je compte les goélands parmi les mouettes et je m’en excuse, mais je suis totalement incapable de différencier les deux. A part que le mot mouette est plus joli.)

Une fois rassasiée de mouettes et de fleuve, il va falloir que je m’en retourne. C’est là que le jeu deviendra drôle. Alors, par où aller… au nord, bien sûr. Mais de quel coté, l’est ou l’ouest ? Est-ce que je vais suivre Ste Catherine, le boulevard St-Laurent, St-Denis, Maisonneuve ? Ces rues immenses parmi les rues immenses, plus de dix mille numéros chacune, pleine de magasins, de bars, de cafés, de vie en un mot. Peut-être que j’irai là.

Et peut-être que je tenterai un raccourci. C’est sympa aussi, ça, les raccourcis. On tourne à gauche, à droite, on passe en parallèle à la rue principale, on voit les petits magasins et les arbres, les maisons de brique et les églises (évidemment, il y a des églises partout ici). Je marcherai. Tentant de retrouver mon chemin en me fiant à mon sens de l’orientation défaillant et à mon estimation des distances lamentables. Je me perdrai. Et pendant tout le trajet, pas après pas, inspiration après inspiration, dans le vent qui s’amusera à emmêler mes cheveux, je penserai. Les maisons et la rue ne guideront plus que mes yeux. Mon esprit, loin de tout, loin de la culpabilité de fuir ses obligations, loin de l’analyse de la nouveauté et de l’inconnu, loin de la réalité, mon esprit pourra se mettre en balade à son tour. Il enfilera ses chaussures si familières et partira explorer de nouveaux sentiers. Il faut bien que les histoires naissent quelque part. Les miennes naissent souvent d’une balade douce, tous les sens apaisés et l’énergie vaillante, les pieds qui décident du chemin à suivre et le reste qui peut partir vadrouiller où il veut, le nécessaire étant assuré. Les gens me regarderont en se demandant pourquoi je ris toute seule, ou pourquoi j’ai l’air si sombre, ou pourquoi je bouge ainsi ma main – mais c’est juste la scène du moment messieurs-dames, ne vous faites pas de soucis, passez votre chemin l’âme en paix. Je rêverai debout.

Enfin, il faudra bien que je me décide à sortir ma carte et à retrouver ma route, ou en tous cas une route. La fatigue en sera sûrement la cause. Ou alors l’heure tardive. Ou la faim (si vraiment j’arrive à me lever et à y aller le matin). Je retournerai au monde réel, que je ne trouverai pas désagréable. Je rentrerai.

Et peut-être que là… peut-être qu’à un moment, par là, ce sera Selah. Un ami m’a décrit ce mot comme désignant une pause, une injonction : « Arrêtes-toi et regarde ». Et si je le fais, qu’est-ce qui se passera ?

Si j’arrête d’avoir peur de mon départ et envie de mon retour, si j’arrête de me retrancher dans mes mondes imaginaires, si j’arrêtes de me cacher derrière mon appareil photo, si je m’arrête. Et que je regarde. Qu’est-ce que je verrai ?

Et si maintenant, moi qui attend demain pour partir en vadrouille, si maintenant j’arrête tout et que je regarde, qu’est-ce que je vois ?

Selah.

Peurs et espoirs, attente, repli. La page sur l’ordinateur. La musique dans mes oreilles. Hier derrière moi et demain devant. Moi et le reste de l’univers gentiment mais fermement mis à la porte. L’attente. Il faut sans doute plus de sagesse que j’en possède pour apprécier chaque moment où on peut faire Selah, pour voir au-dedans et surtout au-dehors de soi. Mais j’essayerai à nouveau.

Demain.

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Ecrite en avril 2007 sur un sujet (biscornu) de Deslyres : écrire à la première personne, au futur, à la date du 19 avril, dans la rue, sur la notion de Selah. Mais j'étais en train de me préparer à quitter Montréal où j'avais passé 8 mois en étudiante étrangère, donc ça m'a vraiment inspiré. Histoire totalement autobiographique.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité