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Ecriveuse en herbe
10 mars 2007

Née pour les ténèbres **

Attention : ce texte raconte une histoire de l'héroïne de "Vampirette" se déroulant environ dix ans plus tôt. Pour bien le comprendre et surtout ne pas se gâcher le suspense de "Vampirette", mieux vaut le lire en deuxième.

Née pour les ténèbres

Je suis morte.

Je ne suis plus qu’un cadavre.

Je suis un cadavre pourrissant en train de se décomposer.

Et c’est coooool…

Le réveil sonne et le bruit me vrille la colonne vertébrale et remonte jusque dans mon crâne qu’il fait vibrer comme un gong. Je me lève en haletant, pleine de haine, dans un hurlement de colère. Mon cœur qui ne battait presque plus se met à bondir comme un hamster fou et la tête me tourne. Je tente d’inspirer à fond, plusieurs fois. J’arrive enfin à me calmer assez pour prendre un cachet de noradop et arrêter ce foutu réveil sans l’exploser.

Puis je me prépare pour la journée.

Pull rose à peine moulant, jupe à froufrous à peine courte, chaussures aux talons à peine hauts : lorsqu’une jeune fille de 15 ans passe ses nuits à parcourir le monde de l’ombre et à se droguer, elle doit se cacher derrière ce genre de tenue. C’est pour ça que je supporte ce maudit réveil, que ma chambre ressemble à celle de Gina dans Un petit bout d’amour, et que je me pointe tous les matins, fraîche et parfaitement ponctuelle, au petit déjeuner familial.

C’est mon déguisement, mon identité officielle, mon masque de gentille fille toute sage. Dessous, il y a une droguée cinglée adoratrice de Satan. C’est mon vrai moi. Et tant que je joue bien mon rôle, tout le monde lui fout la paix, à mon vrai moi. C’est pourtant si simple, pourquoi est-ce que tout le monde ne fait pas comme ça ?

Et bonjour maman, et bonjour papa… On s’embrasse, on se demande si on a passé une bonne nuit, on parle de la télé, on rigole, tous en cœur. On est une gentille petite famille. On s’aime tous très fort. Et toutes les nuits, à l’époque où je dormais, je rêvais que je les tuais, que je les massacrai, et j’adorai ça. Maintenant, ils ont de la compagnie : je rêve de tuer à peu près toute ma famille, tous mes profs, tous les voisins, et la plupart des personnes que je croise dans la rue. Ça m’amuse beaucoup, et ça m’occupe quand je pique du nez derrière mon livre de maths, tous les matins en cours.

Le jour où je tuerais tout le monde, tous les témoins diront : « Comment aurait-on put se douter de quoi que ce soit ? C’était une adolescente parfaitement normale et équilibrée ! »

Peut-être même qu’ils accuseront les Nouveaux. Moi, j’aime bien les appeler comme ça, les Nouveaux. Je déteste ceux qui parlent de Monstres ou d’Anormaux, et je préfère éviter de dire Merveilles ou Surhommes. Les Nouveaux, en plus, c’est un mot qui a l’avantage d’englober tout ce qui est sorti de la Faille : les elfes et les fées, les trolls et les loups-garous, les champignons parlants et zombis… Toute la clique. A chaque zone son folklore et ses Nouveaux. Ils étaient un peu surpris, au début. Nous aussi. Maintenant, on s’est adapté. On raconte même que le mélange d’humains et de Nouveaux, de technologies et de magie, a donné des résultats surprenants…

Dans mon petit monde aussi privilégié que politiquement correct, on les met loin des yeux, on gère le problème à distance, on les intègre dans de charmants petits camps aménagés à cet effet, et on n’en dit pas du mal, parce que les pauvres, ils ont assez souffert. On a même fini par leur donner un nom officiel : les Créatures Paranormales. C’est le nom qu’utilisent ceux qui n’en ont jamais rencontré.

