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Ecriveuse en herbe
12 juillet 2007

Les Techs, chapitre 2, première version (suite)

Le président a beau prendre personnellement les choses en main, techniquement ils sont confiés à Andrew Burther en attendant d’avoir une position définie dans le système. Burther n’a pas vraiment une haute position dans la hiérarchie du B.A.G.N. mais il a été dans la même école que le président et il a un diplôme de biologie, c’est pourquoi il a été choisi pour s’occuper de deux membres de la nouvelle race humaine. A l’heure qu’il est les seuls qui avaient prévu quel type de personne serait le plus adéquat pour s’occuper des jeunes Techs font profil bas et gardent leurs informations pour eux, laissant ceux qui ignorent tout se lancer à l’aveuglette. Burther ne posséde sur son C.V. aucun élément qui le désigne pour cette mission mais il est aussi capable qu’un autre de veiller à l’installation d’une adolescente et d’un enfant et d’assurer la liaison entre eux et l’autorité gouvernementale.

Personne ne lui a donné l’ordre de les rebaptiser, mais il a entendu dire qu’il y avait des attaques contre les Techs, il leur faut donc un nouveau nom de code pour leur assurer au moins la plus élémentaire des protections, et puisqu’ils n’en possédent pas autant leur donner au moins un prénom normal. Après tout, Burther connait un certain nombre d’armes baptisées Mary ou Big Penny ; sur les deux Techs ça choquera moins.

Et depuis qu’ils sont installés dans leur chambre (dans une zone très sécurisée d’un immeuble appartenant au B.A.G.N.) ils restent immobiles, apparemment perdus dans leurs pensées. Ils lui font un peu peur même s’il refuserait de l’avouer sur la chaise électrique. L’une des facettes – plutôt vagues à la réflexion – de sa tâche est d’établir un contact avec eux et de leur inspirer confiance pour qu’ils suivent ses directives sans se faire prier. Il s’était imaginé que ce serait simple. Cette histoire de nom lui fournit au moins une excuse pour bavarder.

Il frappe à la porte avant d’entrer, un détail qui a son importance et Burther n’est pas homme à ignorer cette importance. Il voit sur l’écran vidéo que 2 se redresse, après quoi elle prononce la formule consacrée : « Entrez ! » Burther entre, il a tenu à ce que rien ne soit verrouillé entre la chambre et le reste de la zone (même si la zone elle est sous surveillance de plusieurs corps d’élites armés de matériel non-tech) pour leur donner une illusion de liberté. L’homme est l’heureux père de deux adolescents et ce genre de technique marche très bien avec eux.

_ Bonjour.

Un autre détail qui le pousse à leur donner des prénoms : il n’arrive pas à se résoudre à les appeler 2 et 6, et encore moins "les enfants". Il a beau se répéter que ce ne sont que des syllabes comme les autres, ça coince – difficile d’établir un contact allant jusqu’à la confiance dans ces conditions.

_ Vous faisiez quoi ? demande-t-il, curieux.

_ On discutait avec nos frères et sœurs.

_ Par le Réseau ? Vous pouvez penser dans le Réseau ?

_ C’est ça. C’est pour ça qu’on est spéciaux.

_ Oh. Et eux, ils…

Burther meurt d’envie de leur demander où sont les autres précieux Techs, une information pareille seraient un ascenseur express dans sa carrière. Le problème c’est que non seulement 2 ne le lui dirait pas, mais en plus qu’elle se méfierai. Il continue donc en disant :

_ ils vont bien ?

_ 3, 4 et 5 vont bien apparemment. 1 et 7 ne se sont pas encore connectés.

_ Oh. Vous êtes inquiets ?

2 regarde fugitivement 6 qui regarde consciencieusement Burther.

_ Un peu, avoue-t-elle. Tout est chamboulé autour de nous, on ne sait plus quoi faire ni comment se défendre.

L’espace d’un instant l’homme a pitié d’elle, d’une certaine manière. Et du petit aussi bien sûr. Il redémarre sur un détail qui l’a surpris :

_ Vous êtes tous frères et sœurs ? Même vous deux ?

6 ne comprend pas l’étonnement de Burther. Evidemment, tiens, qu’ils sont tous frères et sœurs, ils sont les Techs, les seuls. 2 elle comprend.

Lors de la création de l’ADN humain en tech s’est posé un certain nombre de questions éthiques. Un grand nombre, en fait, assez d’interrogations sans réponses pour alimenter des siècles de débats philosophiques, et dans le lot personne ne trouvait très important la question : ADN humain oui, mais de quel humain exactement ?

Les professeurs Milley et Stones avaient bien l’intention de créer une nouvelle espèce humaines issue de l’ancienne : pas question de laisser d’antiques divisions raciales empêcher le codage tech d’une partie de l’humanité sous prétexte que cette partie précisément n’avait aucun pouvoir sur le monde. Ils avaient codé ce qui était en théorie toutes les combinaisons possibles d’ADN humain viable et avaient sélectionné ceux de chaque enfant au hasard.

Le hasard faisant parfois de drôles de choses, 2 a la peau très sombre et 6 la peau très claire, les autres s’étalonnant à différents degrés entre eux. Il est donc difficile pour quelqu’un d’extérieur de les prendre spontanément pour un frère et une sœur. 2 a un visage fin mal mit en valeur par ses cheveux crépus coupés court, elle est presque petite pour son âge mais a déjà une silhouette de femme – de jolie femme d’ailleurs. 6 a des centaines de taches de rousseur brunes sur le visage, le dos et les épaules, il a des cheveux châtains doré et des yeux verts, des yeux juste un tout petit peu trop grands. Il est mince et grand pour son âge, les coudes et les genoux trop saillants. Physiquement, 2 et 6 sont les plus dissemblables des sept Techs.

_ Oui, répond 2 sans se donner la peine de tout expliquer, nous sommes frère et sœur.

Silence. Comprenant qu’il n’aura pas plus de détails mais n’osant pas pousser plus loin si vite, Burther se décide enfin à entrer dans le vif du sujet :

_ Pour votre protection, on va vous donner des noms de code. Je me suis dit que ça serait plus agréable pour vous que ce soit des noms faciles à porter, comme des prénoms normaux.

Il va nous appeler Norma et Norman souffle 6 à 2 qui se retient de pouffer. L’enfant est pourtant à moitié sérieux, il sait que 6 n’est pas un prénom "normal" mais ne sait pas ce qui, dans l’immensité des possibilités de prénom, est normal ou anormal.

2 demande à son frère Ça ne te ferait pas plaisir d’avoir un prénom d’humain comme tous les petits garçons ?

Il réfléchit quelques secondes puis dit Je peux m’appeler Casper ? 2 ignore lequel de leurs surveillants lui a raconté des histoires de Casper le fantôme, un héros datant du siècle dernier dont les aventures terribles et effrayantes le fascine totalement. Elle lui répond qu’il vaut mieux laisser Mr Burther choisir – et si lui les laisse choisir, elle essayera la diplomatie pour convaincre son petit frère de ne pas se baptiser d’un nom de fantôme. En fait, cette idée de nouveaux noms lui plaît bien.

