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Ecriveuse en herbe
11 juin 2007

Les Techs, chapitre 1, première version (suite)

5 se redresse et 4 a peur qu’elle soit à nouveau prête à combattre comme si rien ne s’était passé.
3 est là ! dit-elle à 4 en lui désignant l’une des caméras. Il se hisse péniblement jusqu’aux images dans le mince fil tech qui les relient à leur Réseau et découvre 3 et ses deux otages. Jamais il n’aurait cru ça d’elle. De 1, peut-être, de 2, sûrement, voir même de 5… mais pas de 3 la si obéissante.

Même 5 est incapable de lui envoyer un message, ils sont trop loin. 4 dit : on devrait rentrer dans la salle, elle est hors de danger maintenant.

NON ! dit 5, qui reprend en essayant d’adoucir la force de ses pensées, non, on ne peut pas la laisser tomber. C’est notre sœur. Elle va se faire tirer dessus…

Il faut qu’on s’enfuit tous ensemble pense 4 à l’unisson avec sa sœur. Tous ensemble, y compris les professeurs, les docteurs, les surveillants, les gardiens, tout le monde. Le labo tout entier s’ils le peuvent.

5 se rapproche d’un fil de Réseau et plaque sa main dessus. Sa démarche est redevenue fière et conquérante. 4 se demande si on verra quelque chose, si le meurtre qu’elle a commis se verra d’une manière ou d’une autre dans son attitude, sur son visage – ou dans son regard. Il met sa main sur celle de 5 pour qu’ils unissent la vitesse de leurs esprits et arrivent à entrer en contact avec leurs aînés pour leur poser la traditionnelle question : qu’est-ce qu’on doit faire ?

1 entend le message de 4 et de 5 et suit le fil conducteur qu’ils ont laissé dans le Réseau jusqu’aux caméras éloignées des bois. Le spectacle de 3 tenant en respect deux soldats le laisse sans voix. Quoique moins que le fait indéniable qu’elle et son chargement se dirige tout droit vers le groupe de soldats le plus important et qu’elle va forcément se faire trouer la peau avant même d’avoir eu le temps de dire "les mains en l’air !". Au cas peu probable où elle pense à sortir ce genre de réplique. 3 n’a jamais eu le sens de la répartie.

Elle est devenue folle, pense 1, le choc l’a rendue folle, complètement folle…

Folle de douleur, précise 2 qui en remarquant son désarroi a suivi son esprit jusqu’aux fameuse caméras, et a deviné – ou lu ? – les pensées de son frère. 3 était la plus tranquille et la plus sage de tous les Techs, tout simplement pour faire plaisir aux professeurs, surtout le professeur Milley. Maintenant qu’il a disparu, elle est capable de n’importe quoi.

2 explique rapidement aux humains :

« 3 a un fusil et tient deux soldats en otage zone F3/32-35. Elle va vers l’héliport en passant par les arbres, derrière le E2. Il y a encore une vingtaine de soldats là-bas et ils ont une grosse réserve d’arme. 4 et 5 sont sortis et caché devant le E2, pour le moment il n’y a personne près d’eux. Alors maintenant, on fait quoi ? »

Les humains parlent tous en même temps, plusieurs plans émergent sans dominer : il n’y  a pas de haut responsable dans le groupe et chacun cherche à s’imposer aux autres.

Génial, pense 1, on va suivre l’idée de celui qui parle le plus fort…

On n’a qu’à décider tous les deux, propose 2 d’un ton assuré. Ils sont venus nous tuer parce qu’ils ont peur de nous. On va leur montrer qu’ils ont raison d’avoir peur.

Il va falloir tirer, nous aussi. Je ne veux pas.

Il faut récupérer les petits et s’enfuir.

Et pour les professeurs ? Et pour le laboratoire ?

On s’occupera du laboratoire en allant chercher les petits. Je ne sais pas quoi faire pour les professeurs.

Ligman n’arrête pas de parler de partir à l’attaque. Je crois que Tizzi le suivrai. Et peut-être d’autres.

Les professeurs ne le voudraient pas.

Le directeur le voudrait.

Oui, mais on s’en fiche de ce type, ce n’est qu’un stupide pantin qui est là pour surveiller que tout se passe bien.

