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Ecriveuse en herbe
4 décembre 2006

Vampirette ****

Vampirette

Le commissariat est nettement plus discret que celui auquel j’étais habituée. Affaire de tempérament, je suppose. Là-bas on criait, on courait, on brassait beaucoup d’air et de paperasse. Ici les agents me paraissent plus, comment dire, nonchalants. Ils ne crient pas et se contentent de chuchoter. Ils marchent. Ils pianotent d’un air morne sur leurs écrans. Même les interrogés se font tout petits. Espérons que c’est le signe d’une meilleure organisation… Après tout, dans une aussi petite ville, c’est un miracle que l’on trouve encore des humains à l’intérieur : tout devrait être automatisé maintenant. Les forces d’interventions doivent être mélangées aux intouchables administratifs, quelque chose comme ça.
Bref. C’est pas que je m’ennuie, mais autant finir la corvée le plus vite possible, n’est-ce pas ? Les bornes de renseignements étant ornées d’un beau panneau Hors d’usage, je demande au planton de service :
« Où je peux trouver le bac-pé, s’il vous plaît ?
Il me regarde avec des yeux de bovin. Enfin, je n’ai jamais vu de véritable bovin, mais c’est tout à fait ces yeux là qu’ils auraient à mon avis s’ils avaient des lentilles mal réglées à leur conjonctivite.
Au moment où je commence à douter que le type soit doué de la parole, il ouvre un râtelier incroyablement jaune (encore un qui s’est fait avoir par son dentiste) et me demande :
_ Le quoi ?
Je suis tellement surprise de l’entendre me répondre d’une voix chaleureuse et humaine que je ne réagis pas tout de suite. Puis l’habitude embraye :
_ Le BACP, Bureau des Affaires et Créatures Paranormales, s’il vous plaît.
_ Ah, Bizarreland ? C’est au fond du couloir, à droite. Demandez à Bizarreman quand vous le verrez. »
A coté de nous, tous les autres agents se marrent plus ou moins franchement. Génial, vraiment génial. Je sens que je vais adorer l’ambiance de cette foutue ville paumée. L’idéal pour faire de nouvelles connaissances sympathiques et enjouées, c’est moi qui vous le dit.
Au fond du couloir à droite, je ne trouve qu’un escalier qui descend. Pas de panneau. Je le suis quand même. Et, au bout d’un temps d’errance beaucoup trop long à mon goût, je finis par dénicher une porte sur la plaque de laquelle on a scotché un autocollant « Bizarreland – frappez avant d’hanter ». Bon sang, si l’auteur est le comique du coin, il y a de quoi se pendre, à mon avis. Mais, docile, je frappe avant qu’une voix masculine ne m’invite à entrer.
Apparemment, on a collé le BACP au milieu des archives. Dans le coin minuscule qui n’est pas occupé par les immenses armoires métalliques (en plein XXIème siècle, on croit rêver !), on a mit une table, une lampe, deux chaises, un ordi et une peluche aussi marrante qu’indéfinissable. Le type présent (que je suppose être le maître des lieux) doit se contorsionner pour passer derrière la table et me laisser ainsi un peu de place. Il est assez jeune, en tout cas il a une bouille sympathique de gentil garçon. Pas mal, quand on aime le genre. Ce qui n’est pas mon cas. Je lui fais quand même le plus beau sourire que je puisse sortir malgré ma nervosité. Il sourit aussi. On reste là un moment, à se sourire tout ce qu’on sait, jusqu’à ce que je trouve quelque chose à lui sortir :
« Vous vous appelez vraiment Bizzareman ?
Je sais, c’est très con comme question, mais j’aimerai autant savoir si c’est lui qui est l’auteur du petit panneau comique à l’entrée. Son sourire s’efface un peu, puis repart vaillamment :
_ Non, non, moi c’est Trulidet, Alité Trulidet. Je suis le responsable de la branche BACP de la ville, et victime préférée des collègues. Mais ne vous en faites pas, je suis tout à fait compétent dans mon domaine. Même si je ne suis pas très occupé, en ce moment, vous avez de la chance.
Evidemment, j’imagine mal des cannibales ou des sof-sofrs venant organiser leurs raves dans ce bled paumé. Encore un idéaliste, qui s’imaginait que travailler au BACP le ferait bosser entre les elfes et les fées, à poursuivre les méchants loups-garous… Autant en finir.
_ Je viens pour me faire recenser.
_ Ah ? Bien sûr, ma foi, il n’y a aucun problème. Personnellement, je n’aime pas cette histoire de recensement, mais bon, comme ça vous serez ravitaillée. En tant que quoi, d’ailleurs ?
_ Vampire.
J’aime quand je prononce ce mot magique, j’aime quand cette petite lueur d’angoisse s’allume dans leur œil et qu’ils retiennent leur souffle. J’aime quand ils me regardent, pour de vrai cette fois.
Sans doute rassuré par mes bouclettes dorées, mes joues roses et mes lunettes assorties, Trulidet se reprend néanmoins très vite, et me demande sur un ton professionnel :
_ Quelle catégorie ?
Et voilà comment on passe de mon moment préféré à mon moment abominé, de celui où je suis sous le feu des projecteurs à celui où je me casse un talon.
_ Maladie. Leucémie CX lirème. Forme bénigne contrôlée.
_ Ah bon, une vampirette alors ?
L’envie me prend d’effacer son sourire d’imbécile. Avec les ongles. Mais il se reprend tout aussi vite que tout à l’heure :
_ Excusez-moi, je manque de tact… Bien, alors il me faut votre nom, votre numéro d’assurée, vos codes traitants, votre…
_ Tenez, lui dis-je en lui tendant le dossier que j’ai préparé.
Le salopard prend son temps pour le consulter, faisant sans doute durer le plaisir. De temps en temps, il émet un commentaire : vous vous appelez Sirana, c’est un joli prénom, vous avez pas mal bourlingué dites-moi, vous êtes suivie par Lui-Wen ? Je l’ai vu à la télé, il est très réputé, vous aimez le poulet ?
_ Je l’abomine.
Cette fois, il relève la tête.
_ Pourtant, vous avez travaillé pendant 6 mois dans…
_ Justement. Maintenant, le sang de poulet me fait vomir. Je préfère de loin le lapin. Pour mes petits extras, bien entendu, puisque l’essentiel vient de mes rations…
Volontairement, je laisse traîner la fin de la phrase, tout en louchant vers son bureau. Il comprend, s’empourpre et me sort les précieux tickets de plastique vert, échangeables contre dix litres de sang humain artificiel dans toutes les banques, hôpitaux et supermarchés de France. La salive me monte aux lèvres dans un réflexe pavlovien, mais je parviens à me contenir. Pas question de jouer les bêtes féroces.