Revenant à la conversation orale, elle répond :

_ On est d’accord. C’est une bonne idée. Merci.

Le regard étonné de Burther passe de l’un à l’autre.

_ Vous avez discuté entre vous ? Par la pensée ?

_ Oui. On fait ça tout le temps. On ne vous a pas prévenu ?

_ Heu… Non.

_ On aurait dû.

_ Bien sûr, bien sûr… Evitez tout de même de montrer vos caractéristiques à tout le monde. Je dois les connaître puisque je suis votre responsable mais pour les autres vous devez avoir mon aval ou celui du président – il se rend compte que son discours est un peu trop directif et radoucit le ton – Je suis désolé d’avoir à vous donner des ordres comme ça mais vous comprenez, nous sommes encore en train de chercher qui vous veut du mal et nous ne sommes pas sûr de pouvoir vous protéger si quelqu’un de mal intentionné savait pour vos talents…

_ Et je suppose que la garde armée autour de notre zone est là pour nous protéger ? demande 2 avec dans la voix juste assez de distance ironique pour bien faire comprendre qu’elle n’est pas née de la dernière pluie.

Burther se sent mal à l’aise. Elle sait donc elle a trouvé un accès vers les caméras de sécurité. On les a pourtant remplacées par des caméras non-tech… lesquelles sont reliés à l’ordinateur du système de sécurité, un ordinateur tech bien sûr. Comprenant qu’il est en première ligne devant des créatures beaucoup plus dangereuses qu’on ne le lui avait dit, il ressent l’envie pressante de mettre quelques portes blindées entre eux et lui. Il comprend mieux maintenant pourquoi on lui a dit de les mettre en confiance et de transmettre les directives gouvernementales : mieux vaut ne pas être à leur portée quand ils se mettent en colère dans un environnement trop tech. La nervosité de Burther augmente d’un coup lorsqu’il se rappelle qu’il porte en ce moment même une cravate tech (heureusement son costume n’est qu’une imitation, il ne possède qu’un costume entièrement tech et bien sûr hors de prix, qu’il garde pour les grandes occasions).

Mais il leur a dit qu’il allait leur donner des noms, ça paraîtrait très suspect s’il filait maintenant.

_ Les gardes sont là pour de nombreuses raisons, ne vous en faites pas ils obéissent au président et ne vous feront aucun mal. Vous avez ma parole. Bon. Pour ces noms de code, toi – dit-il en désignant 2 – tu seras Betsie…

_ Comme le prénom qui ressemble le plus à Bêta ce qui est le code classique désignant le chiffre deux ? demande gentiment 2.

Enfin, elle le demande en souriant.

Burther a soudain très peur qu’elle soit capable de lire dans ses pensées à lui : c’est exactement le raisonnement qu’il a machinalement suivi. 2 le voit et tente de désamorcer la situation :

_ Nous avons beaucoup travaillés sur les codes au labo, c’est pour ça. Mais Betsie je trouve ça très bien. Ne vous en faites pas.

_ Et bien tant mieux… Et pour le petit, j’ai pensé à Steven. Ça vous va ?

_ Pourquoi Steven ? demande 2 en espérant que ce sera une assez bonne raison pour convaincre 6.

Sa question rassure Burther. Non, ils ne lisent pas dans ses pensées. Il a choisit Steven parce que c’était le prénom de son joueur de baseball préféré étant enfant, une relation que personne ne pourrait trouver. Ce qu’il leur explique d’un ton plutôt suffisant. Puis il s’en va demander au plus vite des renseignements sur ses étranges pensionnaires et faire installer une chambre non-tech où il les fera déménager très bientôt.

Moi, j’aurais préféré Casper boude 6. Quoiqu’il ne boude pas très fort, comme d’habitude il prend les évènements comme ils viennent et se contente de signaler ce qu’il en pense.

J’aime autant qu’on ne te prenne pas pour ce fantôme bizarre.

On retourne dans la pieuvre voir si les autres sont là ?

Non, si tu continues tu vas avoir la migraine, tu n’es pas encore assez fort pour faire ce genre de voyage aussi souvent.

Et toi ?

Je vais regarder d’où vient ce type, Burther. Et les autres. Je trouve énormément d’infos partout mais c’est long à trier.

Ils sont méchants ?

Ne t’inquiète pas, ils veulent qu’on aille bien. Et puis s’il y a un problème je sais comment sortir d’ici. On est parfaitement libres.

En attendant que sa sœur ait achevé son travail, 6 commence à explorer le carton de jouets qu’on a mis à sa disposition. A sa grande joie il trouve un ensemble de construction. Au moins il va passer agréablement une heure ou deux, en ce moment c’est toujours ça de gagné.

3, 4 et 5 

Les trois enfants sont partis vers la ville et eux ne tardent pas à croiser une autoroute. Ils s’arrêtent.

On fait du stop ? propose 4.

Pas sur une autoroute rappelle 3. Ils ont tous reçus moins de cours sur le fonctionnement du monde extérieur que 1 et 2 mais ceux-ci leur ont transmis à peu près tout ce qu’ils savaient. Ça fait un beaucoup de choses à assimiler d’un coup.

Sans rien dire, 5 fixe le flot de voitures du regard. La nuit a été rude et la journée qui s’annonce promet d’être pire. Elle et 4 ont souvent pensé à partir du laboratoire, pas pour s’enfuir mais pour explorer un peu ce fameux monde dont tout le monde leur parle. Bien sûr c’était impossible, ils se contentaient de faire des plans sur la comète de tout ce qu’ils verraient et tout ce qu’ils réussiraient à faire, des gens qu’ils rencontreraient et avec qui ils deviendrait sans doute amis. Ils savaient qu’il y avait des gens dangereux à l’extérieur, les fameux "méchants" qu’ils devraient combattre,  mais pensaient plus ou moins confusément qu’ils étaient identifiables, qu’ils ne pouvaient pas débarquer dans la vie de tous les jours comme ça sans prévenir. Maintenant ils guettent tous plus ou moins l’arrivée de nouveaux soldats. Même s’ils pensent qu’ils ne peuvent pas les avoir suivi jusqu’ici et encore moins les attaquer. Quoique… les seuls humains du coin sont ceux qui circulent sur l’autoroute et ils ont beau être très nombreux ils ne s’apercevraient de rien même si un dinosaure se baladait dans le bois et se mettait à brouter les arbres.

5 sent les ordinateurs de bord tech de chaque voiture, elle sent les fils du Réseau enterrés sous leurs pieds, et autoroute automatique ou pas elle n’aurait aucun mal à arrêter une voiture.

_ Pourquoi je ne le ferais pas ? demande-t-elle à voix basse, plus pour elle-même que pour les autres.

_ Parce que le conducteur risque de ne pas apprécier, répond 3.

_ Qu’est-ce qu’on fait alors ?

_ On est des enfants. Si on demande de l’aide et qu’on ne dit pas qu’on est spéciaux il y aura un paquet de gens pour s’occuper de nous. Normalement.