Dans mon vrai monde, on en aime certains, on en détruits d’autres, et on déifie les vrais maîtres des deux mondes : les Vampires. Pour faire partie de leurs esclaves, je détruirai toute la ville, j’inonderai les rues de sang et commettrai tant d’horreur que tous ceux qui y assisteront deviendront fous. Une fois prise dans les chaînes de mes maîtres, je serais si cruelle et géniale qu’ils m’élèveront à la gloire suprême et feront de moi une Vampire. Cette seule idée me fait trembler de plaisir. Je me force à l’avoir, plusieurs fois par jours, jusqu’à ce que je m’habitue et que mon corps réagisse comme je le souhaite. Qui a dis que le chemin est large et facile pour descendre aux Enfers ? Moi je sais que, pour descendre si bas que le haut n’existe plus, il faut un courage et une volonté à toutes épreuves, et plus d’intelligence et d’habilité que pour monter au ciel. Pour être sage, il suffit de ne rien faire. Etre mauvais demande bien plus d’imagination.

L’heure du bus arrive. Charmante et souriante, comme l’adorable enfant que je suis, je ne fume même pas une clope de zapette en douce. Je dis bonjour avec enthousiasme à tous les amis que je croise : cette pouffiasse de Lyline, ce crampon de Béret, cette boule de graisse aux yeux de cocker de Nina, et tout le reste du bordel. Et la journée commence. Une journée ordinaire de lycéenne ordinaire. Aux toilettes, une carte de crédit bien remplie m’attends, scotchée sous le distributeur de savon, hors de portée des caméras. Je la prends et la remplace pour un sachet de poudre mauve avec l’aisance de l’habitude. Ma cliente ne sais pas qui je suis, alors que je sais tout d’elle. J’adore cette technique qui me permet de me passer d’intermédiaires. Je jette à peine un coup d’œil aux graffitis qui ornent les murs : j’ai repéré mon code. Pas mal de lycéens que je connais partent en chasse, la nuit, et rôdent prêt des camps de paranormaux. Le jour, on les voit sécher les cours en bande, habillés tout en argenté, avec de drôles d’accessoires sur la tête. Le seul d’entre eux à qui je fasse assez confiance pour lui dire que, moi aussi, je suis une adoratrice de la Nuit, c’est celui qui fait comme moi. Il paie sa part à la putain de société, pour en tirer un maximum de profit avant d’avoir assez de pouvoir, dans le monde de l’ombre, pour se passer de ces connards.

Il est habillé comme n’importe quel adolescent : à la mode sans fanatisme, discret sans être crasse, il a quelques amis et pas mal de connaissances. Il faut vraiment l’observer très attentivement pour voir que dans sa petite tête soigneusement coiffée, il y a assez de tortures et de trips gores pour rendre jaloux Satan lui-même. Moi-même, je l’ai connu au-dehors, sinon je ne l’aurais jamais remarqué. Il s’appelle Jonathan, un chouette prénom à l’ancienne. Son véritable nom lui sera donné par son maître, mais en attendant d’être digne d’en avoir un, il se fait appeler Noé dans le monde du sang. D’après lui, on peut lire dans la Bible d’En Bas que Noé a été sauvé par Satan, parce qu’il réussissait à réunir à lui seul tous les péchés de l’humanité (y compris ceux qu’on croyait réservés aux femmes). Moi, je ne crois ni à Dieu ni à Diable, puisque aucun démon ni aucun ange n’est sorti de la Faille. Mais j’aime assez le trip sataniste.

On échange un regard, parfaitement neutre, lorsqu’on se croise. Je termine ma journée ordinaire. J’ai parfois l’impression que les jours durent dix fois, cent fois plus que les nuits, que je passe ma vie à attendre de trop brefs moments de rêve. Et j’attends. Parce que je ne peux pas me passer de mes chaînes, pas tout de suite. Je peux encore les utiliser.