Les formalités (signature, etc…) sont très vite remplies. Et, lorsque je quitte le bureau exigu, j’entends derrière moi un soupir que ne justifie vraiment pas la jupe mi-longue que je porte ; le pauvre doit être en manque. Tout comme moi, mais moi c’est du sang qu’il me faut.
Les tickets s’entrechoquent dans ma poche, comme une promesse, et rien que ça c’est bon.

6 mois plus tard 

Enfin, je rentre du boulot. C’est la pire journée que j’ai jamais passé de ma vie. Ce qui est faux, évidemment, la pire journée étant toujours celle… à laquelle je ne veux pas penser. Mais bon, dans la catégorie des journées pourries sans aucun événement particulier, celle-ci remporte la palme. Ma chef doit descendre de Lucifer et de Margaret Thatcher, je ne vois pas d’autre explication.
C’est pendant que je sors mes pieds des engins de torture que les grandes marques tentent de faire passer pour des chaussures que le téléphone sonne. Qu’il le fasse. Mon écran me signale en caractères gras que j’ai un appel, comme si ce détail m’avait échappé. Merde, ils attendront. Priorité : bain brûlant, robe de chambre et charentaises. Je me penche vers l’ordi pour couper le téléphone et le tchat automatique.
C’est alors que je remarque que l’appel vient du BACP local.
Je décroche, tout en laissant la webcam débranchée. Hélas, Trulidet n’a pas la même délicatesse, et son visage chiffonné envahit mon écran.
« Qu’est-ce qui se passe ? lui demande-je un peu sèchement, pour masquer mon angoisse.
_ Heu, rien de grave, heu, ne vous en faites surtout pas. Une simple formalité. Bonjour, mademoiselle.
_ Bonsoir.
_ En fait, j’aurais besoin de… enfin, non, pas moi, c’est un enquêteur mais comme vous dépendez de mon bureau j’ai… mince, je m’embrouille, pas vrai ?
Je dois me mordre la lèvre pour ne pas lui répondre ma façon de penser. En voilà des manières ! A tous les coups une excuse foireuse pour me revoir et me balancer un rendez-vous foireux pour… je ne veux pas y penser. Mais le sang se répand dans ma bouche et me calme. L’auto-vampirisme est une drogue que je maîtrise parfaitement.
_ Oui, mais prenez votre temps, je n’ai pas de train à prendre.
Un sourire reconnaissant illumine mon écran. Il doit vraiment être le plouc de la ville pour avoir autant besoin de la moindre gentillesse.
_ Mes collègues ont besoin de vous… de votre témoignage. C’est moi qui vous appelle parce que j’ai votre dossier, mais l’enquête viens d’un autre bureau…
_ Bref, je dois être interrogée ?
Autant interrompre le calvaire…
_ Oui. En… en direct, vous voyez ? En C.O.
Une convocation en Chair et Os… Merde, merde, merde.
_ C’est quoi cette affaire ?
_ Je ne peux pas le dire, pas ici. Pourriez-vous venir, s’il vous plait ?
_ Quand ?
_ Le plus vite possible. »

Si on me braquait une lampe dans les yeux, on pourrait se croire dans une mauvaise série du début du siècle. Tout y est : les deux flics gauches et agressifs, le bureau pourri, les stores baissés (par crainte de la pleine lune, sans doute). Une seule variante : Trulidet, qui me couve du regard, et arrête les deux autres dès qu’ils sont trop brusques. Pas de doute, je suis ‘‘sa’’ protégée ; j’aimerai seulement savoir si ça va me servir ou l’inverse…
L’interrogatoire dure dans les vingt minutes, mais j’ai l’impression qu’il a pris des siècles, ou au moins deux bonnes heures. Marrant comme, dans ces moments-là, le temps s’étire. Le thème est simple : qu’est-ce que j’ai fait la nuit du vingt-six décembre entre dix-neuf et vingt-deux heures, c’est-à-dire hier soir. Et dans les détails, s’il vous plait. Pas de pause ni de trou de mémoire, ce serait trop facile : je dois donner un compte rendu digne d’un ordinateur militaire, chaque hésitation est suspecte, chaque silence en dit long, etc, etc…
Enfin, je peux sortir, toujours suivie du fidèle Trulidet. Je m’adosse à un mur, l’épreuve a été plus rude que prévue. Et là, enfin, j’explose :
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?