_ Mais il faut au moins qu’on entre dans la ville, dit 4. Moi je suis d’accord pour qu’on attrape une voiture.

_ Ils peuvent nous mettre en prison, dit 3.

_ Seulement s’ils nous retrouvent. » dit 5.

Ses yeux brillent, ce plan lui plait beaucoup. 4 et 5 prennent chacun une main de 3 pour se connecter mentalement plus facilement avec elle, à eux trois ils décident de la marche à suivre sans perdre de temps à passer par les mots et pour une fois 3 se laisse aller sans trop de réticence.

Ils se remettent en route. La marche est rude pour leurs pieds nus même s’ils passent par des chemins tracés entre les champs pour les différentes machines agricoles, généralement lentes et peu maniables, qui exigent des routes parfaitement lisses et plates. Ils dévorent le paysage des yeux, même 5 qui joue les indifférentes, sans oublier tout de même de suivre plus ou moins le tracé de l’autoroute. De toutes façons la présence du Réseau pulse près d’eux et même s’ils lui ferment leur esprit ils ne peuvent pas l’ignorer, pas plus qu’ils ne peuvent ignorer le soleil qui pointe enfin entre les nuages. Ils n’hésitent jamais entre deux chemins.

Au bout d’une heure ils arrivent en vue d’une aire de repos. Beaucoup de voitures sont garées là, certaines antiques ne possèdent que leur ordinateur en matériau tech, d’autres plus modernes sont dotées de pièces tech – surtout les pneus qui en tech sont increvables – et l’une d’entre elle les attire tous les trois comme un aimant. Elle est presque totalement réalisée en matériau tech. La carrosserie tech bourrée de capteurs divers a presque autant de sensibilité qu’une peau humaine.

JE VEUX PRENDRE CELLE-LA !!!! hurle mentalement 4. 5 n’est pas loin de trépigner elle aussi pour prendre cette voiture. Moins sensible à l’attrait d’un tel engin, 3 les tire par le col de leurs pyjamas pour qu’ils ne se plaquent pas d’une façon suspecte sur la voiture.

« Ils vont nous repérer ! gronde-t-elle.

_ Que dalle, répond 5, on n’a qu’à entrer, même les serrures sont en techs ! On entre et si le type ne va pas dans une ville c’est moi qui conduit ! »

3 regarde autour d’elle. Il y a pas mal de monde mais personne ne prête attention à eux. Peut-être que les gens croient que c’est la voiture de leurs parents. Autant monter – le plus naturellement possible, bien sûr.

_ C’est bon, cachons-nous dedans. »

Pas besoin de le dire deux fois aux petits Techs qui prennent à peine le temps d’ouvrir la porte avant de se précipiter à l’intérieur. Ils s’installent tous les trois sur l’énorme banquette arrière et règlent le chauffage presque machinalement. Il y a un frigo et un minibar dans la voiture que 5 s’apprête à ouvrir quand 3 l’arrête :

« Non, ça serait du vol.

_ On s’en fiche !

_ Les professeurs disent que c’est mal. »

5 referme la bouche et ravale sa réplique. Même si à son avis le propriétaire d’une voiture aussi luxueuse n’est pas à un paquet de chips près, si les professeurs disent que c’est mal, ce n’est pas à remettre en question. Pas devant 3 en tous cas. Pas aujourd’hui. 4 et 5 eux aussi souffrent d’avoir perdu leur maison et leurs parents mais cette émotion est masquée par la nouveauté de ce qui les entoure et la sensation grisante de l’aventure. Ils sentent bien que pour 3 la tristesse est bien plus poignante et ne s’éloigne jamais beaucoup.

5 n’ose pas essayer de la réconforter. Elle ne veut pas penser à tout ça, elle ne veut pas pleurer. 4 pose son bras sur les épaules de 3 et quand elle lui lance un regard interrogateur il se met à bavarder, sur ce qu’ils ont vu, sur ce qu’ils pourraient faire, tout et n’importe quoi qui l’oblige à penser à autre chose. Ça ne marche qu’un peu.

Josh Mallone est le propriétaire heureux d’une magnifique marque de voiture de sport sortie il y a tout juste un mois. Il estime qu’il la mérite : à 22 ans il a réussi tout ce qu’il a jamais rêvé d’entreprendre dans sa vie, il est l’acteur principal d’une série dont chaque épisode a plus de spectateurs qu’un film à gros budget d’Hollywood, les innombrables produits dérivés à son effigie lui assure un confort matériel indécent et il n’a qu’à regarder autour de lui pour faire tomber les cœurs. Il revient d’un petit séjour dans sa ville natale, une bourgade figée dans le temps où des gens qui l’avaient connu enfant puis adolescent l’avaient regardé, les yeux ronds, comme si la star E. Rilley elle-même était redescendu du firmament des idoles défuntes pour venir leur chanter un petit air. Beaucoup des gens qui l’avaient méprisé ou simplement ignoré à une époque s’étaient battus pour un de ses autographes. Il avait "modestement" caché sa visite aux médias, sachant bien qu’à peine il avait mis une roue en ville des reporters amateurs avaient commencé à le filmer avant de lancer les images sur le Réseau, ce qui lui ferait dès le lendemain un magnifique coup publicitaire. L’acteur Josh Mallone retourne vers ses racines. Non, le succès n’a pas tourné la tête du jeune play-boy millionnaire…

Tout à ses pensées optimistes, il ne s’aperçoit pas qu’il a pris dans sa superbe voiture trois petits passagers clandestins.

Au bout d’un moment, 4 transmet Il faudrait peut-être qu’on lui dise qu’on est là, non ?

Peut-être pas répond 5. Comme ça c’est plus simple.

Il va bien finir par s’en apercevoir.

Ben, on n’aura qu’à lui faire un beau sourire à ce moment-là.

Silence. A la réflexion, 5 rajoute :

On pourrait quand même lui demander la permission de prendre à manger dans le frigo.

4 ne répond pas. Fouillant un peu plus, 5 s’aperçoit qu’il s’est petit à petit glissé dans les éléments techs de la voiture. Tous les capteurs hypersensibles dont la voiture est truffée permettent à un esprit Tech de se connecter directement sur ce que vit la voiture : 4 ressent son moteur tourner, il sent le vent sur sa carrosserie, la sensation de vitesse des roues, il fonce à 250 km/h le long du chemin tracé par l’ordinateur. Il devient voiture, laissant son corps humain tranquillement installé sur la banquette, un sourire extasié aux lèvres, pour vivre l’expérience la plus extraordinaire de sa vie. 5 le suit, plus prudemment au début, mais très vite elle s’emballe à son tour et entre complètement dans l’engin. A part qu’elle n’aime pas beaucoup suivre docilement le chemin tracé par un autre et prend le contrôle de l’ordinateur de bord.

