Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ecriveuse en herbe
4 décembre 2006

Souvent seule le soir ***

Souvent seule le soir

Ce soir comme tous les soirs je suis seule. J’ai une chambre, très jolie, chez des gens. Je l’ai décorée moi-même. Il y a des petites fleurs et des tissus. Tout est très très gai.

Ce soir, j’en ai marre d’être seule. J’ai l’impression d’être morte, en fait. Je ne ressent plus rien. Je suis sûre que je suis un zombie, un cadavre. Depuis un moment, je joue avec des ciseaux. Après tout, il y a un moyen simple de vérifier.

J’écarte les lames et je remonte ma manche. Je caresse mon avant-bras, je ne sens même pas le froid des lames. J’appuie, et puis j’entaille carrément. Ça coule, bien rouge, bien vivant. Et ça fait putain de mal. Je m’engueule moi-même, à voix basse, et je vais nettoyer tout ça. L’eau devient rouge, c’est si joli.

Je saigne beaucoup, je vais sans doute mourir. Ok, ça me va.

Tant qu’à y être… j’ai envie d’essayer encore.

Je me glisse dans le garage. Ici, il y a tout ce qu’il faut pour s’amuser. En premier, un sécateur. Je glisse mon index entre les lames. Non, je n’oserai jamais… En même temps, c’est excitant. J’ose, j’ose pas ? J’ai le cœur qui bat à toute allure.

J’ose.

La douleur est pire que tout à l’heure, elle me remonte dans tout le bras, comme un courant électrique. Je crie, heureusement il n’y a personne. Le doigt est coupé jusqu’à l’os, ça gicle. Insuffisant, je veux le détacher de ma main, le piétiner, ou jouer avec comme un chat. Je l’attrape et je tire dessus, l’os n’est plus attaché par beaucoup de chair mais il en reste pas mal sur les cotés. Je déboîte mon os comme un os de poulet, avec le même petit bruit qui craque, et je tire bien pour enlever les bouts de peau et d’autres machin qui restent. C’est marrant, mais à cause du sang mon doigt me glisse entre les autres doigts. Je lève ma main blessée à hauteur de mon visage, l’index pendouille comme une pauvre petite chose morte. Je le met à ma bouche et je coupe ce que je peux. C’est pas très bon, c’est douceâtre et écœurante, je trouve que ça manque de sel, et cette idée me fait pouffer de rire, ça jette des postillons rouges partout.

J’arrive à arracher mon doigt.

Est-ce que je m’en fait un autre ? J’ai tellement mal, ça ne peut pas être pire. Autant m’amuser.

D’abord, je vais le manger. Tant qu’à être dingue, autant être dingue jusqu’au bout, et la viande crue c’est vraiment trop dégueu. Je monte dans la cuisine, mon doigt précieusement serré dans ma main valide. Je le fait sauter à la poêle, bien salé. Mais il pue très vite, à cause de l’ongle qui fond et brûle. Je l’avait verni en vert ce matin.

Je goûte mon doigt. Trop cuit autour, cru autour de l’os, je n’aime pas trop. Je ronge un peu l’os, ça ne fait rien de spécial. A part ça, je saigne toujours, et j’attends de mourir. J’ai quand même la tête qui me tourne un peu, je m’assoie, en tailleur sur le carrelage. J’ai mal.

Je remonte ma main blessée contre mon cœur, et je met mon moignon de doigt dans ma bouche, comme je le faisait avec les coupures quand j’étais petite. Avant d’arracher la croûte.