« Lapin ? me propose-t-il d’un ton aimable.
Je le regarde sans comprendre, alors il se baisse et attrape dans une cage sous son bureau un petit lapin vivant, juste un amuse-gueule, mais le geste est plutôt charmant de la part d’un flic que je ne vois que pour des raisons administratives. Je dois vraiment être la seule créature ‘‘paranormale’’ de la ville.
Avec un petit sourire courtois, je le remercie. La boule de poil ne tremble pas dans ma main. Trulidet m’explique qu’étant donné que… enfin, l’autre fois, il n’avait rien pour me recevoir, à part la machine à café, mais… enfin bon… comme j’avais dis que… Je le laisse patauger, en fait je ne l’écoute même plus. Un des partisans de mettre du sang en plus du café et du chocolat dans les distributeurs, sans doute, pour qu’il n’y ai pas de discrimination envers les vampires. Le problème, c’est que les vrais vampires, eux, n’en ont strictement rien à faire qu’on ne leur permette pas de vivre comme des humains – ce sont des vampires !
Tandis que je mords dans ma délicieuse friandise et que le lapin se détend sous l’effet de la drogue de mes canines, je me concentre sur le meurtre. Le sang va directement à mon cerveau et stimule mes neurones. En quelques secondes, mon plan et toutes ses variantes sont prêts.
« Pourriez me rendre un petit service, monsieur Trulidet ?
_ Oh, je vous en prie, appelez-moi Alité. »
C’est dans la poche.

Le rendez-vous suivant a lieu chez moi. Trulidet (pardon, Alité) a estimé que ce serait plus discret, et moi plus pratique, que son placard à balai. Pour ne pas avoir à ranger, je nous ai installés dans la cuisine ; la seule pièce impeccable de la maison. Pour tout dire, je n’en ai pas l’usage.
Objectif : trouver qui, à par moi, aurait pu tuer le gros Gerlly, et le balancer en pâture aux autres condés pour qu’ils me fichent la paix. Alité appelle ça ‘‘faire la preuve éclatante de votre innocence, mademoiselle’’. Il est mignon.
Ceci dit, officiellement, il ne fait pas partie de l’enquête. On l’a appelé parce qu’il est responsable, au cas où je me mettrais à me jeter sur tout le monde et à leur sucer le sang. Mais pour les détails intéressants, il a dû pirater… la mémoire de l’imprimante.
« Vous comprenez, Stiller et Marlin sont de la vieille école. Ils écrivent tout, ensuite le tapent dans l’ordi, laissent le programme tirer ses conclusions et impriment, au cas où. Ils ont appris à se servir d’un ordi au temps où ils buggaient, ça doit être pour ça. En tout cas, pas moyen de pirater leurs bécanes, mais aucune protection sur l’imprimante… Tenez, j’ai trouvé ça d’intéressant. »
Dis donc, il prend de l’assurance, le petit Trulidet ! Et surtout, c’est le complice idéal. Il a bien mérité un café pour la peine. Et moi une petite poche de AB+.
Je remarque qu’il détourne pudiquement les yeux, je n’y avais pas fait attention hier. Apparemment, il a étudié son sujet. Sauf que ce sont les vampires qui ne doivent pas être regardés pendant les repas (peut-être que ça leur donne des envies de dessert ?), pas les vampirettes. A moins que ce ne soit tout simplement de la délicatesse. Difficile à dire.
Bon, au boulot ! J’épluche les rapports, tandis qu’Alité, qui les connait déjà par cœur, dessine un plan des lieux pour mieux comprendre comment le meurtre a pu se dérouler. L’essentiel, c’est le parc : il n’est pas fermé, mais les arbres et la disposition des immeubles rendent son approche difficile si on ne passe pas par l’entrée. Et, surtout, la neige a permi d’écarter définitivement cette hypothèse. Donc, l’assassin est forcément passé par l’une des trois entrées officielles ou par ma maison, en escaladant le muret et en traversant le jardin.
Trajet suivi par l’assassiné (toujours merci la neige) : il entre par la porte Nord, suit le chemin vers l’Est, le quitte pour couper un virage, ce qui lui fait longer la mare, puis rejoint celui qui descend plein sud et longe ma maison, se fait assassiner, est traîné toujours dans la même direction jusqu’à la porte sud, puis jeté dans la benne qui stationne souvent là. Avec autant de détails, retrouver l’assassin devrait être un jeu d’enfant, même pour des flics. Si seulement ce jeu ne me désignait pas comme coupable…
« Bon, résume Alité, il est évident que l’assassin est passé par votre jardin ou attendait M. Dumarchais devant votre portail. Que faisiez-vous au moment du crime ?
_ J’étais sans doute en train de pester contre ma patronne.
_ Ca ne marche pas fort ? me demande-t-il timidement.
_ C’est tout simplement un désastre. Je n’étais pas faite pour être assistante de direction. En réalité, c’est une façon politiquement correcte de dire paillasson. Ce soir-là, je suis rentrée chez moi vers 19H30, j’ai garé ma voiture dans le jardin, tout était normal. Dans la maison, j’ai téléphoné, j’ai mangé, je me suis fait couler un bain, et je crois qu’au moment où on a ramassé le cadavre je surfais sur les infos.
_ A quel moment auriez-vous pu avoir vue sur votre portail arrière ?
Je déteste ce langage administratif des flics et des agents du fisc.
_ J’ai vérifié, j’ai raccroché à 20H36, vous voulez les secondes ? Ma baignoire était programmée pour 20H45, vous pouvez vérifier. Ce qui me laisse 9 minutes de battement que, croyez-le si vous le voulez, je n’ai pas consacré à guetter un meurtre possible depuis ma fenêtre. J’ai branché le net à 20H59. Tout ça est facile à vérifier. Pourquoi les dinosaures qui vous servent de collègues ne se sont même pas donné la peine de saisir mes appareils ?
_ Sans doute parce que vous travaillez dans une entreprise de logiciels importante. Ils pensent que vous êtes une crack qui peut facilement trafiquer tout ce qui est informatique.
_ Les cons !
Il baisse le nez et ne répond pas. Par solidarité avec ses collègues ? Je me retiens de ne pas le taquiner, le choquer ; il est mon allié le plus précieux et ne me coûte rien, ce qui ne se refuse pas.
Nous réfléchissons encore.
_ Puisque nous partons du principe que vous êtes innocente, il me paraît plus simple de trouver le véritable auteur du crime selon une enquête classique. Cherche à qui le crime profite, etc…
_ On peut voir cette question sous deux aspects. Qui aurait intérêt à tuer Dumarchais, ou alors qui aurait intérêt à me faire condamner pour meurtre.
_ Quelqu’un qui n’aime pas les vampires ?
_ Je ne suis pas une vampire.
Je me tourne vers la fenêtre, style mélancolique sur le retour, pour ne pas montrer mes dents serrées jusqu’au seuil de la douleur. A cet instant, je hais Trulidet. Je m’oblige à respirer lentement. Ça passe. Heureusement, il n’insiste pas. J’ajoute à mi-voix, pour le lancer sur l’autre piste :