Je rentre enfin chez moi. Je jettes mon cartable sur mon lit. Non, je ne peux pas changer de monde, pas encore. Je suis une actrice et ma prestation doit être impeccable, toujours fignolée jusqu’au moindre détail.

Je fais mes devoirs.

Je range ma chambre.

Je programme la télé.

Mes parents ne rentreront pas avant minuit, et à ce moment, ils n’iront pas vérifier dans ma chambre que j’y suis bien. J’ai donc jusqu’à demain matin, sept heures, pour vivre ma vraie vie.

Enfin…

Cette nuit sera ma nuit. J’entre dans un camps de concentration pour créatures paranormales pour rencontrer un de ses Maîtres Secrets, un véritable Vampire, et lui demander de me prendre pour fidèle esclave.

Autour de moi, une bande de cyber-rats et autres pirates éméchés qui trouvent ça amusant de pirater l’un des systèmes de sécurité le plus efficace de la planète, gracieusement offert par plusieurs multinationales intéressées par les talents de ses occupants. Ces imbéciles se croient dans un jeu vidéo où ils seraient par miracle grassement payés (par ma pomme, bien entendu). Je me fiche de ce qu’ils pensent, tant que le travail est fait. Mon cœur bat la chamade et la drogue embrase chacune de mes veines. Je m’oblige à marcher calmement, dignement, comme une future élue doit le faire. Rester classe en toute circonstance, c’est beaucoup plus important qu’il n’y paraît. Pour commencer, ça en impose assez à ces gommeux pour qu’ils me croient capable de tous les égorger si jamais ils me dénoncent à la police. D’accord, j’en serait capable de toutes façons. Mais autant annoncer la couleur tout de suite.

L’immense porte en métal azuré cliquète comme un simple cadenas à combinaison. Elle est traitée contre les attaques matérielles et magiques jusqu’au niveau 9. Pas contre les miracles de l’informatique. Plus que six secondes.

Un claquement, et elle s’ouvre. Lentement. Aucun système d’alarme ne se déclenche, aucun employé passant malencontreusement par là ne crie devant cette aberration. Royale, je m’avance dans l’allée sombre, suivit par un pirate minuscule qui n’en mène pas large mais est hélas indispensable. Les pavillons de sécurités ne sont pas branchés sur un système collectif, pour des raisons de sécurité. Les autres nous attendent dehors et s’occupent en envoyant des messages faisant croire aux gardiens que tout est en ordre. Tout autour de moi, j’entends des grattements et des chuchotements, coupés de temps en temps par un doux chant d’elfe ou un strident cri de sof-sofr. Il y a un débat pour savoir si on doit relâcher les espèces parquées ici une fois qu’on sera sûr qu’elles ne représentent aucun danger pour l’homme, ou une fois qu’on sera sûr qu’elles ne représentent pas plus de danger que n’importe quel humain. Si c’est la deuxième solution, il y aura pas mal de Nouveaux dans les rues d’ici peu. Prêts à être dominés.

Je cours. L’autre me suis en haletant comme un petit chien, trébuchant de temps à autre sur les graviers. Tout autour de nous il y a des cages, mais ce que je cherche n’est pas dans une cage. C’est bien mieux surveillé que ça.

Là, les pavillons : vu de l’extérieur on ne distingue que des demi-cercles recouverts d’azuré, en fait ce sont des sphères qui s’enfoncent profondément dans la terre. Sous l’un d’entre eux se trouve une Faille qui conduit directement à l’autre monde, empruntée de temps à autre par un Nouveau trop curieux qui ne tarde pas à regretter sa maison. Ce n’est pas celui-là qui m’intéresse.

Pavillon A-2834. Mon rat se branche sur le système d’ouverture, à partir de là je continue seule. Un ascenseur se dessine sous mes pieds et m’emporte au sous-sol, jusqu’à l’étage des Maîtres, celui des Vampires. J’ai un revolver à balles réelles et j’ai presque envie de croiser un garde, histoire de le baptiser. Mais il n’y a personne.

