Duel à la plume ***
Duel à la plume
« Monsieur,
vous m’offensez ! piailla l’honorable lady d’une voix aïgue.
Drapé de toute
sa dignité et accessoirement d’un rideau, le jeune homme répondit aussi
noblement que le lui autorisait la hauteur de sa naissance :
_ Dégage la
vioque ou ça va chier grave !
La noble dame
allait mettre fin à l’audace de l’opportun en lui arrachant sauvagement les
yeux à l’aide de sa petite cuillère en argent quand un claquement de doigt
retentit d’une manière étrangement sonore au milieu des bruyantes festivités.
Il faut dire que les rires et les chants eux-mêmes ne se seraient pas permis de
troubler l’auguste claquement de doigt du Seigneur.
La lady et
l’adolescent étaient sous le point de mire de ses prunelles de feu.
Immédiatement ils se prosternèrent aux pieds de leur souverain, se maudissant
d’avoir par cette stupide querelle attiré son courroux.
Le Seigneur
s’allongea confortablement sur un immense coussin de soie porté par deux petits
angelots sauvages (reconnaissables à leurs longues griffes et surtout aux
chaînes qui garantissait leur obéissance au cours du dressage). Il ouvrit la
bouche. Un silence total se fit, tous les invités étant prêts à boire la
moindre de ses paroles et à aduler chacun de ses silences.
Il
proclama :
_ Que ce
conflit se règle par un duel à mort !
Hourra et
applaudissements se mirent à retentir, mais puisque le Seigneur n’avait pas
terminé, il n’eut qu’à lever le sourcil gauche pour que de solides serviteurs
mettent le mauvais fêtard à la porte. Lequel s’estima chanceux. Le Seigneur
aurait pu lever le sourcil droit.
_ Vos armes
seront des plumes. Votre champ de bataille cette longue table. Si au coucher du
soleil aucun ne gît à terre, vous serez exécutés tous les deux. Que chacun
choisisse son champion. Allez ! »
Remerciant
humblement le Seigneur, noble dame et jeune homme partirent à la recherche d’un
champion. La Lady choisit un preux chevalier de ses amants dont l’armure
étincelant s’assortissait mal à son épée usée : c’est que ce chevalier
avait donné bien des coups et en avait paré autant, mais n’avait jamais eu
besoin de son armure pour autre chose que séduire par sa belle prestance (et
masquer son visage difforme et hideux). Le garçon choisit une motarde de ses
amies, appartenant aux Hells Amazones : sa combinaison de cuir rouge se
mariait aux flammes noires ornant son casque et sa moto qu’elle fit monter sur
la table d’un seul coup de rein. Les deux combattants étant prêts, on leur
donna solennellement les deux plumes du duel. Il leur était interdit de se tuer
l’un l’autre avec autre chose que ces plumes, l’épée et la moto devant être
strictement limités à la défense. Le chevalier reçut une plume d’aigle
tranchante et la motarde une plume de poule douce comme du duvet.
Un coup de
gong plus tard et ils étaient l’un sur l’autre, l’armure étincelante du
chevalier s’ornant d’une belle trace de pneu, la combinaison rouge de la
motarde artistiquement tailladée. Ils se fixèrent encore un instant, se défiant
sans le regard puisque leurs yeux à tous deux étaient cachés, puis se jetèrent
à nouveau l’un sur l’autre. La motarde parvint d’un habile coup de roue à
arracher la botte de fer du chevalier quelques secondes avant que celui-ci ne
la jette à bas de sa pétaradante monture. Il commença à lui porter plusieurs coups
redoutables de sa plume d’aigle et plus d’un dans l’assemblée paria sa montre
et son billet qu’il allait la découper en morceaux encore toute vive. Soudain,
profitant d’une trouée dans la garde du chevalier, la motarde se jeta à son pied nu, le souleva d’une diabolique
torsion et se mit à le chatouiller savamment à l’aide de sa propre plume. Le
chevalier ne tarda pas à hurler de rire puis à s’écrouler, riant toujours.
Malgré la torture c’était un homme fort qui mit bien une heure avant de mourir
de rire, une mort affreusement ennuyeuse mais qui eu l’heur de plaire au
Seigneur, lequel daigna adresser un signe de tête à la motarde victorieuse et
couverte de sang.
Ainsi le jeune homme gagna légitimement la dernière cerise du gâteau
qu’il se disputait avec la lady et la fête put reprendre son cours normal – si
tant est qu’elle en ai eu un un jour.