_ Qui aurait pu en vouloir à ce point à ce gros porc ?
Alité a l’air surpris. Il sourit un peu nerveusement :

_ Vous me paraissez avoir de solides préjugés contre la victime. Depuis quand le connaissiez-vous ?
_ C’était l’amant de ma patronne. Ou c’est elle qui était sa maîtresse, je ne sais plus.
_ Pourquoi vous ne l’avez pas dit plus tôt ?
_ Il fallait me le demander ! Vous imaginez l’horreur, si on m’accuse de l’avoir tué par jalousie ?
_ Il était donc si laid que ça ?
_ Pire encore. Physiquement, ce n’était rien. Mais il était visqueux. Gluant. Sournois. Cruel. Manipulateur. Il aimait jouer à des jeux où il était sûr de gagner. Ceci dit, ne vous emballez pas. Je ne l’ai vu que deux fois. Les deux fois il m’a fait des avances, très grossières. Je l’ai remis à sa place.
_ Et ça remonte à quand ?
_ Deux, trois mois… Ecoutez, je n’ai pas envie d’en parler. La même chose a du arriver à la moitié des assistantes, secrétaires et autres dactylos de cette ville. Ça ne veut rien dire.
_ Disons que ce détail peut avoir son importance. Votre patronne l’a-t-elle vu faire ? Aurait-elle put vouloir se venger de vous deux à la fois ?
_ C’est une idée monstrueuse, dis-je en grimaçant. Ceci dit, si vous pouvez la faire coffrer, j’applaudirai des deux mains.
_ Nous vérifierons son alibi. Dans le même ordre d’esprit, on peut soupçonner son épouse légitime.
_ Pourquoi me ferait-elle accuser ?
_ Sans doute pour des raisons d’ordre pratique. Et puis, je l’ai déjà rencontrée, et je crois qu’elle pourrait sans problème se faire passer pour vous aux yeux d’une grand-mère. Vous avez quasiment la même silhouette.
_ Par contre, ma patronne est une girafe. Ça ça se remarque, et puis on ne peut pas le déguiser.
_ Nous vérifierons tout de même. Il vaudrait mieux que vous le fassiez, ce sera plus simple pour vous. Ensuite, nous avons les enfants de M. Dumarchais. Ils ont 21, 13 et 7 ans. Je propose d’éliminer le plus jeune, qui n’aurait pas eu la force d’agir ni la taille décrite par notre témoin.
_ Eliminer… Vous avez de ces mots !
_ Qu’est-ce qui se passe ? Vous ne vous sentez pas bien ?
En regardant mon reflet dans l’écran du micro-onde, je m’aperçois qu’en effet, je suis toute blanche. C’est bizarre, je me sens pourtant parfaitement bien. Enfin, j’ai un peu froid, mais…
_ Si. Parfaitement. Donc il reste deux enfants. Sinon ? Des associés, des employés mécontents, voir un membre de la mafia qui l’utilisait pour blanchir de l’argent sale et qui le trouvait trop gourmand ? Sans oublier l’hypothèse du détraqué qui a frappé au hasard.
_ Si c’est un détraqué, il inaugure ici son premier crime, puisque la méthode ne rappelle personne de nos fichiers. On va commencer par le plus simple. J’enquêterai sur la femme et l’un des deux enfants, vous sur votre patronne et l’autre enfant. Dans deux jours au plus tard nous saurons si ces pistes sont bonnes ou non. Si elles ne le sont pas, nous ciblerons plus large.
_ Si je ne suis pas arrêtée pour meurtre entre-temps.
_ Ne vous en faites pas.
Trulidet, à ma grande confusion, tente de poser une main timide qui se veut rassurante sur mon avant-bras. Il poursuit :
_ Nous trouverons le véritable coupable. Je vous le promets. »
Je veux bien le croire… Si Hercule Poirot, Sherlock Holmes et Polly McFerden sortent brusquement du néant pour nous éclairer de leur lumière, oui, sans doute, j’ai une petite chance. Et encore. Je suis une indécrottable optimiste.