Il n’a pas été efficace.

Peut-être que c’est lui qui nous a trahi.

On cherchera les responsables plus tard.

Oui. Je n’ai pas trouvé de traces des professeurs.

Mais on n’a pas vu leurs corps non plus.

On peut laisser les humains se battre et les sauver puisqu’ils en ont tellement envie. Que les humains sauvent les humains, nous on se débrouillera avec les nôtres.

C’est une idée horrible !

Ne me dit pas que tu n’y as pas pensé !

Je ne sais plus… nous sommes trop proches.

1 reprend ses esprits. C’est une image qui convient bien. Transmettre directement est très efficace pour trouver des solutions concrètes à des problèmes concrets, mais mieux vaut ne pas échanger des idées ou des émotions si on ne veut pas se perdre en route et ne plus savoir ce qui vient de l’un et ce qui vient de l’autre.

Des solutions concrètes à des problèmes concrets…

Il nous faut un véhicule pour quitter l’île, reprend 2, et autre chose pour aller chercher les enfants. On verrouillera le labo si on a le temps d’aller à côté.

Pourquoi autre chose ? On n’a qu’à prendre un hélicoptère.

Un des leurs ?

Il y a en deux dans les bois qui ne sont pas gardés. On y va et on les prend. On va récupérer 3 de gré ou de force. On dit aux petits où nous rejoindre. On ferme le laboratoire.

S’ils ne nous envoient pas une roquette sur l’hélico.

Sur leur propre hélico ?

Exact. Et pour les humains ?

On aura la place. On leur dit que c’est ça ou rien, que nous les Techs on refuse de tuer. Il faut qu’on leur redise. On dirait qu’ils s’en fichent. Et pour les professeurs ?

Je ne sais pas.

Moi non plus.

Merde.

Pareil.

Les deux Techs émergent de leur discussion sans que les humains réalisent qu’ils l’ont tenue. 2 leur explique – elle sait parler aux gens :

« 1 et moi on a besoin de quelques personnes rapides et discrètes pour aller chercher un hélicoptère. Ensuite on va chercher les petits avant qu’ils fassent une bêtise, on ferme le Labo, on revient chercher les autres et on part tous de l’île. »

Pendant quelques secondes 1 se demande où 2 a appris à parler avec cette autorité – le menton haut, la voix forte et claire, tout y est – puis il réalise qu’elle imite le professeur Stones, tout simplement. Bien joué.

Le temps que les protestations et les contrordres se calment en face, 1 a déjà envoyé leur plan à 4 et 5 en leur demandant d’essayer d’arrêter 3 – par le Réseau tech seulement, pas question qu’ils prennent des risques – et d’aller chercher 6 et 7. Finalement Delawney et le gardien de jour belliqueux (Ligman) les accompagnent. Alors qu’ils quittent la pièce, Tizzi plante violemment ses ongles dans le bras de 2 et lui dit d’une voix grave : « Le laboratoire est plus important que toutes nos vies. Ne l’oublie pas. » 2 tente de ne pas montrer son dégoût et sa haine, elle arrache son bras à la serre de cette harpie et sort sans un mot.

Arrêter 3. Une mission vitale et simple qu’ils sont les seuls à pouvoir remplir. Mais est-ce qu’ils en seront capable pour autant ? 4 et 5 ont bien sûr tenté de joindre 3 mais elle refuse d’envoyer son esprit dans le Réseau, il faudrait un contact direct pour la forcer. Ou que 3 touche une forte source d’énergie tech avec laquelle eux sont en contact. Ce qui se produira après qu’elle soit en vue des soldats. Elle a déjà évité trois d’entre eux par miracle.

Ça va mal.

Avec toi, 6 et 7, je devrais avoir assez d’énergie pour l’atteindre dit 5.

Ils sont trop petits répond machinalement 4. Puis il réfléchit. Après tout, leurs énergies mentales ont suffit à faire la différence lors de l’évasion, non ?

D’accord, dit-il, on y va. Heu, tu n’es pas trop fatiguée après tout ça ?

T’inquiète. J’y arriverai.

