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Ecriveuse en herbe
4 juin 2007

Dans la forêt sans nom **

Cette histoire se passe dans une forêt où on oublie tout, vue par l'une de ses victimes :

Dans la forêt sans nom

Je suis dans une forêt. Je marche. Au bout d’un moment je m’arrête. Mais ça m’angoisse. Je repars. Ce n’est pas vraiment une forêt effrayante, pourtant… Je m’arrête encore et m’approche d’un arbre pour creuser un peu ce mystère. Il me manque quelque chose, j’en suis sûre, quelque chose d’important…

Je n’aime pas ça.

Je touche l’arbre. Son tronc est lisse et doux. Tiède. Il est beau, en fait. Je lève la tête et je regarde les feuilles d’un vert tendre danser dans le vent, loin au-dessus de moi. Il y a autour de moi des centaines, des milliers d’arbres, à perte de vue, tous aussi beau que celui que je caresse. Pas tous tout à fait identiques, cependant. Et entre eux on voit par endroit de la terre et de l’herbe, des buissons, des fougères, des ronces, des rochers, il y a des milliers de façons d’être une forêt. Tous, pris isolément, ont l’air gentils. Accueillants. Mais il me manque quelque chose, et ce quelque chose ce ne sont pas les arbres. Je le sais, j’en suis sûre.

Je me met à pleurer. Quelqu’un devrait venir maintenant, non ? Quelqu’un de grand et de rassurant, quelqu’un qui m’aimerai et me prendrait dans ses bras et qui ferait disparaître à tout jamais ce… vide. Mais plus je pleure, plus le vide grandit, et ça me fait mal. Je sèche mes yeux pour m’arrêter plus vite. L’arbre n’a pas bougé. Je lui donne un coup de pied. Saleté. Pourquoi personne n’est venu ?

Je n’ai jamais vu personne d’autre que moi. Il y a moi. Il y a les arbres. Pas d’autre moi. C’est ça qu’il me manque : quelque chose pour qui je sois importante, qui m’aime et prenne soin de moi. Quelque chose que je pourrait aimer et protéger. Les arbres s’en fichent de moi et je m’en fiche d’eux. Ça ne va pas.

J’ai encore une grosse boule dans la gorge mais je ne veux plus pleurer. Je dois trouver cette chose qui me manque. Elle n’est pas là. Il y a une chance pour qu’elle soit quelque part. Je me met en marche.

Je suis fatiguée et je m’assoies entre deux immenses racines qui me font un dossier confortable. Ce n’est pas de l’herbe mais de la mousse, c’est humide et je m’enfonce. J’aimerai quelque chose de plus sec pour me rouler en boule et m’endormir. Curieuse, je gratte un peu la mousse. Je ne sais pas ce que j’ai mais quelque chose me pousse à fouiller partout. Sous la mousse je trouve un vers. Je le prends dans ma main et l’amène à hauteur de mon visage. Il se tortille de haut en bas. Je lui fait un signe de tête de haut en bas aussi. Il se tortille encore. Je crois qu’il me comprend ! Il m’écoute, il me parle !

Je fais du bruit avec ma bouche mais lui ne fait pas de bruit. Il se tortille toujours. Je me tortille un peu aussi. Mais je suis pas aussi souple que lui, alors je prend une mèche de mes cheveux et je la pose à coté de lui, en lui faisant faire des mouvements. Le vers et la mèche se tortillent ensemble et ça me fait plaisir. Je me sens moins angoissée.

J’essaye de comprendre ce que le vers veut me dire. Tous ces mouvements, ça a forcément un sens. Mais je n’y comprends rien. Et ça me fatigue, et ça m’agace – je ne sais pas pourquoi j’ai ce vers sur la main, mais j’ai mal au bras. Je ne joue plus avec ma mèche. Je pose le vers sur la racine, je prend ma chaussure et je l’écrase. Et il ne bouge plus. C’est dégoûtant et c’est triste : il n’y a personne de vivant dans cette forêt à part moi ! J’ai froid, j’ai peur, je suis malheureuse, je veux je veux je veux je veux je veux… quelque chose.

Je veux que le vers redevienne vivant.

Mais je n’aimais pas le vers.

Je veux un vers vivant qui me réponde.

Je crois.

Je me lève et je marche. J’essuie ma main gluante sur mon pantalon, machinalement.

J’entends du bruit devant moi. Non, à coté, à droite. Je me pétrifie, les yeux écarquillés, le cœur battant toute allure, j’ai peur et pourtant j’espère, ô comme j’espère !

Le bruit s’éloigne. J’ai peur de l’appeler. Mais je ne peux pas le laisser partir en restant sans bouger, non, la forêt est trop horrible partout, je ne veux pas, je veux un quelqu’un , je cherche mon quelqu’un, et en pensant à ça j’arrive à bouger et à me rapprocher du bruit. D’abord je marche, ensuite je cours. Je le veux. Je vole au-dessus des racines et des cailloux, je me faufile entre les troncs et les buissons de ronce, je cours vers quelqu’un, ce bruit qui ressemble au bruit de mes pieds mais qui n’est pas causé par mes pieds, ce sont les pieds de quelqu’un, je veux le rattraper !

Je lui tombe carrément dessus. C’est un quelqu’un qui me ressemble. Il est chaud et mou et vivant et fait du bruit et moi aussi et je le prend dans mes bras en riant. Il se dégage. Il rit aussi pourtant. Je ne sais pas comprendre les bruits qu’il fait, je sais qu’il m’a vue, je sais qu’il essaye de me parler et moi aussi j’essaye et je n’y arrive pas et je ne me souviens plus de rien !

Au bout d’un moment, on abandonne tous les deux. J’ai envie de me remettre à marcher. Je lui fait signe que j’avance. Il me suit. Je lui donne la main et avec son autre main il me tapote l’épaule, pour montrer que tout va bien, il y a un lien, nous sommes deux. Les arbres sont toujours là, une belle infinité d’indifférence, mais nous nous sommes deux. Je suis apaisée.

Il reste juste en moi ce petit manque – un tout petit bout de manque – qui m’a donné envie de chercher encore en me chuchotant à toute à allure ce n’est que le début il en faut encore encore encore…

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Commentaires
L
Ecrit à Deslyre en mai 2007. Le sujet était : "tu es dans la forêt Sans Nom, qu'est-ce que tu fais ?". Du coup j'ai appris que c'est une forêt où on oublie tout et qu'on la trouve dans la suite d'Alice au pays des Merveilles, "de l'autre coté du miroir", de Lewis Carroll. Il me semble que quand quelqu'un oublie tout, il cherche tout de suite quelque chose à quoi et surtout à qui se raccrocher, une base solide, et que sans ça tout l'effraie beaucoup. En même temps, il y a sûrement de nombreuses réactions différentes : j'en ai décrit une et j'ai adoré en découvrir d'autres (voir http://deslyres.over-blog.com dès que les textes seront publiés)
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  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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