3 reste donc seule à l’arrière avec les deux corps abandonnés. Ça ne la préoccupe pas beaucoup. Evidemment en ce moment il n’y a rien qui la préoccupe beaucoup. Pas même l’exclamation horrifiée du conducteur à son tableau de bord et ses tentatives désespérées pour reprendre le contrôle de sa voiture alors que celle-ci joue à doubler par la droite un camion par la bande d’intervention d’urgence. 3 regarde par la fenêtre parce qu’il faut bien regarder quelque part et chantonne pour elle-même. Un moment. Le conducteur ne lui inspire aucune pitié – ce n’est qu’un inconnu, un étranger – mais il sort un téléphone et appelle les secours. Comme entrée discrète, c’est apparemment complètement raté, autant essayer de calmer le jeu. Elle se penche vers lui et lui met la main sur l’épaule en disant : « Hé ! »

Josh sursaute et hurle. Il est à cran. Voyant que ce que n’est qu’une gamine, il se passe les nerfs avant même d’avoir eu le temps de réfléchir à la manière dont elle a bien pu monter à bord :

« Qu’est-ce que tu fiches ici toi ? Fous le camps !

_ Quand on sera en ville. Je voulais vous dire de ne pas avoir peur monsieur, on va bien arriver.

_ QUOI ? On est mort fillette, on va crever quand la bagnole va s’exploser sur…argh.

Le dernier mot n’est qu’un gémissement qui jaillit lorsque la voiture évite un pilier de pont en béton, n’y laissant qu’une belle éraflure sur l’aile alors qu’elle roule maintenant à 300 km/h. 4 et 5 adorent tout ce qui va vite. 5 aimeraient bien mettre la voiture uniquement sur ses roues arrières comme une moto mais le châssis bas l’en empêche. Du coup, elle la met sur les deux roues de gauche. Et passe entre deux autres voitures. Josh a mis ses bras devant sa tête dans un geste dérisoire de protection.

3 se dit que sa terreur ne peut pas entièrement venir du fait qu’il n’a plus le contrôle de son propre véhicule. C’est la première fois qu’elle monte dans une voiture mais elle se trouve très secouée. Elle fouille dans sa mémoire – les souvenirs importés d’un autre cerveau sont souvent délicats à maîtriser, surtout pour elle – et retrouve le code de la route. Le nombre d’infractions commises à la seconde voisine avec les énormes dangers qu’ils encourent et elle rappelle 4 et 5 à deux doigts de la panique sortez tout de suite de là !!!

Je me débrouille très bien ! répond 5 qui prend brièvement le contrôle des ordinateurs des autres voitures pour les écarter de son chemin et laisser 4 faire une petite pointe de vitesse.

Les plus grands doivent s’occuper des plus petits. Et les plus petits doivent obéir aux plus grands. 3 préfère ne pas envoyer ses informations sur les accidents de la route à son frère et sa sœur pour ne pas leur faire peur brusquement – ce qui ferait carrément sursauter la voiture et les enverrait tous dans le décor. Elle utilise toute son autorité et son autorité est froide et tranchante, elle a un goût de "parce que je l’ai dit, un point c’est tout". On ne peut pas négocier les décisions de 3 parce que moins elle comprend un règlement, plus elle l’applique à la lettre pour être sûre de ne pas se tromper. 5 commence à rendre le contrôle de l’engin à l’ordinateur de bord. 4 proteste et 3 le laisse jouer dans la voiture tant qu’il n’essaye pas de la conduire.

Lorsque les yeux de 5 perdent leur regard vitreux c’est pour fixer 3 avec colère – celle-ci a intérêt d’avoir une excellente raison de l’avoir ramenée aussi brusquement. 3 lui envoie alors les souvenirs qu’on lui a donné sur les accidents à plus de 200 km/h. 5 sait que 1 et 2 lui ont déjà signalé ça à un moment, et qu’on lui a expliqué que c’est pour ça que les ordinateurs techs sont obligatoires sur toutes les voitures présentes sur l’autoroute. Et elle trouve qu’elle s’en sortait très bien : un humain aurait eu un accident, mais pour elle qui n’a qu’à imaginer un mouvement pour que la voiture et les autres lui obéissent, il n’y avait aucun risque. 3 lui signale alors qu’elle a terrifié le propriétaire légitime de l’engin et que c’était techniquement du vol.

Pas du tout ! Il était toujours dedans ! s’énerve 5.

Il ne contrôlait plus rien, tu lui as volé la conduite de sa voiture.

5 sait qu’elle ne peut pas discuter avec sa sœur de ce genre de trucs et gagner. Elle abandonne en faisant bien sentir qu’elle boude.

A l’avant Josh n’ose plus toucher à rien et regarde à la dérobée derrière lui. Deux petites filles à présent, en pyjama, et un pied dépassant indique la présence d’une troisième. Il se demande s’il n’est pas tout simplement en train de devenir fou.

3 lui dit :

« Tout va bien. On vous demande pardon.

5 n’a pas l’intention de demander pardon et 4 n’est pas en état de le faire, mais ils devraient demander pardon, donc ce n’est pas vraiment un mensonge.

Josh les regarde franchement cette fois. Il murmure :

_ Vous êtes…

Plus rien. Au bout d’un moment 3 décide de l’aider :

_ On est juste des enfants. On voulait aller dans la grande ville monsieur, est-ce que vous voulez bien nous laisser y aller avec vous ?

_ Et nous donner de quoi s’habiller ? précise 5.

Josh se met la tête entre les mains.

_ Putain, mais vous êtes qui, qu’est-ce que vous foutez là… gémit-il.

5 et 3 se connectent rapidement et décident de lui donner des prénoms humains classiques. Tant pis pour les mensonges, ils sont en fuite et doivent se cacher de toutes façons.

_ Moi c’est Victoria, dit 5. Et mon frère là c’est Neil.

Lorsqu’ils s’imaginaient leur fugue, 4 et 5 avaient longuement hésité sur les noms qu’ils se donneraient. Enfin, 5 avait longuement hésité, 4 s’étant décidé pour le prénom du premier astronaute ayant marché sur la lune dès qu’il en avait eu l’idée. 5 avait choisit Victoria parce qu’elle trouvait que c’était un prénom plutôt guerrier pour une fille, annonciateur de victoires donc de combats, et que c’était le nom d’une reine qu’elle imaginait redoutable. Elle ne s’était pas donné la peine de chercher ce qu’il en était vraiment.

Elle attend que 3 trouve de quoi se présenter à son tour.

_ Moi c’est Nora, annonce-t-elle l’air de rien.

De quoi ? De quel droit tu choisis ce nom-là ! proteste 5.

Nora est le prénom de la véritable fille du professeur Milley.

Lorsque les Techs avaient découverts son existence ils avaient tous été choqués et avaient eu l’impression d’être trahis par leur propre père. Maintenant, même si le malaise est resté, leurs avis sont plus partagés, les extrêmes étant 3 et 4 : le garçon estime que Nora n’a pas de chance puisque son père s’occupe en permanence d’autres enfants, sa sœur est quand à elle malade de jalousie silencieuse à la seule idée que le Professeur Milley ait une enfant qu’il pourrait considérer davantage comme "sienne" que les Techs. Malgré tout 5 n’aurait jamais pensé qu’elle oserait voler le nom de sa rivale.