Est-ce qu’elle dit qu’elle aura assez de force pour y arriver ou qu’elle donnera toute son énergie, jusqu’à s’évanouir s’il le faut, pour y arriver ? Sa pensée n’exprime que sa résolution farouche. De toutes façons ils n’ont pas le choix.

Il y a des soldats entre la salle E22/54 et la sortie, mais les petits peuvent aller jusqu’à la E22/3 et sortir par la fenêtre sans rencontrer personne (et 4 regrette amèrement de ne pas y avoir pensé avant, ça aurait évité… tout le reste). C’est 5 qui les appelle et leur dit par où passer. 4 garde le peu de force qu’il lui reste, après son numéro avec le scalpel il a l’impression d’avoir soulevé un parpaing avec la cervelle. Ils attendent près de la fenêtre qu’ils arrivent. 6 et 7 se donnent la main et c’est 7 qui coure devant et tire son frère avec impatiente. 6 est calme. Soulagé. Et calme. Un brave petit bonhomme.

Ils sortent par la fenêtre et sautent l’un après l’autre dans les bras de 4. Ils restent quelques instants immobiles – un lourd bruit de bottes se rapproche, mais d’après les caméras les intrus vont dans une autre direction – et vont autour d’une borne d’énergie tech qui sert d’habitude à recharger les appareils électroniques tech.

7 demande : on va où maintenant ?

On va appeler 3 tous ensembles, répond 4.

Et 1 et 2 ? Et les professeurs ?

6 n’a rien demandé mais lui aussi est très attentif à la réponse. Son regard habituellement vague et perdu s’est planté droit dans les yeux de 4 et celui-ci se dit qu’il a plutôt intérêt à ne pas mentir. 5 lui sauve la mise en les pressant tous : Vite ! On doit s’occuper de 3 tout de suite !

Sans un mot ils se mettent à l’ouvrage. 6 et 7 n’aiment pas trop ce genre d’exercice, surtout deux fois de suite, surtout à une heure où ils devraient être couchés et surtout sans les prières et encouragement d’usage de toute l’équipe. Mais ils savent très bien que ce n’est pas le moment de se plaindre ni de désobéir. L’urgence de la situation leur a été directement injecté sous le crâne.

5 prépare une flèche droite qui part de l’objet tech le plus proche de 3 et se tend vers l’esprit de sa sœur, un bloc gris et inexpressif vu de l’extérieur. 6 et 7 tendent à leur tour leur esprit et suivent la flèche le plus loin possible, tandis que 4 renforce le tout et veille à ce que les plus jeunes ne s’éparpillent pas dans le Réseau sous l’effort qu’on leur demande. 5 s’avance encore un peu. Et encore un peu. 3 s’éloigne plus vite que sa sœur n’avance. Elle est en train de sortir du couvert des arbres.

Encore un peu…

3 n’est pas aussi suicidaire qu’elle en a l’air et a pris soin de faire le tour du bâtiment bien cachée par l’obscurité. Elle s’est du coup rapprochée de ses deux prisonniers qui n’osent pas appeler les autres à leur secours et qui peinent sur les cailloux et les racines traîtreusement cachés dans le noir. Le blessé, surtout, a l’air assez mal en point, il faut l’admettre. 3 l’admet – et ça ne lui fait ni chaud ni froid. Elle avance.

D’abord elle ne s’aperçoit même pas que quelqu’un cherche à entrer dans ses pensées. Puis le grattement se fait insistant. Elle pense que se sont les deux plus grands qui cherchent à la retenir et la faire abandonner et elle repousse l’autre. En tous cas elle le tente. Son esprit est une tour ouverte sur le monde réel, les minces fils d’or du Réseau le caresse mais tant qu’elle n’en a pas décidé autrement ils ne font que se heurter à ses murailles mentales. Par contre, à partir du moment où 3 a décidé de repousser ces fils, elle est bien obligée d’ouvrir une brèche pour faire passer un coup de poing mental. 5 saisit l’occasion et entre en contact avec sa sœur, étendant un filet dans la brèche trop vite pour que 3 puisse la repousser partout, et instantanément lui transmet l’ordre de les rejoindre au plus vite pour qu’ils puissent s’enfuir tous ensembles. Quoique ce soit davantage un hurlement qu’un ordre – un cri de détresse, une émotion surpuissante dans un esprit épuisé. 3 se raccroche à 5 avant que la fillette ne se retire et lui demande ce qu’ils vont faire pour les Professeurs qui sont forcément là prisonniers quelque part. 5 ne peut plus répondre que par des images floues noyée dans le sentiment d’urgence. Puis elle repart. Elle a donné jusqu’à l’extrême limite de sa force.