Il est midi, et le soleil inonde la terrasse du café où je poursuis ma filature. L’air de rien, j’ai commandé un diabolo, une boisson d’été qui ne cadre pas avec la température hivernale mais va bien dans le paysage. Je le touille allègrement, résistant à la tentation de le boire comme autrefois (ça ne ferait que me rendre malade). Des missions comme ça, j’en redemande tous les jours.
Hélas, ma sainte patronne a un alibi en béton armé, une soirée par-là où elle a été vue par à peine une petite centaine de témoins, le tout retransmis par la télé locale (et ils ont une télé locale ? Mais pourquoi faire ? Et surtout pour qui ?). La veuve de fraîche date a elle aussi un alibi donné par cinq amis avec qui elle faisait tourner les tables. Les témoignages des amis sont fragiles, mais pas celui de la caméra, qui correspond avec les données des voitures : personne n’a quitté la maison dans laquelle ils s’étaient isolés.
J’en suis donc à espionner Mlle Dumarchais, 21 ans, pas plus laide qu’une autre mais qui est bourrée de tellement de complexes qu’ils doivent faire la queue. Elle, contrairement aux deux autres, je l’imagine bien en train de tuer, et d’être tellement traumatisée ensuite qu’elle l’oublierai complètement – le crime parfait, en fait, puisque absolument personne n’est au courant. Pour le moment, elle est en cours (de quoi ? mystère), mais elle a l’habitude de s’arrêter à cette terrasse pour jouer sur son portable. Sous un prétexte quelconque, je le lui emprunterai, juste ce qu’il faut de temps pour pirater son agenda, ce n’est pas une preuve, mais ça peut nous aiguiller. Etant donné qu’on ne peut pas se permettre un interrogatoire officiel…
Je me laisse aller en arrière, en fermant les yeux. La vie me paraît si douce, parfois… Elle devrait arriver dans dix minutes, d’après le garçon. Je donnerai n’importe quoi pour boire mon diabolo dont les bulles s’épuisent peu à peu, silencieusement.
« Je peux vous offrir à boire ? »
Cheveux noirs gominés, lunettes noires, immense imperméable noir, peau blanche et sourire de requin : l’intrus ressemble peut-être à un vampire, mais je sais bien que ce n’est qu’un minable petit personnage prétentieux et superficiel, puant d’argent et sans la moindre manière. Bref je ne l’aime pas.
Je prends le temps de me mettre bien face à lui, avec mon sourire le plus charmant, les yeux (je l’espère) brillants d’innocence. Et, au moment où le dragueur des terrasses se penche vers sa proie si vite à terre, j’écarte les lèvres. Tout doucement. Toujours en souriant. Je laisse mes canines sortir au fur et à mesure. L’autre reste immobile, mais bizarrement son sourire s’éteint. Je réponds :
« Avec  plaisir »
Je m’offrirai bien le luxe de me lécher les lèvres d’un air gourmand, mais le lâche s’est déjà sauvé à toutes jambes. J’éclate de rire. Vivre, ça ne vaut le coup que dans ces moments-là.

La demoiselle en profite pour arriver. Je l’aborde très gentiment, elle finit par m’accorder un sourire timide. Elle me laisse volontiers profiter de son e-mail. Ça me donne envie d’investir dans les arnaques. Il faudra que j’y réfléchisse sérieusement, je ne peux pas continuer à travailler comme ça.
Comme le soleil est doux au-dehors…