J’arrive devant une porte de cellule. Une seconde d’attente, et elle s’ouvre. La drogue a surmultiplié chacun de mes sens et j’ai l’impression de sentir l’odeur du liquide de régénération bien avant de le distinguer dans le noir. Il est là, flottant dans la cuve qui se vide comme par magie. Un par un, les voyants d’alerte s’allument, mais aucune sonnerie ne retentie et je suis sûre qu’aucun message d’alerte ne parvient jusqu’aux responsables. En tous cas, j’ai payé assez cher pour ça.

Il commence à se réveiller.

Il porte les deux mains à sa gorge… et tousse comme un damné. Maintenant que le liquide ne le soutient plus, il paraît très affaibli et a du mal à tenir sur ses jambes. Sûrement toutes les insolentes expériences de ces stupides scientifiques. Enfin la cuve s’ouvre. Le moment est intense. Je dois tout de suite lui montrer ce que je vaux !

La phrase que j’avais préparée s’efface devant sa faiblesse. D’abord, il faut que je le sorte de là… non, que je le nourrisse. Non, pas ici, pas devant les caméras qui retransmettent tout aux gamins pirates qui n’en perdent pas une miette. Je dois d’abord le sortir de là. Je mets son bras autour de mes épaules et je le traîne à moitié jusqu’à la sortie. J’aurais dû prévoir quelque chose, comment je vais le porter jusqu’à la planque maintenant ?

Force et sacrifice pour mon maître… et puis un petit coup d’amphét, ça aide. Je ne sens plus la douleur, je le porte et je cours. Derrière moi tout se remet en place sans un bruit.

Une fois dehors, le cyber-rat s’apprête à me suivre. Et puis quoi encore ? Il faut qu’il reste là le plus longtemps possible, pour que personne ne s’aperçoive de l’évasion. Les codes de sécurité changent sans cesse, il ne peut pas se contenter de laisser sa machine là et d’aller faire un tour ! D’un geste je le menotte à une borne du pavillon. Qu’il se fasse attraper par la première équipe de sécurité humaine, je m’en fiche car je sais qu’il ne me dénoncera pas. Je suis invincible !

Je cours jusqu’à la sortie, mon nouveaux Maître sur les épaules. Invincible ! Non, ça ne peut pas être que l’effet de la drogue : je vais enfin obtenir tout ce que je désire… mon cœur qui bat si vite, ce n’est que du bonheur et de la fierté d’être si extraordinaire. Je serais la vampire la plus exceptionnelle du mooooooonde !

Il dort.

Je suis émue comme jamais je ne l’ai été. Une fois dans ma planque j’ai fait ce que j’ai put pour le soigner, puis j’ai passé une bonne heure à le contempler. C’est la première fois que j’approche un Maître. C’est une des créatures les plus extraordinaires de la création…

Et pourtant…

Enfin, je trouve son apparence très ordinaire. On dirait un humain, dans les 25 ans. Il est assez trapu et ses muscles sont sûrement gonflés artificiellement. Son visage est empâté, sa bouche molle. Il porte un bouc noir complètement démodé. Pas de doute : il ne vient pas de la Faille, c’était un humain ordinaire avant de devenir un vampire. Evidemment, je le savais déjà : jamais on n’aurait laissé un véritable vampire originel avec un système de sécurité qui tient de la passoire. Mais j’avais quand même espéré…

Il faut vraiment que je diminue le S, ça me rend trop optimiste quand j’établis mes plans.

Pourquoi les vampires ont choisi de transformer ce type ridicule ?

Non, il ne faut pas que je pense ça ! A présent, c’est un Maître lui aussi. Et les Maîtres Originels avaient sûrement de bonnes raisons… C’est sans doute un monstrueux prédateur, sadique et cruel, qui se cache derrière cette apparence.