Tout ça n’a eu aucune durée dans le monde matériel. 3 se demande ce qu’elle va faire, déchirée entre sa loyauté envers ses parents et celle envers ses frères et sœurs – les siens, les seuls êtres existants de son espèce. Mais le Professeur Milley répète souvent que les plus grands doivent s’occuper des plus petits. Il faut qu’elle y aille. Il approuverait ce choix.

« Avancez ! » ordonne-t-elle une dernière fois aux soldats, toujours d’une voix terriblement neutre. Leur souffle rauque et le bruit de leurs pieds dans les plantes et les pierres leur masquent depuis le début le bruit de ses pas à elle. Quand enfin ils arrivent à la lisière des arbres, ils attendent un vain un ordre. Celui qui a toujours ses deux mains jette un coup d’œil timide derrière lui. Personne. La petite fille s’est éclipsée dans leur dos.

Le petit groupe sort de l’immeuble P6 par la fenêtre. Delawney a un peu de mal à marcher dans le noir mais suit bien le rythme du groupe. Ligman a sortit de son attirail des lunettes infra-rouge. 1 et 2 voit par l’œil des caméras et guident les deux humains sur l’itinéraire le plus sûr. Sans le souci qu’ils se font pour leur sœur, l’expédition aurait été une vraie promenade.

Ils montent à bord. Ligman fait un geste vers les commandes mais 1 l’a déjà devancé. « On sait piloter ça. » disent les deux Techs dans un unisson parfait qui fait froid dans le dos. Ils le savent très bien et évitent d’habitude de le faire. Aujourd’hui, faire froid dans le dos de qui ce que soit est le cadet de leurs soucis. Ils décollent. En un clin d’œil ils sont au-dessus du bâtiment E2 à coté duquel ils se posent. La radio de l’hélicoptère grésille : quelques chefs leurs demandent des comptes. Ligman prend le poste et réponds d’une voix brouillée :

« Obéissons à ordre prioritaire.

_ Quel ordre ? Pourquoi vous déplacez-vous ?

_ Ordre prioritaire, continuez votre mission, on nous en a confié une autre.

_ Qui ça ? Heltran ?

_ Ordre prioritaire, n’entravez pas notre mission. Terminé. »

Ligman raccroche avec un ricanement méprisant. Une belle bande de comique, il y a pas à dire. Ils ont même un nom sur lequel se renseigner une fois sortis de ce guêpier.

6 et 7 sautent dans l’hélicoptère et courent dans les bras de 1 et 2. 3, 4 et 5 montent à leur tour. On peut sentir de loin l’hostilité et la désapprobation de 3, mais au moins elle est là. 5 est à moitié évanouie et soutenue par elle et par 4. Ligman demande : « Qu’est-ce qu’elle a ? »

« Migraines » répond sombrement 2, et l’homme n’insiste pas. Les enfants allongent 5 de leur mieux sur le sol de l’hélicoptère. 1 leur annonce : Vous restez tous là avec Mr Delawney et Ligman, on va fermer le laboratoire et on revient.

On peut vous aider propose 4 pourtant épuisé. Tout ce qu’il veut c’est que tout ça soit finit et que ça s’arrête. 2 sonde rapidement les enfants, aucun d’entre eux n’est en état de les aider mentalement, à part 3 qui est imprévisible pour le moment. Elle préfère y aller seule avec 1.

Ils s’élancent. La porte de l’engin se referme silencieusement derrière eux. Tant qu’ils ne tirent pas sur leur propre hélicoptère, on a une chance de s’en sortir, pense-t-elle.