Je prend un couteau et commence à me piquer le visage avec. J’enfonce un tout petit peu la pointe, jusque assez pour faire un tout petit point de sang, sur mon menton, sous mon menton, sur la gorge, sur l’épaule, sur la joue… Sauf que sur la joue, j’appuie un peu plus, je n’ai jamais put supporter mes joues. Je me fais une belle balafre verticale, entre la mâchoire et l’œil, en faisant glisser le couteau de haut en bas, encore un peu, et encore un peu, et j’ai beaucoup moins mal que pour le doigt, ça m’encourage. Je sourie, ça fait tout bouger et je saigne comme une cascade. Je sens le sang me couler sur l’épaule, je le vois me dégouliner sur le bras, il y en a vraiment un paquet. Allez, depuis tout à l’heure j’ai bien dû perdre mes 5 litres ?

Je me sens très lucide, très éveillée, comme si toute ma vie j’étais restée dans un voile cotonneux et que je viennes de l’enlever. Je sais ce que je fais, et je sais pourquoi je le fais. Je me relève en glissant un peu sur le sang. Debout, bien droite, les idées claires, je penche mon couteau et me dessine une croix sur l’œil, pas celui au-dessus de la joue coupée, l’autre, avec la lame. Au premier passage mon œil crève. Extinction des feux. Ça coule, ça suinte, ça pue, ça me dégouline le long de la joue, du menton, et j’aimerais bien couper cette foutue douleur pour suivre la sensation comme il faut. Et le truc tombe par terre, sur le carrelage, j’entend le plof de l’atterrissage.

Ma main tremble quand je trace le deuxième trait, dans l’autre sens. J’entaille moins profond. J’ai mal comme je n’ai jamais eut mal de toute ma vie, et mes trois douleurs -  ma main, ma joue et mon œil – se rejoignent dans une torture qui m’envahie toute entière, des pieds au sommet du crâne. Je suis foutue ; j’essaye un dernier truc, pour finir en beauté. Les premiers qui trouveront mon corps vont vomir, autant faire aussi gerber les pompiers.

Je lâche le couteau qui tombe dans un tintement assourdi – je crois que je n’entends plus très bien. J’ai le cerveau qui bourdonne. J’allume le gaz sous les trois brûleurs, flamme maximum. Et je pose, délicatement, mon visage torturé dedans. Mes cils et mes cheveux fondent si vite que je m’en rend à peine compte. Je sens peu les flammes sur ma joue et mon œil coupés, mais très fort ailleurs. La douleur est moins vive qu’avec le couteau, mais je dois utiliser mes dernière réserves de force pour rester. Et maintenant je n’en peux plus.

Je me laisse glisser à terre. Mon autre œil va bien, enfin je crois, de toutes façons je ne peux plus ouvrir ma paupière brûlée alors je m’en fous. Je me recroqueville sur le coté, comme un monstrueux fœtus de douleur. Je n’arrive plus à bouger un seul de mes muscles. Je ne peux plus ouvrir la bouche, je crois que mes lèvres sont soudés. C’est maintenant qu’il faudrait que je meurs.

J’attends.

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Je comprends que ça risquerait d'inquiéter tes parents! Moi, ouhlàlà, j'ai pas pu aller au-delà du moment ou tu mets le doigt coupé dans la bouche. J'ai eu des hauts-le coeur terribles. T'es affreuse comme fille!!!<br /> Une chose par contre, tu écris vraiment, vraiment avec beaucoup de talent.
L
Ecrit en janvier ou février 2006 pour un atelier Deslyres. On venait de voir "la nuit du gore" au cinéma de la fac et on a décidé d'écrire des textes gores, sur le thème "souvent seul(e) le soir". Moi je n'arrivais pas à faire des gens qui torturent des gens, ça me mettait super mal à l'aise, du coup j'ai écris l'histoire d'une fille qui se torture elle-même, ça allait mieux (même si je tremblais vraiment en écrivant certains passages). Comparé aux films, ça me paraissait très petit joueur. En fait, quand on a lu tous nos textes, le mien était le pire. Grand moment de solitude.<br /> Et je l'ai posté le 4 mai 2008, bien planqué au fond de mes archives, parce que je ne veux pas que mes parents tombent dessus. Ca les inquiéterait pas mal, je pense. Quoique moins qu'à l'époque.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité