Jeu d'espions ***

Jeu d'espions

Une immense ombre carrée se détache devant un mur bardé d’écrans. L’ombre se retourne lentement, c’est un fauteuil trop monumental pour tenir dans une salle du trône. L’éclairage est parfaitement calculé pour laisser le visage de la personne qui l’occupe dans l’ombre et telle que je connais le capitaine X.Y.Z (qu’on appelle familièrement X quand on est dans la maison depuis aussi longtemps que moi) si quelqu’un commettait un jour l’erreur de s’asseoir dans ce fauteuil à sa place, il se prendrait toute la lumière dans la figure. Ce jeu d’ombres et de lumières, ce bureau aux dimensions apparemment infinies, sa voix métallique et sa main encore plus métallique – prothèse, à moins qu’elle n’ai la main vraiment très, très sèche – me sont plus familiers que ma langue natale. C’est ici que je viens prendre toutes mes missions.

« Alors X ça boume ?

_ Agent Godzilla, asseyez-vous. Et appelez-moi capitaine, compris ?

Elle a toujours son ton si sec mais en fait elle m’adore. Ça fera un an dans neuf mois que je fais parti de cette boîte et elle m’a complètement adopté, je suis comme son fils.

_Agent Godzilla, continue-t-elle en poussant sur son bureau le mince rapport que je lui ai donné hier, pouvez-vous m’expliquer ce que c’est que ce pitoyable merdier ?

Elle parle toujours comme ça, si ça n’est pas parfait il faut tout recommencer avec elle. Mais je sais que j’ai assuré : la mission "orchidées" consistait à rapporter en lieu sûr un lézard rarissime valant des milliers de dollars, et je l’ai rapporté ! Je l’ai même fait empailler par un grand spécialiste pour être sûr qu’il ne s’abîme pas et on peut dire que ça a coûté cher au service. Bien sûr il y a un paquet de gens qui voulait m’empêcher de le prendre – on a des ennemis partout mais je les repère toujours, même quand ils sont bien déguisés – et un autre paquet de témoins qui m’ont guidés jusqu’à la bestiole, mais dans le service on ne fait pas de cadeaux. J’ai refroidi tout le monde. Dans les fondations du futur hôpital il y a plus de cadavres que de béton. Mais j’ai fait le nettoyage moi-même comme un bon professionnel.

X m’a engueulé un moment, comme quoi je n’avais aucune conscience des priorités du service, et bla bla bla… M’en fout, c’est mon père qui gère toute la boîte et il pourrait la virer quand il veut si je me plains d’elle, mais je ne le fais pas parce que je ne veux pas lui devoir ma réussite. N’empêche que d’ici un an ou deux je serais sûrement assez mûr pour être capitaine X à la place du capitaine X et à ce moment-là elle a plutôt intérêt à comprendre et à présenter sa démission la vieille. Il faut me laisser m’épanouir dans ma brillante carrière.

Ah, elle sort le dossier rouge de ma nouvelle mission, là j’écoute !

_ Votre mission a pour nom de code "gold". Vous-même changez de nom de code. Vous serez désigné par le mot "Doll".

_ Hein ? Comme une poupée ?

_ C’est ça. La fille de notre bien-aimé Président du Monde Libre et Démocratique a cassé sa dernière poupée géante. On estime qu’un humain sera plus solide. Passez au vestiaire demander votre robe et votre perruque, on va vous habiller en Noa, c’est sa préférée. Bien sûr, pas la moindre arme durant cette mission et vous avez plutôt intérêt à être la plus gentille des petites poupées que cette gosse aura de sa vie, compris ?

_ Mais… mais… ça va durer longtemps ?

_ Jusqu’à ce qu’elle en ai marre.

_ Mais…

_ Agent Doll…

X s’avance vers moi et pour la première fois son visage apparaît dans la lumière. Il est effrayant. Bien sûr, être éclairé par en-dessous n’arrange jamais un visage, mais quand même. Il me rappelle ma vieille institutrice de CM2. Celle qui n’aimait pas qu’on tire les nattes des filles et qui savait toujours qui n’avait pas apprit sa leçon. Un long frisson me parcourt l’échine.

Elle continue :

_ Vous devriez être fier qu’on vous confie une nouvelle chance… Après l’effroyable série de fiascos dont vous êtes à l’origine, n’importe qui d’autre servirait de pâté aux requins apprivoisés du Président. Au lieu de ça on vous confie à la personne la plus importante à ses yeux… Aussi si cette charmante demoiselle veut jouer aux allumettes sur vous ou vous jeter du haut d’une falaise, je vous conseille de vous exécuter pour le bien de la nation… est-ce que c’est clair, agent Doll ?

_ Oui mam’zelle X ! Vous pouvez compter sur moi ! »

X se rassoit comme il faut tout en poussant un immense soupir, cette position inhabituelle a dû la fatiguer. Je prends le dossier rouge et je m’en vais. Je vais servir de garde du corps personnel de la fille du Président ! En infiltration discrète, autrement dit je serais le dernier rempart protégeant sa précieuse vie des terroristes !

Je savais que le succès de la mission "orchidée" allait me servir !

Comments

[Luma]

Ecrit le 29 juillet 2007 pour Deslyres. Sujet : une histoires d'espions. Contrainte : faire apparaitre le mot Doll et un lézard rarissime et très cher. J'ai commencé par une image classique tirée tout droit de l'inspecteur Gadget, après j'ai brodé. Je n'avais aucune idée de la fin quand j'ai commencé et je suis restée dans la parodie racontée par un personnage débile : oui, moi ça me fait rire.