Entrer dans le bâtiment par une fenêtre et éviter les soldats qui se font de plus en plus rares dans les couloirs, c’est facile. Trouver un point d’appuis pour tous les chasser et verrouiller le laboratoire proprement dit (auquel ils sont reliés mais encore d’assez loin), c’est beaucoup plus délicat. Il faut qu’on parte de la salle de surveillance, tous les programmes sont transformés en codes binaires là-bas, dit 2. Normalement, ils n’ont aucun mal à s’y rendre en passant par les tunnels qui relient tous les bâtiments. Ils courent le plus silencieusement possible dans le noir. Mais plus ils se rapprochent, plus ils ralentissent. Pas besoin de se concerter. Ils savent qu’ils éprouvent exactement le même sentiment.

C’est là qu’il y a les morts.

Abandonner le laboratoire en laissant les morts dedans, c’est quelque chose de… sacrilège.

Mais les scientifiques ont fait tellement de sacrifices pour les secrets du laboratoire qu’ils les jugent plus important que leurs vies.

Les morts seront les gardiens du tombeau du savoir pense sinistrement 2 sans savoir pourquoi. Cette idée la rassure un peu. Le monde paraît plus en ordre si on voit les choses de cette façon. 1 l’approuve. De toute façon, les voilà dans la salle, il faut bien qu’ils agissent.

Les mains plaquées sur les consoles techs, ils évaluent rapidement la situation, le nombre de soldats et leurs positions. Il y en a beaucoup dans les salles d’études à ramasser des ordinateurs binaires qu’ils doivent penser plein de données. Aucun n’a accédé à la véritable salle des données, loin sous leurs pieds – le programme de la porte indique qu’elle n’a pas été ouverte depuis la veille à 18H57. 1 et 2 la verrouille en sécurité maximale et créent un programme empêchant tout accès de l’extérieur de la rouvrir, à leur connaissance seul les Techs arrivent à dénouer les blocages de ce genre, les humains utilisant un ordinateur n’arrivent même pas à cerner leur existence. Pour vider les lieux, ils lancent l’alarme maximale. Tout l’éclairage se tinte de rouge clignotant tandis que les sirènes hurlent. Les soldats demandent confirmation, 1 active le blocage total des ondes. Ils sortent. Parfait. Les Techs verrouillent les salles vides les unes après les autres, ce qui incitent les traînards à s’activer. Et à guetter d’éventuelles menaces en gardant leurs armes brandis tandis que la paranoïa monte.

Les deux soldats que 1 et 2 avaient abandonné dans le couloir ont été trouvés et libérés mais la femme est toujours là. Elle les regarde et paraît terrifiée. Ils n’hésitent pas longtemps avant de la libérer, la tenant en respect comme 3 l’avait si bien fait avec ses prisonniers. La femme lève les bras en l’air et murmure : « Ne me tuez pas.

_ On va voir, dit 2.

La jeune fille sait qu’ils vont la libérer dès qu’ils seront dehors et ça la rend furieuse. Elle a envie de lui faire du mal avant. De jouer avec sa peur jusqu’à ce que l’autre regrette bien…

Sauf que ça ne servirait à rien, puisque quelqu’un qui a peur dit ce qu’on veut qu’il dise, point. N’empêche.

_ On a tué tout le monde dehors. Pourquoi pas vous ?

La femme gémit et se recroqueville sur elle-même. Elle a attendu longtemps attachée dans la salle de surveillance, espérant en vain que quelqu’un vienne à son secours, mais puisque les portes étaient ouvertes personne ne s’est donné la peine d’y retourner. Comme ce n’est pas elle qui avait ouvert les portes, elle avait appelé à l’aide une équipe qui n’était jamais arrivée. Arrivée sur l’île, entourée par ses compagnons, elle les avaient crus invincibles, maintenant elle est terrifiée par le pouvoir de ceux qu’elle voulait détruire.

_ On va vous faire regretter d’être une sale meurtrière.

2, arrête ton cinéma maintenant, dit 1. Lui aussi trouve plutôt agréable la peur de la femme mais tout ça ne fait que grandir leur haine à tous les deux et il n’aime pas ça. Pour le moment, ils doivent s’enfuir. Et demander de l’aide à l’extérieur.

Dehors c’est la panique, personne ne sait quoi faire et tout le monde tourne dans tous les sens. Plusieurs personnes ont frappé les flancs de l’hélicoptère et devant l’absence de réponse ils menacent de faire sauter la porte. Ligman a décidé de faire décoller l’appareil et de prendre 1 et 2 en vol dès qu’ils auront terminé leur mission.

