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Ecriveuse en herbe
15 octobre 2007

Les Techs, chapitre 4, première version (suite)

1

Le jeune homme se relève en tremblant. Il est sous le choc. Pas seulement de ce qu’il a ressentit. De ce qu’il a fait aussi. Surtout.

Derrière lui une bonne partie de la base est en ruine. Au moins le massacre s’est arrêté à temps. Au moins il n’y avait pas ici des missiles ou d’armes bactériologiques. Tout le monde s’active pour s’occuper des blessés. Enfin il le suppose. Difficile à voir de là où il est. Sans s’en apercevoir il est parti loin. Mais il est toujours à l’intérieur du camp, l’endroit devrait être saturé de Réseau. C’est loin d’être le cas – jamais 1 ne s’est senti aussi éloigné de toute source tech depuis son évasion du laboratoire. Il se tient devant un bâtiment bas et gris, un bloc de béton que rien ne distingue des blocs de bétons qui l’entourent, à ceci près qu’il a été totalement épargné par l’impact destructeur et qu’il n’y a visiblement personne ici. Plus encore, tous les militaires font comme si ce bâtiment n’existait pas, comme s’il était sur un autre plan de réalité que tout le reste. 1 s’avance d’un pas malgré lui. Non, il est en danger ici, il doit utiliser son pouvoir pour retourner en arrière et s’enfuir du camp.

Ce qui l’arrête c’est l’idée terrifiante que ça pourrait recommencer, qu’en retrouvant le Réseau il redeviendrait cette chose monstrueuse, hybride d’objets et d’humain, cette chose puissante qui le détruirait pour continuer à exister et qui détruirait tout ce qui l’entoure, le transformant en esprit dans une maison hantée…

1 ne comprend absolument pas ce qui s’est passé. Il s’est déjà glissé dans un ‘corps d’emprunt’, un robot totalement tech qu’il faisait vivre par la pensée, dont il utilisait les capteurs pour percevoir ce que l’autre percevait, mais ça n’avait rien à voir. C’était comme utiliser une paire de jumelles pour voir plus loin, un simple outil, une perception différente mais qui ne modifiait pas ce que 1 était réellement. Sa fusion avec le camp militaire dépassait de loin une simple question de perception. La formidable énergie aussi. Et 7…

Immédiatement 1 s’en veut d’avoir pu oublier 7. Quelle que soit sa peur il doit y retourner et se connecter à nouveau au Réseau pour rassurer sa petite sœur. Cette seule pensée le vide du peu d’énergie qu’il avait réussi à rassembler. Il ignore si c’est la terreur ou la fatigue mais il se sent incapable de retourner là-bas. Pas seulement par peur de perdre son identité, il se sent physiquement incapable de faire le moindre geste dans cette direction. Même la pensée de sa petite sœur abandonnée n’arrive pas à le faire avancer.

Une voix retentit derrière lui :

« Ça ne sert à rien de regarder en arrière, mon garçon.

1 se retourne. Un homme est sorti du bâtiment. Il a une quarantaine d’années et est habillé en civil d’un jean et d’une chemise non-techs. Les mains dans les poches, lunettes sur le nez, il ressemble absolument à Monsieur-tout-le-monde tel qu’on peut le rencontrer dans n’importe quel quartier tranquille de n’importe quelle ville de l’Alliance – autant que 1 peut en juger car il a encore une faible expérience des quartiers tranquilles. L’homme est tout simplement incongru dans ce décor. Son calme et son sourire doux le sont encore davantage. 1 n’est pas d’humeur à jouer le jeu et à s’exclamer ‘mais qui êtes-vous donc ?’ devant l’apparition de ce personnage-mystère, l’homme pourrait  bien être Mr Edmund, le fils caché du président Miller ou le Père Noël en personne, il s’en fiche. Il doit d’abord rassembler son courage et rejoindre 7. Le reste est important mais seuls ses frères et sœurs sont essentiels.

L’homme continue :

_ Et bien ? Après avoir détruit ma base, tu retournerais en arrière sans obtenir ce que tu es venu chercher ?

_ Je suis déconnecté des autres. Il faut que j’y retourne.

_ Mais tu n’es pas que les pantins des autres, non ? Tu es 1, le premier. L’aîné des Techs. Je t’en pris, entre.

_ Non.

1 n’a pas la force de repartir et il refuse de se jeter dans ce nouveau piège. L’homme lui souri toujours et s’assoit sur la marche constituant le seuil du bâtiment. Après un instant d’hésitation, 1 en fait autant. La situation lui parait surnaturelle, eux deux tranquillement installés et apparemment invisibles pour tous ces gens affairés… tous ces gens tentant de réparer la catastrophe qu’il a causée.