« Elle a un très joli trou dans son emploi du temps, dit Alité.
Sans blague ? C’est moi qui lui ai passé la copie. Il pourrait se douter que je suis au courant.
_ Mais ça ne suffira pas, lui dis-je.
_ Elle a un mobile.
_ Et le bon profil. Je suis sûre que mon avocat saura en tirer parti pour arracher quelques doutes aux jurés. Hautement insuffisant.
_ C’est vrai. Elle aurait eu le temps de tuer son père, mais est-ce qu’elle en aurait eut la force ou le courage ? Ce n’est pas si évident. Vous vous rendez compte, treize coups ! Il aurait fallu qu’elle soit déchaînée.
_ Donc l’argent ne serait pas son seul mobile. Le crime serait passionnel. Qui sait ce que ce type lui a fait ?
_ Elle a peut-être un alibi. Quelque chose qu’elle n’aurait pas noté.
_ Je la vois mal avec un mec.
_ Pas forcément, plutôt…
_ Et puis elle fait la même taille que moi, comme sa mère. J’ai vérifié quand je me suis assise à coté d’elle.
Trulidet soupire :
_ Il faudrait l’interroger directement… Nous n’avons que des présomptions.
Le regard perdu dans le vague, je réfléchis. J’ai dû rester dans cette position trop longtemps, puisqu’il s’inquiète. Je le rassure et me mords discrètement la lèvre – j’ai besoin d’une dose.
_ Et le fils ?
_ Il est très… perturbé. Il avait séché les cours le jour de l’assassinat, et il n’est rentré chez lui qu’à deux heures du matin. Mini-fugue. Le psy de la famille suppose qu’il ne s’en remettra pas avant un bon mois. Pour le moment, il est sous médicaments.
_ Litom ?
_ S-280.
De la drogue de vampire… Décidément.
_ Du coup, il n’a pas d’alibi.
_ Vous croyez qu’il est au courant de quelque chose ?
_ En tout cas, si c’est sa sœur, il devait bien s’en douter.
_ Pas sûr.
Je soupire… Non, évidemment, rien de tout cela n’est sûr. J’ai déjà contacté mon avocat. Ma ligne de défense principale sera : « l’assassin ne peut pas être un vampire, donc ma cliente, puisque la victime n’a pas été mordue ». Plutôt faible. Si je veux garder ma tête, il faut que d’autres trinquent. Etre coupable, dans notre monde sans merci, ça veut seulement dire ne pas savoir se défendre devant un tribunal, et les deux gosses Dumarchais m’ont l’air idéaux pour ça.
_ A part ça, il a l’habitude de prendre des médicaments… ou d’autres trucs ?
_ Pas d’après son dossier médical.
_ Test ?
_ Electronique. Mais il a sans doute pu le trafiquer. Le système est surtout là pour repérer toute trace de paranormal chez les humains. Les autres programmes sont de vraies passoires.
_ Il faudrait les convoquer et les interroger. Par la voie officielle. Alors ils parleront.
_ Et si ce ne sont pas eux ? Ça les traumatiserai.
_ C’est vrai, mieux vaut être prudents…
C’est moi qui dois me montrer prudente, si je ne veux pas que mon allié me claque entre les doigts. Après tout, pas la peine de trouver comment ils s’y seraient pris : il suffit que j’attire l’attention des flics loin de ma tête. Comme preuve de ma bonne volonté, je pointe moi-même le défaut de la théorie (de toute façon, il va sans doute s’en rendre compte) :
_ Et puis, pourquoi devant mon portail ?
_ Toujours pour vous faire accuser. Vous ne les connaissez ni l’un ni l’autre ?
_ Je ne connaissais pas du tout la fille. J’ai gardé le gamin un après-midi, pendant que Dumarchais et l’autre parano s’envoyaient en l’air.
Il ne sursaute pas, mais me regarde très très bizarrement.
_ Et ça aussi, vous attendiez que je vous interroge pour me le dire ?
_ Mais je ne le connais pas du tout ! Il a joué trois heures sur l’ordi de mon bureau pendant que je bossais sur l’autre. Je n’ai rien remarqué, je lui ai à peine adressé la parole. Il m’a semblé… normal.
_ Il n’était pas fâché que son père le délaisse ?
_ Il était résigné. En fait, il n’a montré aucun sentiment – impossible de dire ce qu’il ressentait.
_ Donc, lui vous connaissait. Il aurait pu avoir votre adresse ?
_ Oui, puisqu’il était sur mon ordi. Je n’ai pas vérifié s’il n’a fait que jouer, j’étais occupée.
_ Il a été témoin des avances que M. Dumarchais vous a fait ?
_ Bien sûr. Il n’a pas réagi pour autant. Ça a dû lui arriver souvent.
Alité réfléchit. Je sens que sa décision est prise, et qu’il hésite seulement sur la manière dont il doit me l’annoncer.
_ Donc, vous pourriez le contacter… sous prétexte de lui présenter vos condoléances ou quelque chose comme ça… et lui demander de discuter hors présence de son psy ?
Bingo.
_ Je veux bien essayer.
_ Et surtout, faites attention ! Il est vraiment dans un sale état. Le S-280 a l’air de ne lui faire aucun effet. S’il n’a rien à voir dans tout ça, je ne veux pas que nos questions le rendent malade.
Je lui fais mon plus beau sourire. Il est vraiment gentil quand il s’y met, le petit Trulidet…