« Et le Professeur Milley et le Professeur Stones ? demande 3 d’un ton froid qui n’annonce rien de bon.

_ On va vous ramener aux responsables et ils vont s’occuper de tout ce merdier, répond Ligman.

_ C’est qui nos responsable ? demande 4.

_ T’inquiète. »

Justement, 4 s’inquiète. Les Techs appartiennent à ceux qui ont payé leurs création et 4 a longtemps cru qu’il s’agissait de l’Alliance des Gouvernements du Nord, qui allait les utiliser pour le bien-être de la population, quelque chose comme ça. Mais les choses ont changés. Les dirigeants du laboratoire aussi. Apparemment les professeurs recevaient des ordres étranges venant de gens qui ne leur plaisaient pas du tout. Et ils avaient appris aux Techs à se défendre. 1 et 2 avaient même appris des techniques d’espionnage et de contre-espionnage, ainsi que l’organisation des services secrets de l’Alliance. Et maintenant des soldats les avaient envahis sans que les systèmes de sécurité n’arrivent à les arrêter, alors que leur existence était censée n’être connue que des plus hauts membres du gouvernement. Ça fait beaucoup de sujets d’inquiétude.

Pour en rajouter un, il voit que 3 tient toujours son fusil et que son regard passe de l’arme à la tête de Ligman. 4 peut quasiment lire dans ses pensées aussi bien que s’il était connecté avec elle. Elle veut les obliger par la force à sauver les professeurs. Elle est cinglée.

Il touche le canon de l’arme et quand elle baisse les yeux vers lui il lui dit juste : Déconne pas. L’idée générale est qu’il y a un ordre à respecter, que cet ordre qui place les adultes au-dessus d’eux a été décidé par les professeurs, et que placer un fusil sur la tempe de l’un des adultes en question même si elle n’a pas l’intention de s’en servir chamboulerai énormément l’ordre établi. D’habitude 4 n’est pas un partisan de suivre les procédures à la lettre, mais cette nuit il est ravi de remettre son sort entre les mains de quelqu’un d’autre, pas question que 3 chamboule le fragile sentiment de sécurité qu’ils ont retrouvé.

3 abaisse son arme. Les plus grands doivent s’occuper des plus petits. C’est la règle.

5 est toujours allongée sur le sol, les coups de poings qui martèlent la tôle résonnent dans son crâne et accentuent sa douleur. Le mot "migraine" est sans doute celui qui résume le mieux l’état de l’esprit Tech qui a trop présumé de ses forces, mais il ne rend pas justice à l’impression de s’effilocher dans un brouillard dense proche du néant, de sentir ses idées partir en spirale tournoyante, jusqu’à ne plus savoir où se trouve son corps et comment le diriger. Pour l’instant, on dirait que la fillette dort. En fait, l’immobilité l’aide à se recentrer sur elle-même.

6 et 7 sont pelotonnés dans un coin, serrés l’un contre l’autre. 6 suce son pouce et a mis son bras libre autour des épaules de sa petite sœur. 7 ne dit rien et ne bouge plus. De leur coté non plus la situation n’est pas brillante. 3 pense que si elle retrouvait les professeurs, tout s’arrangerai, mais ce n’est pas le moment de risquer d’empirer les choses.

« Est-ce que vous êtes connectés à 1 et 2 ? demande brusquement Delawney.

_ Quoi encore ? râle 4 avant de réaliser le sens de la question. Non, il y a trop de plastique ici, on est coupé du Réseau des surveillants.

_ Il va falloir trouver un moyen de les prévenir. Ils n’arriveront jamais à passer au milieu des soldats.

4 envoie un pitié, trouve une solution toi à 3. Il n’en peut plus. La jeune fille propose :

_ On pourrait décoller et rester au-dessus du toit le temps que l’un d’entre nous les appelle et qu’ils montent. Ils ne pourront pas nous tirer dessus et on aura le temps de voir venir s’ils font décoller d’autres hélicoptères pour nous rejoindre.

_ Et si un autre hélico débarque, dit 4, on pourra le mitrailler avec celui-là !