A son réveil, il aura faim. En gage de mon efficacité de future esclave, j’ai préparé un délicieux cadeau pour lui : Jonathan. Ainsi, je sacrifie mon unique ami, j’offre le sang d’un adolescent encore à peu près pur (physiquement au moins), et j’élimine la concurrence dans cette rude compétition pour avoir l’approbation des vampires. C’est lui qui m’a parlé de ce Maître et qui a organisé l’opération. Il comptait bien m’offrir en sacrifice et j’ai été plus rapide que lui. Enchaîné au plafond, j’ai bien veillé à ce qu’il puisse tout voir et crier tout son soûl. Si depuis son réveil il se tait et m’ignore, c’est uniquement pour m’embêter, une piètre tentative de vengeance en utilisant les seuls moyens à sa portée. Quel sale caractère ! C’est vraiment un cadeau parfait pour un vampire, il doit avoir un sang rebelle délicieux.

En attendant, je fais les cent pas, je tourne comme un fauve en cage et je tape dans tout ce qui passe à ma portée. Vivement que le Maître se réveille.

« Où je suis ? gémit une voix masculine qui m’arrache de mon sommeil.

Kzantra ! Je me suis endormie pile au mauvais moment !

Tout de suite, je me précipite et me prosterne respectueusement devant mon futur Maître.

_ Vous êtes chez moi, votre humble servante, Maître des Ténèbres.

_ Hein ? Où sont les docteurs ? Vous êtes qui ?

Ça ne se passe pas comme je l’avais prévu… il ne réagit pas du tout comme je m’y attendais.

_ Je vous ai libéré, Maître des Ténèbres. Vous êtes en sécurité ici. Ils ne vous retrouveront pas. Et s’ils vous retrouvent, je pourrais les tuer pour vous, Maître !

Il me regarde bizarrement, puis lève la tête… et hurle en apercevant Jonathan.

_ C’est quoi ça ? crie-t-il.

_ C’est un sacrifice… pour votre réveil… Je…

Malheur, mon cadeau ne lui plait pas ! Peut-être qu’il aurait préféré une fille vierge ? Un nourrisson ?

Mais il se calme et paraît prendre une décision. Il me dit :

_ Ah, bien, bien. Parfait. Mais je ne vais pas le manger tout de suite. Toi… tu es mon esclave, c’est ça ?

_ Oui Maître, si vous daignez m’accepter !

_ D’accord. Je… je t’accepte. Viens par là, esclave.

Enfin ! Je suis si heureuse !

_ Je t’ordonne de le détacher et de le descendre de là. Ensuite on ira faire un tour. Heu… on est loin de la ville ?

_ Non Maître, nous sommes tout près du centre ! Mais vous ne pouvez pas sortir maintenant, il fait encore jour. La nuit tombera dans six heures.

Tout en parlant je descend Jonathan et je le libère. Ça me met un peu mal à l’aise, parce que maintenant on dirait que nous sommes à égalité, et rien n’empêche le Maître de vouloir échanger l’esclave et le sacrifice. Mais non, c’est moi qui ai sauvé le vampire, il est impossible qu’il me trahisse !

Il fait signe à Jonathan de s’approcher et lui parle tout bas. J’en frémis de rage et de jalousie. J’auras dû tuer cet infâme bâtard et offrir une brochette de cyber-rats à la place ! Il n’a même pas l’air soumis, juste… sérieux et décidé. Puis il me regarde. Aucun doute, il veut me tuer.

Je dégaine mon revolver et le pointe droit sur lui. Il reste impassible, c’est le Maître qui a l’air effrayé – mais qu’est-ce qui se passe ?

Un doute affreux me saisis. Oh non, tout mais pas ça…

Je demande – froidement, calmement :

_ Maître, vous êtes bien un vampire, n’est-ce pas ?

Il hoche la tête. Il transpire. Je continue :

_ Prouvez-le. Tuez ce garçon. C’est votre déjeuner.

Il se ressaisit un peu et répond :

_ Pas tout de suite. Je vais d’abord boire un peu de son sang, je l’achèverai plus tard.