3 ne répond pas aux questions outrées de sa sœur et celle-ci décide de ne pas entrer dans son esprit de force. C’est mal de faire ça. 3 continue à expliquer au conducteur qui a l’air de se moquer de leurs prénoms comme de sa première chemise :

_ Nous sommes montés dans votre voiture sans votre permission et nous vous demandons pardon mais nous n’avons pas le droit de conduire. Nous avons besoin d’aller en ville. S’il vous plait, gardez-nous.

_ Bon sang… Bon sang… répète Josh.

L’ordinateur émet un bip avant de signaler d’une douce voix féminine : « Vous arrivez à la sortie d’autoroute B34. Vous devrez reprendre le contrôle manuel de la voiture dans moins de cinq minutes. Veuillez vous tenir prêt. Les autoroutes de la SRAM vous remercient de votre confiance et espère que vous avez passé un bon voyage. » Le jeune homme, hébété, regarde l’ordinateur de bord comme s’il ne l’avait jamais vu. Non, il n’a pas passé un bon voyage, et lui qui n’a jamais quitté une autoroute sans entendre ce message en réalise le sens pour la première fois.

_ C’est… à cause de vous que… la bagnole a… a…

Josh n’arrive pas à aller plus loin. L’idée qu’avoir des enfants (même passagers clandestins en pyjama) sur sa banquette arrière puisse l’avoir précipité dans cette envolée aux frontières de la mort est absolument absurde. En même temps, l’idée que des enfants puissent entrer dans la nouvelle marque de la voiture verrouillée sans déclencher l’alarme ni provoquer la moindre trace d’effraction est tout aussi absurde.

3 le regarde tranquillement, sans montrer qu’elle trouve quoi que ce soit d’étrange à cette situation. Elle va répondre qu’effectivement c’est à cause d’eux mais qu’ils promettent de ne plus le faire quand Josh voit son volant bouger tout seul et pousse un couinement surpris. Hagard, il n’a plus l’énergie de paniquer en bonne et due forme et regarde les différents voyants s’allumer sans qu’il ait appuyé sur la moindre touche et la voiture rouler tranquillement là où il avait prévu de la conduire. Elle se passe simplement de sa permission.

3 donne un coup de coude à 5 accompagné du message rend-lui sa voiture c’est du vol !

Je la rendrais quand il regardera où il va tu vois bien qu’il n’arrive pas à conduire tout seul !

Il y arrive quand on ne joue pas avec sa voiture !

Josh prend alors une décision. Après tout, il les a attendu toute sa vie. Il ne pensait pas que ce serait aujourd’hui, dans sa voiture, avec une apparence d’enfants, que les extraterrestres le contacteraient, mais ça ne peut être qu’eux. Il en est sûr maintenant. Il leur jette un regard neuf, plus admiratif et respectueux, moins effrayé. Il demande :

_ Où voulez-vous qu’on aille ?

_ En ville s’il vous plait, répond 3 sans hésiter une seconde.

_ En ville. Bien. Bien. Où ça en ville ? Et quelle ville ?

_ N’importe. Comme ça vous arrange. On ne veut pas déranger.

_ De toutes façons, intervient 5, on est là pour explorer, on va se balader partout. »

Josh pâlit. L’idée que les extraterrestres découvrent certains aspects fort peu reluisants de la Terre l’inquiète. Certains disent qu’ils veulent aider les terriens à mieux vivre et à mieux gouverner leur propre planète… Mais d’autres assurent que s’ils découvrent l’étendue de la bêtise humaine ils veilleront à empêcher l’espèce de se propager à travers l’espace, à coups de désintégration de planète s’il le faut. L’acteur décide de tenter de limiter les dégâts et les invite chez lui. Après quoi il demande timidement à ce qu’on lui rende le contrôle de sa voiture et puisque c’est demandé si gentiment 5 s’exécute de bonne grâce.

« Voilà, c’est mon petit chez-moi ! lance Josh sur un ton de fausse modestie.

Il est évident qu’il est en réalité très fier de l’immense maison qui s’illumine à son arrivée. En entrant dans Los Angeles il a bien pris soin de passer par les plus beaux quartiers et les Techs les avaient beaucoup admirés. Mais ce n’est rien d’après lui comparé au quartier des villas de stars dont chacune est un véritable palais. Sa maison à lui mérite sans doute de se faire appeler "mon petit chez-moi" si on la compare à certaines autres, mais elle en jette. Les enfants n’ont connu que le laboratoire qui est très fonctionnel et dont le budget "sécurité" dépasse largement le budget "décoration". Ils savent bien sûr que ce genre de maison existe, mais…

_ C’est un château ! s’exclame 5.

Pierres grises, tourelles, bois massif, l’illusion est parfaite. Josh continue à jouer la modestie :

_ Mais non, ce n’est qu’un petit manoir écossais que j’ai fait importer… Par contre j’ai entièrement fait refaire l’intérieur, je préfère ce qui est moderne.

_ Il y a un fantôme dedans ?

_ Ah ah, qui sait…

_ 6 adorerai cette maison ! lance 5 à 4 qui reste un peu à l’écart.

Le garçon s’est arraché à la voiture trop brusquement. Il a la tête qui tourne et doit lutter contre l’impression tenace qu’il ne devrait pas avoir perdu ses roues. Il redresse la tête, réfléchit quelques secondes et finit par réaliser que oui, sans aucun doute, leur petit frère adorerai cette maison. Il y a même des flambeaux allumés accrochés aux murs. Dommage que le soleil brille tant, ça gâche un peu l’effet. La nuit, cette maison doit être vraiment effrayante.

4 trébuche contre un caillou et 3 lui donne la main. 5 se connecte à lui et lui redonne un peu d’énergie mentale histoire de le requinquer. Il est épuisé mais a les yeux qui brillent et le superbe "petit manoir écossais" n’y est pour rien. 5 n’a aucun mal à deviner quels rêves couvent sous sa petite tête. Un avion tech. Une fusée tech. Une station spatiale tech. De nouveaux corps de métal hypersensibles capable de nager dans l’espace comme un corps humain ne pourra jamais le faire, voyant l’infra-rouge comme l’ultra-violet, touché par les météorites sans ressentir la douleur, fonçant dans le vide infini à des centaines de milliers de kilomètres/heure…

4 a toujours rêvé d’aller dans l’espace. Maintenant qu’il sait ce qu’on ressent par une machine entièrement tech, il veut aller dans l’espace dans un vaisseau tech, ça serait le truc le plus génial qu’il puisse vivre.