Il sait que c’est une idée tirée par les cheveux, mais 5 y aurait tout de suite pensé, et ce n’est pas parce qu’elle est momentanément hors circuit que son avis n’a plus droit à la parole.  Et surtout, il apprécie de pouvoir dire n’importe quoi sans se soucier des conséquences. D’ailleurs Ligman l’ignore totalement quand il vérifie :

_ Tu n’aurais qu’à toucher le toit pour qu’ils t’entendent, tu es sûre ?

_ Oui.

_ Bien. On y va. »

Un court instant et les voilà suspendus entre ciel et terre, sentant nettement chaque mouvement de l’appareil. 4 rejoins 6 et 7 et les serre contre lui, tout en vérifiant du coin de l’œil que 5 va bien. Elle récupère. Il leur suffit d’un instant pour être en position. 3 descend l’échelle de corde aussi facilement qu’à l’entraînement et rappelle ses aînés, qui jettent la soldate dehors avant de tout refermer derrière elle.

Peut-être qu’ils vont rester jusqu’à ce qu’ils réussissent à défoncer la porte, envoie 1 à 2 pendant qu’ils montent en courant les escaliers.

On met des pièges ?  répond sa sœur.

Oui. Tous.

Tous les pièges du laboratoire ne les arrêterons pas sans doute, mais il leur faudra des semaines de déminage soigneux et de travail intensif pour percer une entrée jusqu’aux informations vitales. D’ici là, il y aura bien quelqu’un, quelque part, qui mettra fin à cette situation absurde. Pour le moment, 1 et 2 courent vers leur salut, en abandonnant beaucoup de choses derrière eux.

Une fois tous les Techs à bord, l’hélicoptère embarque les humains restés dans le bâtiment P6 puis quitte l’île. Il ne restait plus aucun soldat autour de l’immeuble. L’embarquement a été facile et rapide, même si certains emportaient certaines affaires vitales avec eux. Les enfants n’ont rien emportés à part les pyjamas qu’ils ont sur le dos. C’est la première fois de leur vie qu’ils partent de l’île et ils ne s’en rendent même pas compte. Epuisés, 4, 5, 6 et 7 dorment par terre les uns sur les autres, leurs bras entremêlés en contact permanent qui leur garanti des rêves mêlés eux aussi. 5 s’est à peu près remise de ses efforts avant de plonger dans le sommeil. Près d’eux, 3 se tient à une prise aussi fort que si sa vie en dépendait. Elle fixe son regard sur les petits et cherche à se rappeler pourquoi elle a laissé les professeurs derrière elle. De l’autre coté des plus jeunes, 2 s’est accroupie et les rattrape de temps en temps pour éviter que les cahots de l’appareil ne les fasse glisser dans la foule. Les humains sont tous debout et serrés les uns contre les autres, ils tiennent tout juste dans l’habitacle dépouillé mais ont réussi jusqu’à présent à respecter la zone où se tiennent les Techs. Ils parlent fort entre eux et on sent du soulagement dans leur voix. De la colère aussi, et même un zeste de peur rétrospective à l’idée qu’ils ont failli y passer. Mais ils ne craignent pas ce qui les attend. Eux connaissent le monde extérieur et sont sûr de pouvoir trouver de l’aide.

Derrière Ligman qui pilote, 1 épuisé tente d’obtenir des informations sur ce qui va leur arriver.

« Mais si on ne sait pas qui nous a attaqué et pourquoi, comment peut-on être sûr qu’on ne coure aucun risque ?

_ Vous êtes beaucoup trop précieux pour qu’on laisse quelqu’un vous approcher.

_ Alors personne n’aurait dû attaquer l’île !

_ Non, ça c’est de la politique, quelqu’un a tenté de jouer au plus fort et s’est planté, c’est tout. Maintenant que vous allez rester sous ses yeux, vous ne courez aucun risque.

_ Et pour les professeurs ? Et le directeur, les docteurs, les responsables et tout le monde ?