Jonathan ne fait pas le moindre geste pour se défendre quand le vampire l’attrape et lui mord le cou de deux canines incroyablement longues. Il me jette un regard mi-méprisant, mi-fier, histoire de bien me faire remarquer qu’il a l’honneur avant moi alors que le Maître veut le garder en vie. Puis ses yeux partent dans le vague et il s’évanouit. Le vampire le rattrape très délicatement et l’allonge. Il y a encore un peu de sang qui coule le long de ses lèvres. C’est vraiment un Maître des Ténèbres ! Dévore-moi à mon tour, ô Roi de la Nuit !

Pour la première fois, il me regarde droit dans les yeux.

_ Voilà, tu es satisfaite ? »

Bien sûr, je me jette à ses pieds et j’implore son pardon ! Maintenant que je suis en faute, comment est-ce que je pourrais lui prouver ma valeur ? Supplier flatte ses instincts dominants mais lui donne une piètre opinion de moi. Fébrilement je lui propose des chasses, je lui explique comment je compte le cacher, comment je l’ai libéré… Bavardage futile de mortelle. Il se recouche et me dit juste de le réveiller dès que la nuit sera tombée.

J’attends donc, de plus en plus impatiente. Ma première chasse !

Bien sûr, il a fallu que mon rival soit de la partie… A peine sorti du coton, un sourire extatique aux lèvres, il doit se tenir au mur pour marcher mais il est là. Je crois que je n’ai jamais autant regretté de ne pas l’avoir tué avant.

La chaleur de la journée ne s’est pas encore dissipée mais les étoiles brillent déjà. C’est une belle nuit. Je sens l’air caresser ma peau et l’embraser – qu’est-ce que j’ai pris comme cocktail chimique encore…  Peu importe, même la douleur est un bonheur maintenant que je chasse avec un véritable Vampire !

Je lui demande :

« Maître, voulez-vous que je vous rabatte quelques proies ?

_ Pas encore. Il faut que j’aille dans un commissariat.

_ Oh oui ! Pourrais-je mettre le feu ? Personne ne vous échappera, maître !

_ Non. Toi tu attendra dehors. Je… Je vais voir quelqu’un en particulier.

_ L’un des nôtre fait parti de la police ?

_ Oui oui… »

Il ne veut rien me dire de plus. Je suis contente quand même de lui avoir parlé de mes idées, histoire de prendre une longueur d’avance sur Jonathan et surtout de lui montrer que je suis une dure moi aussi.

Nous passons devant un parc entouré d’une bulle pour protéger les arbres de la pollution. A l’intérieur jouent des enfants. Héhéhé…

Je n’ai aucun crime inscrit sur le casier de ma carte d’identité, je peux donc sans aucun problème franchir le portail électrique, attraper un gosse de trois ans sous les yeux médusés de sa nounou et courir à toute allure !

Et je ris, comme une malade, comme une folle, comme une condamnée, l’enfant pleurant dans mes bras, je ris et je cours et… mais où sont-ils passés ?

Je cours encore, je cherche, je m’affole, non c’est impossible ils ne peuvent pas… ils ne m’ont pas… Vite, j’attrape mon désintox et le colle sur ma peau, réglé au maximum, pour effacer l’effet de chaque drogue que j’ai dans le sang. La chute est brutale, atroce, et ne m’apporte rien. Ils sont vraiment partis sans que je sache où !

Si ! Le commissariat ! Je fonce, laissant le gosse à sa mère qui a profité de mon égarement pour me rattraper et promet de porter plainte – ça me fait une belle jambe ! J’entre comme une furie, pas besoin de drogue pour avoir le cœur qui bat à cent à l’heure, pas le temps de se renseigner mais j’ai reconnu sa voix, là, dans ce bureau, et le souffle court je me précipite.