Toujours tiré par 3 il entre dans la maison qui, effectivement, est décorée de façon très moderne. En fait, seule la façade vient d’un manoir en pierre. Le reste a été dessiné par les meilleurs architectes d’Hollywood et la mode en ce moment dans ce domaine est aux poutrelles d’acier presque nues. Les murs sont tapissés de fils de Réseau dans un but décoratif, les objets techs sont omniprésents, les sources techs servant  à recharger les appareils électroniques sont habillement cachées dans des bibelots mais les Techs sentent leur présence qui leur donne la chair de poule. Difficile pour eux de rester concentrés dans un environnement pareil. Ils ne prêtent donc aucune attention au bourdonnement du bavardage de Josh qui essaye de leur faire les honneurs de son royaume et les traîne de pièce en pièce. Au passage il croise sa gouvernante à qui il suggère de prendre sa journée et de prévenir le reste du personnel d’en faire autant. Il ne veut pas que qui que ce soit dérange ses invités venus d’ailleurs.

Il finit par les installer dans le salon, tous les trois un peu étourdis posés sur le canapé (tech bien sûr, et s’il leur posait la question ils pourraient lui dire qu’entre les épais coussins sont cachés dix pièces diverse, un reste de nourriture non identifiable et une télécommande). Il s’assoit en face d’eux, sourire un peu nerveux aux lèvres. Lui qui n’a jamais le trac avant de tourner il se sent sur des charbons ardents. Il est sûr que ce sont eux et veut que tout soit parfait. Il ne sait pas ce que c’est que ce "tout", mais "ça" doit être parfait.

« Alors… commence-t-il avant de frapper dans ses mains et de se donner un air plus enthousiaste et dynamique. Alors, vous voilà enfin chez nous. Bien sûr tout le monde n’était pas au courant de votre venue ni de votre existence dans certains cas mais soyez sûr que tous ceux qui vous attendaient vous souhaitent la bienvenue !

Voilà qui fait plaisir à entendre et même 3 commencent à se dérider un peu. Mais tout de même…

_ Comment vous saviez qu’on allait venir ? demande 5.

_ Oh, il y a eu des signes ! Les soucoupes volantes (qui bien sûr n’avaient pas toutes la forme de soucoupes), les pulsars, le message de New-York… J’ai beaucoup d’amis avec qui je… discute de tout ça. C’est limpide. Il y a des tas de gens qui pensent que ce sont des bêtises pour nous prendre de l’argent, mais j’ai vu un des satellites qui devaient vous contacter avant qu’on l’envoie sur orbite et je ne regrette pas d’avoir donné. Ça non alors. Heu… vous n’allez pas les punir, j’espère ? Je veux dire, c’est juste de l’ignorance de leur part, il ne faudrait pas que… que…

Les trois Techs le regardent avec des yeux ronds. Le peu qu’ils ont compris de son discours est pour eux complètement absurde. 4 se raccroche à la seule certitude qu’il entrevoit :

_ Nous on ne veut punir personne.

_ Sauf, précise 3 d’un ton impersonnel, ceux qui font du mal aux autres.

_ Oui, dit 4, mais ça on s’en occupera plus tard. Maintenant on arrive, il faut qu’on se trouve une maison, il faut qu’on trouve ce qu’on doit faire…

_ Et il faut qu’on s’habille, conclut 5 sur le ton de la plaisanterie.

Josh les regarde tour à tour avec une drôle d’expression puis mime un garde-à-vous ravi.

_ Si vous voulez une maison, considérez la mienne comme la vôtre ! Je vais m’occuper des vêtements tout de suite. Venez, on va les choisir sur l’ordinateur et ils seront livrés dans moins d’une heure. Ça vous va ? »

Aucun d’entre eux n’a compris sa première phrase, mais pour reste, ça leur va.

En attendant l’arrivée de leur commande les Techs se répartissent le travail : 3 tente de comprendre pour qui ou quoi Josh les prend exactement, 4 se repose et 5 entre dans le Réseau mondial.

Comprendre quelqu’un qui ne fait que poser des questions n’est pas facile, surtout quand on est une petite fille timide devant un adulte très volubile, mais elle finit par comprendre qu’il les pense tout récemment débarqués d’une autre planète. Elle est alors plus à l’aise : les extraterrestres sont à 4 ce que les guerriers sont à 5, les fantômes sont à 6 et les animaux sont à 7, des compagnons de rêverie. Tout le monde passe apparemment par cette période. Vivant avec eux, elle a forcément finit par connaître plus ou moins leur monde imaginaire et ses protagonistes. Elle voyait pour sa part les petits hommes verts plus petits et plus verts mais puisque Josh parle de "corps d’emprunt" il doit penser qu’ils sont installés dans des espèces de robots à forme humaine, quelque chose comme ça. Si ça l’amuse. La jeune fille pense un moment à le détromper puis se dit qu’après tout ça n’a pas d’importance : ils voulaient de toutes façons lui mentir, qu’il les prenne pour des extraterrestres ou pour d’enfants normaux revient au même puisqu’ils ne sont ni l’un ni l’autre.

Habitué depuis sa naissance à être en permanence encadré et à toujours savoir ce qu’il est censé faire, 4 est un moment perturbé à l’idée d’être livré à lui-même sans obligation. Mais il s’adapte remarquablement vite. Il récupère deux maquettes de vaisseaux spatiaux sur une étagère, s’allonge dans un luxueux fauteuil et commence à jouer avec. Il les trouve très bien faites, on peut distinguer presque tous les détails à l’intérieur tels qu’il les a vu en cours d’astrophysique – le seul cours qu’il adorait – et il ne lui vient pas à l’idée qu’une telle précision prouve qu’il s’amuse avec des maquettes coûtant une véritable fortune. Ce qui vaut mieux pour sa tranquillité d’esprit alors qu’il cherche quelque chose qui pourrait bien imiter une pluie d’astéroïdes.

5 sait déjà à quel point ce Réseau est vaste. Elle l’a sentit plusieurs fois depuis le début de leur trajet tout en prenant bien soin de ne pas se laisser filer à l’intérieur et de rester concentrée sur sa tâche. Maintenant elle est prête à se lâcher dedans. Le courant doré est bien plus fort qu’elle se l’était imaginé et les informations la traversent comme des lames, multitude se reproduisant à l’infini et attirant chacune de ses pensées dans une direction opposée. 5 se tisse rapidement un programme protecteur. Jamais elle n’arrivera à retrouver ses frères et sœurs dans ce bazar. Elle prend son temps et créé un autre programme qui grandira par lui-même, mêlé aux fils d’or du Réseau, qui saura les guider vers un seul et même point. Le Réseau n’a pas d’espace et pourtant il est trop vaste, comme dans un gigantesque cerveau chaque idée peut se coller à une autre qui paraissait très éloignée et dont elle n’est séparée que par d’autres idées qui mutent, se croisent et se divisent. Il est dur de garder sa personnalité intacte. 5 décide de créer une boîte protectrice comme 2 en avait fait pour aider 3 à circuler dans le Réseau, elle connaît très bien la formule. Là, au croisement où mèneront tous les fils rouges, c’est parfait. 5 les imagine rouge parce que c’est sa couleur préférée. D’autres qui les suivront comme des guides les verront verts d’espoir ou gris comme une route. Elle comparera. Heu, non, plus personne ne lui demandera ce qu’elle a vu dans le Réseau, plus personne ne demandera à ses frères et sœurs de quelle manière ils ont perçu le même objet… Tout ça n’a plus d’importance et c’est triste.