Le rendez-vous a lieu dans un lieu étrange et silencieux : la bibliothèque municipale, le meilleur endroit où un collégien peut s’aventurer sans avoir compte à rendre, puisque c’est pour s’instruire. Alité et moi avons réservé facilement un salon de visualisation : on ne nous dérangera pas. Pendant qu’il consulte ses notes, je me remets silencieusement du n-ième interrogatoire que j’ai subi… Non, j’exagère, ce n’est que le cinquième. Mais ils sont à chaque fois plus épuisants. Je sais bien que seul Alité les empêche de me mettre en préventive, et encore, uniquement parce qu’ils ont besoin de sa signature. J’en ai marre, marre, marre…
Il arrive. Tchô Dumarchais, 13 ans et quelques, grand, mince et boutonneux, a effectivement l’air perturbé. A peine arrivé, il me fixe de ses grands yeux effrayés (presque hallucinés), et serre convulsivement son écharpe sur son cou. Je lui adresse un sourire rassurant, c’est à dire sans les canines ; il hoche la tête et s’assoit. Ce n’est que là qu’il réalise la présence de Trulidet, qui le salue gentiment et lui serre la main. Il jette sans cesse autour de lui des regards nerveux qui ne restent pas en place, il se tortille sur sa chaise et passe d’un tic à l’autre. Le S-280 est sensé apaiser et endormir légèrement le sujet, sans provoquer les rêves merveilleux de la drogue vampirique pure : inutile de dire qu’il faudrait augmenter sa dose.
Je lui explique, le plus calmement possible, pourquoi nous sommes ici (d’accord, je lui ai un peu menti au visiophone. Mais ce n’est plus vraiment un enfant, alors c’est moins grave). Ensuite, je lui assure que malgré les accusations (j’ignore ce que sa mère lui a raconté de l’enquête), ce n’est pas moi qui ai assassiné feu M. Dumarchais. A ces mots, il fixe enfin son regard sur moi, et sa bouche s’entrouvre. Mais ma tête doit le rassurer, puisqu’il ne dit rien. Une fois cette introduction terminée, je laisse Alité commencer l’interrogatoire, ce qu’il fait d’une voix douce et tranquille, que Tchô semble avoir le plus grand mal à comprendre. Il met une éternité à entrer dans le vif du sujet.
« Est-ce que tu peux nous dire où tu étais ce jour-là ?
Aussitôt, l’adolescent a un regard de bête traquée. Il me regarde, puis secoue la tête avec énergie. Ses mains tremblent. Alité insiste – mais doucement :
_ Est-ce qu’il y avait quelqu’un avec toi ?
_ N…non. J’tais seul. Tou’l’temps.
_ Est-ce que tu t’es approché de la maison de Mlle Nimr ?
Panique de Tchô.
_ NON !
_ Est-ce que, continue Alité en faisant semblant de rien, tu sais où elle est ?
_ Nan.
_ Est-ce que ta sœur sait où habite Mlle Nimr ?
_ J’sais…pas. J’crois pas.
_ Est-ce que tu sais où elle était ce jour-là ? Est-ce que tu l’as vu ?
_ Non.
Depuis qu’on parle de sa sœur, Tchô est nettement plus calme (enfin, tout est relatif). Il est nettement moins effrayé, en tout cas. Il faut que je remette l’interrogatoire sur les rails, si je veux faire avancer les choses.
_ Tchô, est-ce que tu me détestes ?
A nouveau le regard traqué. Non, pire, c’est un regard de chien battu qu’il m’adresse, un regard qui réclame la pitié. Je lui sourie. Mais je ne détourne pas mon regard. Très vite, il tourne ses yeux ailleurs et répond :
_ Non.
_ Et ton père ?
Cette fois-ci, c’est un regard d’adoration qu’il me jette :
_ Mon père, c’était un salaud !
_ Tu crois que ça valait la peine qu’il meure ?
A coté de moi, Alité se pétrifie.
_ Oui.
Je lui jette un rapide regard victorieux.
_ Tu connais mon adresse, n’est-ce pas ?
_ Oui, admet-il.
Il est suspendu à mes lèvres. Pour le moment, j’ai une énorme influence sur ce gosse – il faut que je l’exploite au maximum.
_ Et tu y es allé ?
_ Oui.
_ Ce jour-là ?
_ Oui.
J’espère que Trulidet prend des notes, y compris sur le métier de flic.
_ Mais tu ne m’y as pas vu.
Silence. Coup d’œils angoissés à droite et à gauche.
_ Est-ce que tu m’as vu ? Tu ne pouvais pas me voir, j’étais dans la maison. Tout le temps. Et toi tu n’es pas entré.
_ Je ne vous ai pas vu.
Cette fois-ci, Alité bondit :
_ Ça suffit, Mlle Nimr ! Je sais que vous voulez à tout prix prouvez votre innocence, mais arrêtez de manipuler le… ce… M. Dumarchais !
Je lui décoche un sourire glacial :
_ Vous vous trompez, Trulidet. Ce sont les vampires qui ont le pouvoir d’hypnotiser les gens. »
Il me lance un regard noir. Il faut que je trouve le moyen de remonter ma cote, et vite.
Pour finir, je le convaincs de me laisser ramener le gosse, qui accepte que nous le ré-interrogions le lendemain. En partant, son écharpe glisse un peu, on voit des marques bleutées sur son cou. Je me demande si Alité l’a remarqué…

Le soir même, il est à nouveau attablé dans ma cuisine, et – miracle ! – il s’excuse même de m’avoir interrompu. Il m’offre un lapin pour se faire pardonner. Pendant que je déguste ma friandise, il se détourne et fait le point sur notre enquête :
« Donc, nous savons que Tchô Dumarchais connaissait votre adresse, et qu’il est venu chez vous. Mais il est trop petit pour être la silhouette vue par le témoin, même s’il avait pu utiliser un déguisement… Ce qui reste très douteux. Sa sœur, par contre, aurait très bien pu le faire. Elle aurait eu l’adresse par Tchô, voire il l’aurait accompagnée. Il détestait son père, au point de se réjouir de sa mort. Et elle vous a paru complètement déséquilibrée. Donc, pour le mobile, le profil et les possibilités, ça se tient. Cependant… Pourquoi chez vous ? Et que faisait M. Dumarchais à cet endroit du parc ? Nous n’avons aucune trace de rendez-vous, aucun coup de fil ou d’e-mail… Vous avez terminé ?, conclut-il en me désignant le lapin. Je me lèche les lèvres et le lui tends (il n’a pas fini de manger du civet).
D’un air songeur, il l’examine. Autour de la blessure ouverte par mes canines, la chair commence à bleuir sous les poils. Il me regarde, mais différemment de sa manière habituelle de petit chien fidèle. J’ai l’impression qu’il a sorti ses yeux de flic. Qu’il s’est redressé. Pour mon plus grand admirateur, il a une attitude très étrange. Il ne va quand même pas m’interroger lui aussi… Mais non, il réfléchissait juste au jeune Dumarchais :
_ Il est assez incroyable, quand même… son psy lui a collé une triple dose de S-280, et ça ne lui fait aucun effet ! Vous savez d’où ça peut bien venir, une résistance pareille ?
_ Il a dû être habitué à un produit similaire…
_ Comme de la drogue pure ?
_ Qui sait. On peut toujours s’en procurer, quand on sait où chercher.
_ Est-ce vous qui droguez ce garçon en buvant son sang ?
Le choc me paralyse presque.
_ Qu’est-ce que vous avez dit ?
_ Est-ce vous qui droguez ce garçon en buvant son sang ?
_ Vous êtes tombé sur la tête ?
_ De toute façon, j’emmène ce lapin pour analyse. On verra si les marques de Tchô correspondent à vos canines. »