Enfin 1 admet qu’il est venu pour une bonne raison et que visiblement cet homme en sait long sur eux. Autant le faire répondre à ses questions tant qu’il l’a sous la main. Même si c’est plutôt l’inverse qui est vrai. Son hôte a respecté son silence le temps qu’il se remette à peu près d’aplomb et se décide à poser des questions.

_ Vous êtes Mr Edmund, pas vrai ?

_ On me désigne sous ce nom parfois, c’est vrai.

_ Est-ce que vous savez qui a provoqué l’attaque du laboratoire ? Et où sont les professeurs ?

_ Je t’ai connu moins direct, mon garçon.

_ Quand ?

_ Mes hommes ont suivi l’avancé de ton enquête. Je dois admettre que je suis impressionné, tu t’es bien débrouillé pour quelqu’un qui découvre un monde presque inconnu.

_ Pourquoi vous m’avez suivi ? Et pas attrapé ? Vous êtes avec le gouvernement ? Avec

la SRAM

?

_ J’ai des intérêts un peu partout. Et pour répondre à la question que tu ne m’as pas posée, ce n’est pas moi qui ai fait attaquer le laboratoire. Je l’ai fait construire. Je suis un peu ton père moi aussi, tu sais. Un peu votre père à tous.

1 se demande brusquement depuis combien de temps il regarde Edmund et pas la scène qui se déroulait sous ses yeux. L’homme a l’air gentil et sincèrement préoccupé, il a un mince sourire un peu malicieux et le Tech meurt d’envie de le croire. Ce serait le protecteur idéal, lui les aimerai et prendrait soin d’eux, mieux que les professeurs…

1 détourne la tête et dit avec colère :

_ Arrêtez de m’hypnotiser. Nous avons déjà deux pères et nous voulons savoir où ils sont.

Mr Edmund rit et ne parait pas vexé de cette rebuffade. Il répond :

_ Mes hommes sont en train d’enquêter à ce sujet. Je voulais justement en discuter avec toi quand tu as cavalièrement refusé mon invitation.

_ Je déteste les armes à feu. Surtout quand on me les braque dessus.

_ Touché ! Je te fais toutes mes excuses, c’était effectivement très maladroit de ma part. Ils avaient ordre de ne pas tirer, mais tu ne pouvais pas le savoir.

_ Vous êtes un menteur. Et un fameux.

_ Merci.

_ C’était pas un compliment.

_ Pourtant je le prends comme tel. Il faut savoir mentir pour être fort dans notre monde, mon petit 1.

_ Il faut savoir un paquet de choses. Vous êtes puissant, n’est-ce pas ?

_ Qu’est-ce qui te fais croire ça ?

_ Vous faites ce que vous voulez comme vous voulez et personne n’ose vous regarder. Soit vous êtes très puissant, soit vous êtes carrément une hallucination.

_ Tu ne te sens pas très bien on dirait.

_ Déjà été plus en forme…

Tout en disant ces mots 1 prend sa tête entre ses mains pour lutter contre le vertige. Il lutte pour garder les idées claires, malgré le coton qui tente d’envahir son cerveau après s’être emparé de chacun de ses membres. Il n’aurait pas pu choisir un pire moment pour se battre contre Mr Edmund. Non, il ne se bat pas, si c’était un combat il saurait quoi faire, c’est une discussion et il n’a aucune chance d’arriver ailleurs que là où l’homme a décidé de l’emmener. 1 se lève aussi vite qu’il l’ose et crie à Edmund :

_ Laissez-nous tranquille ! On ne se laissera pas faire !

L’homme a l’air sincèrement étonné tout en montrant une sollicitude paternelle. 1 se repère que c’est un menteur.

_ Est-ce que j’ai dit quoi que ce soit qui t’aurait blessé ? demande-t-il d’une voix innocente.

_ Je ne sais pas ce que vous voulez mais je ne vous fais pas confiance ! Je vais partir !

_ Reste, je ne t’ai pas encore dit où sont les professeurs…

_ Hein ? Vous le savez ?

_ Parfaitement : mes hommes les ont repris à leurs ravisseurs et j’ai pris soin de les mettre en sécurité. Après tout c’est moi qui ai confié le projet Tech humains à Milley. Je suis responsable de plusieurs d’entre eux.

_ Où sont-ils ? Ils vont bien ? Pourquoi ils ne nous ont pas contactés ?

1 est assez furieux pour empoigner Edmund et le soulever malgré son épuisement. Il préfère être furieux que penser que les professeurs puissent avoir délibérément choisi d’abandonner leurs précieuses créations. L’homme le regarde très paisiblement. Et sourit toujours.