_ Il va y avoir d’autres gens qui vont s’occuper de vous, ne t’en fait pas… »

Paniqué, 1 regarde Delawney en espérant qu’il contredise Ligman, mais il ne fait que baisser la tête d’un air embarrassé. 1 retourne vers ses frères et sœurs. Certaines personnes lui disent à leur tour de ne pas s’en faire, qu’on s’occupera bien d’eux. Personne ne sait qui est ce "on". Et personne ne défend les professeurs. Comme si tout le monde les avait déjà effacés de leur mémoire.

1 s’assoit à coté de 2 et lui touche la main. Il lui envois toutes les informations qu’il a recueilli en une fraction de secondes.
Il faut qu’on décide ce qu’on va faire, ajoute-t-il.
Tous ensemble. On réveille les petits et on décide tous ensemble.

Bien.

Tous ensemble, dans le mini-Réseau qu’ils forment en se touchant, c’est plus qu’une simple discussion, c’est un mélange de leurs sentiments et de leurs envies, de leurs idées et de leurs informations, de leurs caractéristiques et de leur énergie. C’est puissant et redoutable. Il est trop facile de se laisser griser par la sensation d’être multiple et d’empiéter sur les esprits plus faibles sans leur laisser de place. 1 et 2 arrivent à contrôler l’ensemble tant qu’il ne dure pas trop. La situation est assez claire pour que ça ne dure pas trop.

Il leur faut sauver les professeurs. Il leur faut aller voir leurs propriétaires légaux si ce n’est légitimes et tirer au clair leurs intentions. Et il leur faut protéger leurs arrières, voir le monde, se trouver une place à eux où ils pourront se réfugier sans dépendre des caprices de gens si puissants qu’ils en deviennent invisibles.

Ils choisissent tous ensemble, comme un seul être décidant de se diviser en 7, selon une logique qui leur paraît après coup étrangère à tous mais qui s’impose comme une évidence là où chacun exprime sa totalité.

1 et 7 partiront chercher les professeurs et retrouver les responsables de l’attaque. 1 parce que c’est l’aîné et que c’est le plus qualifié pour réussir. 7 parce qu’elle ne veut pas se séparer de lui et parce qu’il s’estime capable de la protéger.

2 et 6 suivront les ordres jusqu’à trouver leurs propriétaires. 2 parce qu’elle est intelligente et sait manipuler la hiérarchie, 6 parce qu’il faut qu’un aîné veille sur lui et que deux petits seraient trop pour 1.

3, 4 et 5 partiront à l’aventure. Ils ne sont que des enfants encore, mais au moins personne ne devrait chercher à faire de mal à des enfants. Si comme promis il y a du Réseau tech partout dans le monde développé, 1 et 2 pourront continuer à les surveiller à distance. Les deux aînés comptent sur 4 pour faire le lien entre l’efficacité terre-à-terre de 3 et l’héroïsme suicidaire de 5. 3 admet après de nombreuses réticences qu’elle ne serait pas capable d’aider les professeurs sans se mettre elle-même en danger. 5 assurera le lien tech.

Ils se séparent, chacun regagnant l’espace étrangement étroit de son propre esprit. Voilà, les jeux sont faits. Ils ne se laisseront plus manipuler. Ils n’ont plus confiance. Ils prennent leur propre destin en main.

Evidemment ça fait peur. Mais tout au long de la nuit, ils ont appris à vivre avec la peur. Quand à la vaincre… c’est encore autre chose.

Quand l’aube se lève, l’hélicoptère arrive en vu des côtes. Les autorités le forcent à se poser. Les humains commencent à expliquer la situation et surtout à demander qu’on joigne un certain nombre de personnes pour les prévenir.
Les Techs sortent de l’appareil sans que quiconque les en empêche. Ils se retrouvent alors en contact avec un Réseau gigantesque, comme ils n’en avaient encore jamais connu, le Réseau Mondial tech. Comme on leur avait expliqué. Aucune explication humaine n’aurait pu les préparer à ça – au moins à présent ils n’ont plus aucun doute, ils peuvent partir, visiblement le monde leur tend les bras. Les armes et les systèmes de sécurité techs s’écartent de leur chemin sous l’effet de leur simple volonté. Ils partent, 1 et 7 dans une direction, 3, 4 et 5 dans une autre, laissant 2 et 6 sous la garde des humains médusés et impuissants. Chacun n’a plus qu’à jouer son rôle du mieux possible.

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Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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