Zéro **

Zéro

On est plusieurs dans l’école à croire aux fantômes. Même qu’il y en a un dans les toilettes. Il y a un cabinet où on peut pas entrer parce que sinon, on a super mal à la tête, et si on y retourne on saigne, et si on y retourne encore on est mort. Mais on sait jamais lequel c’est, parce que c’est jamais le même. Alors on fait attention, on se retient, on va jamais jamais trois fois dans le même cabinet, même si les deux premières fois il s’est rien passé, parce qu’on a peur. Moi j’ai peur, comme tous les autres, mais je fais semblant que non.

Ce matin je sais pas bien ma poésie et c’est la toute première fois, alors forcément la maîtresse le voit et elle m’interroge. Je vais à l’estrade et je crois que je vais tomber dans les pommes comme Martin qui a du diabète. Je vois du blanc dans ma tête, je sais plus rien. La maîtresse elle m’aide mais j’entends rien et je vois la classe et le blanc de ma tête au milieu et j’ai peur. J’entends : « Loanne, zéro ! ».

La suite je sais pas. Je retourne à ma place. J’ai très très froid. J’ai plus de sang dans la tête. Je lève le doigt et je demande :

« Madame, est-ce que je peux aller aux toilettes ? »

Evidemment, il a suffit que je mette un zéro à Loanne pour qu’elle tombe malade. C’est vraiment trop stupide de prendre une note autant à cœur, alors que si elle n’avait pas paniqué elle aurait pu s’en sortir, elle a une bonne mémoire. Je ne vais quand même pas l’accompagner, tout ça c’est du cinéma. Enfin, si vraiment elle vomit, autant qu’elle ne le fasse pas sur la moquette.

J’entre dans le premier cabinet. J’ai vachement froid, j’espère que c’est le bon. Je ressors. Je sens rien. J’essaye celui d’après. Rien. Et dans le troisième, enfin, j’ai vachement mal à la tête. C’est là que je dois être courageuse, très très courageuse. Je ressors du cabinet. Je veux pas me regarder dans le miroir. Je me retourne et je pense au zéro, je respire très fort et je re-rentre dedans. Le sang me coule du nez. Il faut pas réfléchir, je sors et j’y re-vais.

C’est la troisième fois dans les toilettes du fantôme et d’un coup je me demande si ça va faire mal. Et puis le blanc revient dans ma tête pendant que j’arrive plus à respirer et là je comprends que je suis conne parce que…

La petite en met du temps ! Tant pis, j’y vais, comme ça elle pourra pleurer sur mon épaule, ça fait partie du boulot. Le pire, c’est quand ils ont besoins de mouchoir, ça devient vite dégueulasse un gosse malheureux. Mais quand j’arrive elle ne me réponds pas. Elle est pourtant là, dans le troisième cabinet. Porte fermée, je frappe, toujours aucune réponse. Tant pis, un coup de pied dans la porte et elle s’ouvre. Loanne est évanouie. Je l’attrape, merde elle ne respire plus ! Bouche-à-bouche. Rien. Encore. Toujours rien. Encore.

Le blanc dans ma tête et le zéro c’était tout le fantôme. Et je veux plus mourir puisque c’est pas de ma faute. Et d’un seul coup j’ai de l’air, plein, alors je sais qu’il m’a raté, que je vais pas mourir, et d’un seul coup je me sens heureuse.

Ce n’est que lorsque le SAMU emmène Loanne que je réalise où je viens de la trouver. Evidemment… Mais quand est-ce qu’ils vont enfin se décider à murer ces toilettes et ce salopard avec ?

FIN

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[Luma]

Je l'ai écrite dans un atelier d'écriture à Lombez, été 2004. Le sujet de l'atelier, c'était l'enfance. Après, il fallait réduire l'histoire jusqu'à ce qu'elle fasse moins de 3 minutes en lecture à voix haute, et je crois que j'ai un peu trop coupé...