4 prend la main de sa sœur pour être sûr de ne pas la perdre dans ce Réseau et se retrouve dans la boîte, près d’elle. Il n’a jamais trop de mal à voir quand sa sœur préférée a besoin qu’on lui change les idées mais c’est un talent qu’il n’a jamais eu besoin d’utiliser dans le Réseau : même si dans la boîte elle ressemble à ce qu’elle est dans la vie matérielle, son aura d’un bleu profond parsemé d’éclairs d’un rouge douloureux montre un peu de colère échouant à faire oublier un profond chagrin. Dire qu’il voulait juste lui demander de chercher un renseignement sur ses navettes… ça attendra.

Tu peux le décorer comme la maison de Josh ? Elle est super. Et j’ai vu qu’il avait une piscine, on pourra aller nager après, je suis sûr qu’il a des jeux…

Seul 4 arrive à bavarder dans le Réseau. Il sait se concentrer sur des sujets futiles, son esprit saute de l’un à l’autre dans une danse tournoyante qui évite toujours de se poser sur les points délicats – ou douloureux.

Ou alors on installe un truc très connu comme la grande pyramide d’Egypte ou les jumelles croisées de Shangaï. Des hiéroglyphes ça serait super, qui raconteraient notre vie et tout, nous on ferait les pharaons là au milieu ou alors carrément les dieux ça serait cool…

5 est tellement plus facile à consoler quand elle est dans son corps, concentrée sur le monde matériel. Plus facile à faire rire ou à mettre en colère, en tous cas. Quand à ce qu’elle pense quand elle va se coucher et qu’elle est seule avec ses pensées… son esprit est toujours soigneusement verrouillé à ces moments-là.

Toutefois 4 est encore plus entraînant quand il est dans le Réseau et qu’il tient à une idée, son enthousiasme répand autour de lui chaleur et légèreté, un mélange subtil qui ne force jamais mais donne envie de le suivre, juste comme ça, histoire de voir…

5 se prend au jeu et choisit la décoration de leur antre. Les fils partant tous de la palpitante boule rougeâtre la font penser à des tentacules… C’est décidé, ce sera une pieuvre. Elle et 4 se disputent sa forme, sa taille, 4 insiste pour l’envelopper d’un code qui la rendra visible aux humains, 5 trouve ça inutile, les arguments directs fusent et se mélangent, les disputes dans le Réseau créent de nouvelles réalités qui sont parfois magnifiques.

Et parfois l’un des deux esprits cède et laisse l’autre faire sa pieuvre à son idée. 4 prépare tout de même un tee-shirt portant un message comme il en a vu dans la ville, d’abord parce que l’idée qu’une pieuvre ayant une infinité de tentacules porte un tee-shirt lui paraît drôle, ensuite parce qu’il le fait visible. Les visiteurs humains ne verront qu’une masse de données sans queue ni tête ne ressemblant pas à une image et encore moins à une chose concrète, sur laquelle sera posé un minuscule programme ayant une forme analysable et proclamant ce message : « Faites gaffe, j’ai les bras longs. ». Ça le fait rire. 5 aussi. Ça va mieux.

Les Techs sont traités comme des rois dans le palais de Josh Mallone et ça leur plait beaucoup. Ils sont habillés à la dernière mode de tissus techs dernier cri, ils n’ont qu’à demander pour avoir à manger ou utiliser tout ce qu’ils désirent, un hôte prévenant se met en quatre pour les satisfaire. Il n’y a que deux petites ombres au tableau : ils ne sont pas des extraterrestres et l’environnement est entièrement tech. Les deux leur provoque un malaise d’abord léger, puis de plus en plus prononcé. Il est quatre heures de l’après-midi et ils en ont vraiment assez. 4 et 5 se mettent à tourner en rond dans la superbe maison, nerveux et irritables, tandis que 3 reste dans son coin à tenter de garder son esprit à l’abri Réseau qui les cerne. Vivre entouré de tech relié au Réseau nécessite de garder une muraille mentale pour ne pas partir n’importe où et rester concentré sur le même ici et maintenant que son corps. C’est un exercice simple qu’ils réussissent tous. Mais au bout d’un moment c’est réellement usant.

A ça s’ajoute la culpabilité de tromper Josh. C’est une chose de se faire passer pour des enfants humains, c’en est une autre de laisser entendre qu’on est une espèce d’entité bénéfique semi-divine ayant en charge l’avenir de la Terre. Bien sûr ils ne voulaient faire croire ça, ils n’auraient même jamais été capables d’inventer un scénario aussi saugrenu, mais Josh le pense et ils l’ont laissé y croire. Il sera forcément très déçu quand il s’apercevra qu’ils sont tout bêtement des humains juste un peu plus télépathes que la moyenne.

On s’en va ? propose enfin 5. Je ne supporte plus d’être enfermée là-dedans !

Ok répond 4 mais c’est toi qui explique à Josh qu’on n’est pas des extraterrestres. Et puis on a décidé de ne pas raconter aux gens qui on est vraiment, comment on va lui expliquer le coup de la voiture ?

On va demander à 3.

Pour les questions concrètes exigeant des solutions concrètes, 5 sait qu’elle peut se fier à sa grande sœur. Les deux plus jeunes se rapprochent de 3 et sans lui demander son avis lui prennent la main pour entrer en contact immédiat avec elle. L’acteur les regarde émerveillé. Il sait qu’ils communiquent par télépathie et a remarqué que les contacts physiques semblent favoriser l’exercice. Il se dit que peut-être que les extra-terrestres ont des systèmes de communication extraordinaires dans leurs corps d’emprunt, ou  peut-être que ces corps ont plusieurs des pouvoirs des extraterrestres… l’idée qu’ils aient volé ces corps à de véritables enfants humains l’a effrayé un moment mais depuis il accumule les indices prouvant que ce n’est pas le cas, à sa grande satisfaction. Jusqu’à présent ses invités ont refusé de répondre à ses questions, préférant s’amuser et explorer la maison, ce qu’il ne peut pas leur reprocher. Ils ont fait un long voyage et même si on leur en a sans doute beaucoup parlé, la Terre doit être un environnement très nouveau pour eux. Il a donc arrêté de poser des questions mais les suit toujours avec dévotion du regard partout où ils vont – sans se douter que c’est une des principales raison qui provoque la réunion qu’il a sous les yeux.

Il faut qu’on se tire dit énergiquement 5.

Mais j’aimerai bien ne pas faire trop de peine à Josh, il est gentil précise 4.

3 réfléchit au problème. Comme les deux autres elle paraît facilement beaucoup plus mûre que son âge puisqu’elle dispose d’un vocabulaire et de connaissances implantés par ses aînés. Elle n’en reste pas moins une fillette de douze ans qui n’a jamais eu à se prendre en charge elle-même. Elle se décide pour un nouveau mensonge qu’elle confie à 4, le meilleur acteur des trois même s’il se laisse souvent trop emporter par son personnage.