En entendant la porte, il se tourne vers moi et hurle :

« Là, c’est elle la folle qui m’a kidnappé ! »

QUOI ? Qu’est-ce que c’est que…

Trop tard, la policière m’a déjà tiré une cartouche anesthésiante et tout se brouille…

Sauf qu’avec les doses que j’ai l’habitude de me prendre, il en faudra bien plus que ça pour m’arrêter, ma belle. Je VEUX devenir un vampire, et je boirai le sang de mon Maître, de gré ou de force ! Je fais semblant de tituber comme si j’allais m’écrouler, oh pas longtemps, trois pas sinon ils vont se douter de quelque chose, puis d’un bond je me jette sur lui. Je lui attrape le bras et le mords jusqu’au sang. J’aspire tant que je peux. Peut importe les flèches qui se plantent dans ma peau, deux, dix, je ne sais plus, laisser-moi boire, encore, j’en ai le droit c’est le sang de mon Maître… Je sombre.

Epilogue

Bien du temps plus tard… Après les deux nuits en prison, après les larmes de mes parents, après les médecins… Je suis moi aussi pensionnaire du pavillon A-2834. C’est ma dernière visite psychologique, si je la réussis, ils devraient me laisser sortir.

« Alors, mademoiselle Nimr, pouvez-vous me donner votre point de vu sur ce qui vous est arrivé ces six derniers mois ?

_ J’ai voulu avoir de la puissance et j’ai cru que les vampires me la donneraient. Heureusement je suis tombée par hasard sur Enoch, qui n’est pas un vampire. Pas un monstre, en tout cas. Ce n’est qu’un être humain tombé malade par une mutation magique de la leucémie, qui se nourrit de sang et peut sécréter une drogue d’apaisement par ses canines, et c’est tout. Il n’y a rien de magique là-dedans. Et par ma bêtise, je me suis contaminée moi-même, ce qui m’obligera toute ma vie à me nourrir de sang humain synthétique.

_ Et maintenant, que pensez-vous de vos anciennes ambitions ?

_ J’ai eu une occasion à cause d’un de mes camarades, Jonathan. Je n’avais jamais pensé aux Vampires avant, et à présent que je souffre d’un handicap, j’ai plutôt l’intention de me concentrer sur ma vie. Je laisse derrière moi les rêves de pouvoir et de destruction. C’est en travaillant dur que je vais devenir quelqu’un d’important.

_ Très bien ! Mademoiselle, vous avez fait de gros progrès. Il nous reste encore de nombreuses découvertes à faire à propos de votre maladie, il est d’ailleurs possible qu’un remède soit trouvé dans un jour très proche, aussi je dois vous maintenir à la disposition de notre équipe… Mais il est grand temps que vous rentriez chez vous pour mener une vie normale. Vos parents ont été prévenus. Bonne chance. »

Il me serre la main et me sourit. Comme prévu, cet entretien n’a été qu’une formalité : il m’a testé auparavant par un programme de son invention et bien sûr ne va pas laisser le moindre doute le remettre en cause… Heureusement qu’il me restait quelques contacts chez les cyber-rats. Eux n’ont pas besoin de savoir que j’ai échoué, que je ne suis qu’une vampire ratée, que jamais les Maîtres ne daigneront boire mon sang souillé… Non, il ne faut pas que je pleure, surtout pas maintenant, plus que quelques minutes et je serais libre…

Et d’ici peu, le monde entier le regrettera amèrement.

Fin

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Commentaires
L
Cette histoire retrace les origines de la vampirette, c'est à dire comment elle est devenue ce qu'elle est dans la première histoire (à savoir une femme frustrée, orgueilleuse, violente, agressive, pas très habile et assez chtarbée). Donc j'avais une bonne idée d'où je voulais aller, mais pas trop de comment j'y allais... Je suis très contente du début, jusqu'à l'évasion en fait, la suite il faudra que je revois ça ! Pas d'idée tombée du ciel ce coup-ci, j'ai improvisé au fur et à mesure.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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