Il s’éloigne en direction de la porte. D’un geste sur la commande centrale, je la referme – ainsi que la fenêtre.
Il se retourne vers moi, très calme, très froid. Moi, en revanche, je suis hors d’haleine. Je le hais, oh comme je le hais !
Il ne cherche pas à s’enfuir. Il insiste, il se pavane, toujours sur un ton calme de fausse modestie :
« J’avais raison, alors.
_ Allez crever !
_ Je parie qu’il n’était pas du tout résigné, en attendant son père. Je parie qu’il était très triste, ou en colère, ou les deux à la fois. Et il n’a pas du tout joué sur votre deuxième ordinateur – d’ailleurs, il n’y en a qu’un dans votre bureau, c’est ce qui m’a mit la puce à l’oreille. Vous en avez profité pour lui montrer un jeu beaucoup plus intéressant, le plaisir des dents de vampire. Je suppose que vous savez que c’est illégal ? Et totalement immoral, bien sûr. Et le 26, il est bien passé vous voir, mais avant que vous ne partiez au travail, et vous lui avez collé une dose qui l’a laissé KO pour la journée et une bonne partie de la nuit. Quand à l’emploi du temps de sa sœur… Je suppose que vous n’avez eu aucun mal à le trafiquer. »
C’est ça, petit coq bavard, soit bien fier de toi. Tu es coincé entre une porte et une fenêtre sécurisées avec un vampire très, très en colère ! A ta place, je ferais moins le malin !
Mais non. Il ne faut pas. Comment je me débarrasserai du corps ?
Au pire, il peut prouver que j’ai drogué le gamin. Il y a un lien, mais pas quoi me faire tomber pour meurtre. Il faut que je le laisse partir et que je le supprime discrètement, loin d’ici.

« De toutes façons, le temps que tu ais tes preuves, je serais loin.
_ Non. Mes collègues ne rêvent que de vous coffrer.
_ Pour meurtre ! Pour la drogue, tu es le seul à pouvoir me foutre en taule, après signature par ton supérieur… minimum deux semaines d’attente.
_ Vous connaissez bien votre sujet. Je suppose que vous n’en êtes pas à votre coup d’essai ?
Je hurle :
_ Ferme-la !, tout en lui lançant le micro-onde à la tête. Il l’esquive facilement, j’ai mal visé.
Du calme. Je peux m’en sortir. Il suffit que je sois calme, patiente, et que je me tire de ce bourbier avec tact et subtilité. Il ne peut rien contre moi, rien ! Il n’a rien ! Et c’est que je lui crie, haut et fort !
Mais il me répond, imperturbable :
_ Je ne crois plus en votre innocence.
_ Tu n’as aucune preuve !
_ A part le coup de fil du fils Dumarchais à son père… Très essoufflé, en plein trip sans doute. Il lui donne rendez-vous devant votre portail, coté parc.
_ C’est lui qui l’a tué ! Je n’ai rien fait !
_ Je vous crois : c’est sans doute trop dur, pour une vampirette, de tuer aussi…
Il n’a pas le temps de finir sa phrase : après l’avoir plaqué au sol, je commence à l’étrangler avec les mains, puis, me ravisant, j’attrape mon foulard et je serre, je serre…

Je le fais s’étouffer lentement, pour qu’il ait le temps d’écouter ma confession – après tout, c’est bien ainsi que les choses sont sensées se passer, non ? Le méchant avoue tout au gentil, puis tente de le tuer, après quoi le gentil devient brusquement super-fort et vainc le méchant à la toute dernière minute ! On va voir si le petit Trulidet y arrive…
Et oui, c’est moi qui ai tué le gros Gerlly. Il voulait que j’engueule son fils de sa part. Venir à son secours ? Jamais, sûrement pas lui ! Ce gros porc… Il allait passer l’éponge sur mon petit échange avec Junior, vraiment ? En échange de moi, comme par hasard… Mauvais calcul.
Et ce n’est même pas pour ça que je l’ai tué. Le couteau, c’était seulement pour lui faire peur. Mais il m’a dit qu’il voulait ‘‘savoir ce que ça fait avec une vampirette…’’
C’est là que je l’ai tué.
Et je n’ai aucun remord.
Les Grands Vampires ne savent tuer que pour manger. Moi, je suis au-dessus d’eux ! Je tue pour l’art, pour la puissance ! Pour le pouvoir ! Et Trulidet, lui aussi, est sacrifié sur l’autel de ma puissance !
Ses os commencent à craquer, ou est-ce que j’imagine ce délicieux petit bruit ?

Les flics entrent dans la maison.
Ils grouillent par centaines, comme des fourmis.
Ils ont percé le blindage. Ils m’ont espionnée. Ils ont tout entendu.
Ils m’ont piégée.
Non.
IL m’a piégée.
Tout son cinéma, le lapin, la vampirette, n’avait qu’un seul but : me faire parler.

Je hurle, hurle, hurle sans fin dans la nuit, mais c’est trop tard. Personne ne viendra à mon aide. Mon dernier allié part dans l’ambulance, après m’avoir trahie.

Ils m’emmènent.
Dans le fourgon, je me mords la lèvre, très fort, sans qu’ils ne le voient, mais avant que j’en meure ils m’ouvrent la bouche et me mettent un bloque-croc, les lâches ! Je sais, j’ai été une méchante fille, mais moi J’EN AVAIS LE DROIT ! JE SUIS UN VAMPIRE ! UN VAMPIRE !

Ne l’oubliez jamais.

FIN

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Commentaires
L
Ma seule publication à ce jour : j'en suis très très fière.<br /> L'idée est née devant Underworld, été 2003 (pas un très bon film j'ai trouvé, enfin ça m'a laissé le temps de penser à autre chose). Le temps de l'écrire, de l'envoyer au prix du Jeune Ecrivain (qui ne l'a pas sélectionnée), de l'envoyer à Lanfeust Mag : elle a été publié dans le numéro spécial juillet-août 2006, avec des supers dessins !
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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