Josh voit Nora, Neil et Victoria se séparer et s’avancer vers lui, l’air grave. Aussitôt son sourire émerveillé disparaît, l’angoisse monte, accompagnée d’une étrange excitation : peut-être vont-ils enfin lui parler de leurs projets et de l’avenir de la Terre, peut-être même va-t-il faire partie de ces projets… Il ne sait pas s’il doit être fier ou terrifié par cette responsabilité. Il imagine déjà les discours qui seront faits aux générations futures : Josh Mallone était un acteur de renommé mondiale mais c’est surtout sa connaissance poussée des modes de vie extra-terrestres qui l’a désigné comme hôte de choix pour les célèbres envoyés… Une petite statue à son nom tiens, ça lui plairait bien aussi. Il a complètement oublié les médias et l’article qu’ils doivent écrire en ce moment même sur sa visite à sa ville natale. Son agent doit être en train de tempêter au téléphone en tombant pour la dixième fois sur son répondeur. Sa carrière d’acteur n’est rien comparé à sa carrière naissante de sauveur de l’humanité.

A la réflexion, Neil paraît plus embarrassé que grave. Les deux filles le poussent plus ou moins en avant et il regarde ses pieds.

« Heu… Il faut qu’on t’explique un truc.

_ Oui ? répond Josh qui garde encore de l’espoir.

_ On est, heu, on est désolés. Mais il faut qu’on parte. C’est pas contre toi hein tu as été super sympa et tout et on adore ta voiture elle est vraiment géniale. Et ta maison aussi et tout le reste, on est très bien chez toi. Mais on est là pour… enfin on est pas là parce que…

Mince, il faut dire  quoi déjà ?

Explique-lui répète 3 que nous ne sommes pas les extraterrestres qu’il croit et qu’on ne fait que passer. Et que ce sont nos vrais corps.

_ … on n’est pas les extraterrestres que tu crois et on ne fais que passer. Ce sont nos vrais corps. On est monté dans ta voiture parce qu’on s’était téléporté en plein dans les champs, ce qui était une erreur de calcul mais bon pas très grave on s’en est bien sortis, et il nous fallait une voiture pour arriver à L.A. Donc voilà. On est vraiment désolé de l’avoir conduit à ta place – le petit sourire en coin de Neil montre qu’il n’est absolument pas désolé – mais on n’a pas pu résister. Enfin voilà. Maintenant on s’en va.

Josh est abasourdi. Adieu gloire et statue, adieu petits hommes de l’espace, adieu mystères éclaircis pour son seul profit…

_ Vous ne pouvez pas partir ! Il y a.. il y a des gens mauvais dehors, il pourrait vous arriver du mal ! Je vous en supplie, restez avec moi, je vous emmènerai partout où vous voudrez…

_ On sait qu’il y a des gens mauvais, dit Nora.

_ Et on sait se battre ! lance Victoria.

_ On est pas ce que tu crois, vraiment, assure Neil. On ne vient pas juger la Terre, on ne fait pas… On est juste de voyageurs, quoi. On peut se téléporter de planète en planète et on a fait escale sur celle-là, mais là il faut qu’on reparte. On va sur Pluton. Il nous reste beaucoup de chemin. Mais on est content de t’avoir connu. C’est très très chouette la Terre, merci à toi de nous avoir fait visiter, et maintenant c’est bon on s’en va.

Josh pleure. Ce spectacle secoue les trois enfants plus qu’ils ne l’auraient imaginé. C’est la première fois qu’ils voient un adulte ayant autant de chagrin – et pire encore, ils savent très bien qu’ils en sont la cause. 4 s’approche et lui tapote timidement le bras en disant :

_ C’est pas grave, ça va s’arranger, et puis les autres, les vr… enfin ceux que vous attendez tous ils ne vont pas tarder à arriver et je suis sûr qu’ils vont venir te voir.

_ Et puis, ajoute 3 maladroitement, c’est déjà bien qu’on soit passé, non ?

Mauvais argument lui font savoir 4 et 5 en la foudroyant du regard. Preuve qu’ils connaissent mal Josh qui, lui, trouve que c’est un excellent argument.

Parmi les séances auxquelles il a assisté figure entre autre le sujet « Accepter qu’Ils Repartent ». Beaucoup de ceux ayant eu la chance de rencontrer les extraterrestres passent leur vie à attendre qu’ils reviennent et sont souvent hanté par l’obsession qu’ils doivent se montrer digne… donc culpabilisent au fur et à mesure que le temps passe et qu’ils ne reviennent pas. Bien sûr ça ne concernent pas ceux qui se croient enlevés par les extra-terrestres et soumis à des expériences, des rumeurs qui selon Josh sont lancées voir fondées par d’obscurs organes gouvernementaux. Pour le moment, il doit, lui, Accepter qu’Ils Repartent. Et peut-être sans revenir. Après tout, même s’il ignore toujours beaucoup de choses des mystères de l’univers, il a profité de leur compagnie pendant presque tout une journée, alors qu’il y en a tant qui attendent en vain. Et ils l’ont remercié. Ils l’ont trouvé très bien. Il doit maintenant avoir la sagesse de se contenter de ça. Surtout qu’il voit bien qu’ils sont très gênés par ses larmes. Il doit leur paraître le comble de l’égoïsme, au mieux ils penseront avoir affaire à un véritable gamin, au pire… à un stupide humain. Il inspire à fond et fait appel à tout son talent d’acteur pour montrer qu’il accepte leur décision. Avant de partir ils emportent quelques-unes des affaires qu’il leur a acheté et les mettent dans des sacs qu’ils lui empruntent, il n’aura qu’à garder les autres en souvenir. Trop vite ils lui disent adieu. Et s’en vont.

Ils ouvrent le portail avant même qu’il ai pensé à le déverrouiller lui-même. Josh admire quelques instants cette nouvelle manifestation de leur talent. Il se demande une fois de plus s’ils reviendront, et quand, et s’il aura de leurs nouvelles d’ici là. Il rentre à pas lents chez lui et allume son téléphone. Les rugissements de son agent – elle déteste qu’un de ses "poulains", même célébrissime, la mette de coté – le distraient un moment de sa terrible solitude.

Vous croyez  qu’il est fou ? demande 5. Elle ne s’attendait pas à rencontrer un numéro pareil.

Sans doute, répond 3, les extra-terrestres ça n’existe pas.

Si ! s’indigne 4. La force de sa pensée est plus convaincue que convaincante et ses sœurs n’insistent pas.

Ils descendent vers le centre-ville sans un sou en poche, sans savoir où dormir et vêtus comme des princes, sans s’imaginer une seconde qu’un seul de ces éléments suffit à valoir même à d’innocents enfants un certain nombre d’ennuis. Ils se sentent mieux à présent qu’ils se sont éloignés de la villa suréquipée, le ciel est bleu, les humains qui ne sont pas des soldats sont visiblement très accueillants quoi qu’un peu particuliers, ils ne voient aucune raison de ne pas se sentir optimistes et pleins de curiosité envers la ville qu’ils s’apprêtent à explorer.

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Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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