_ Ils n’ont pas accès au Réseau pour le moment. Tu pourrais les rejoindre si tu étais prêt à me faire confiance, mais on sait bien tous les deux que c’est loin d’être le cas. Ne t’en fais pas, tu dois retrouver 7 de toutes façons, n’est-ce pas ? Retrouve les autres par la même occasion et venez tous ensemble.

_ Pas question.

_ Pour le moment. Tu comprendras vite que tu as besoin de moi et pas seulement pour retrouver tes créateurs. Tout ce que je veux c’est veiller à ce que vous puissiez remplir votre rôle. Milley et Stones te le confirmeront quand tu te décideras à aller les voir.

1 ne sait pas comment réagir. Il a besoin des autres, tous les sept, il a besoin de faire une communication absolue et très vite, il a besoin d’être plus que lui-même pour prendre une décision. Il s’éloigne vers le Réseau. Au bout de deux pas, il s’arrête, incapable d’avancer davantage. Mais ne se retourne pas vers Mr Edmund. Il aimerait savoir si celui-ci est pour quelque chose dans sa fusion avec le camp militaire. Mais il suppose que ça ne servirait à rien de lui poser la question puisqu’il ne pourrait même pas se fier à la réponse.

_ Tu veux que je te montre ma bonne foi ? lui demande Mr Edmund dans son dos.

1 ne répond pas. L’homme continue :

_ Je te laisse partir alors que tu as détruit une bonne partie de ma base. Et je vais même faire plus encore. Pour ton ami. Sanx.

A ce nom 1 se retourne violemment et regarde Edmund avec toute la haine dont il est capable. Il gronde :

_ Ne touchez pas à Sanx.

_ Mais moi je ne lui ai rien fait. Charmant garçon, vraiment. Très ouvert.

_ On lui a fait quelque chose ?

_ L’armée a retrouvé ta piste, je le crains. Ils le suspectent de t’avoir donné sa voiture un peut trop gentiment. En ce moment ils l’interrogent. Je crains qu’ils ne soient pas très subtils.

Les yeux de 1 s’écarquillent tandis que l’horreur s’insinue dans son esprit. Il ne doute pas un instant que l’information soit vraie. Elle recoupe trop parfaitement ses pires craintes pour ne pas être vraie. Cet homme joue avec ses cauchemars.

_ Ceci dit, continue Edmund, je n’aurais aucun mal à le faire transférer dans un endroit plus sûr où bien sûr tu pourrais lui rendre visite quand tu voudras…

Une prison. 1 se dit qu’Edmund veut enfermer Sanx dans une prison pour l’obliger lui à obéir en tous points. Et ça il est hors de question de l’accepter. Sanx en prison c’est un oiseau à qui on aurait arraché les plumes. 1 ne le sortira pas d’un piège pour le jeter dans un autre bien pire. Et Mr Edmund le sent – lui qui ne l’a pas quitté des yeux une seule seconde, il voit distinctement la peur et la colère brutale se muer en détermination hostile. Il n’est pas étonné d’entendre le Tech lui répondre sourdement :

_ On se débrouillera. Merci. »

Enfin 1 parvient à s’élancer vers la sortie. Cette fois il sait quoi faire. Il sait quoi dire aux autres. Ils retrouveront les professeurs mais ce sera pour les délivrer. Plus d’allégeance. Il est temps pour eux de fuir aussi les cages de leurs têtes.

Tandis que ces pensées grandioses roulent dans la tête du jeune homme, une femme sort de l’ombre du bâtiment, tenant à la main le fusil avec lequel elle a tenu en joue le Tech pendant toute la discussion. Mr Edmund lui dit : « Prévenez le capitaine Dritz. Je veux qu’il sorte d’ici sans rencontrer personne sur son chemin. » La femme acquiesce et demande : « L’équipe C continue à le suivre ? »

Son patron met quelques secondes à répondre, plongé dans ses pensées tout en suivant 1 du regard, et ça n’est pas dans ses habitudes. Enfin il dit : « Oui. Et mettez

la B

en renfort. Hors de question de prendre le moindre risque avec eux. »

2

DE QUOI ? QUI ÇA ? s’exclame 2. Elle s’est connectée depuis sa chambre au B.A.G.N., assise sur son lit. Pour le moment elle ne regrette pas d’être assise. Elle a calmé 7 paniquée par la disparition de son grand frère et a organisé de toute urgence une manière de venir la chercher et aider 1 si possible : les images des caméras de sécurité, les passes, l’avion militaire et la fausse mission, tout était paré, et voilà que son frère sort des décombres comme si de rien n’était, lui envoie directement sa conversation avec ce Mr Edmund et lui demande de l’aider à sauver Sanx. La surprise de 2 est compréhensible puisque 1 lui a soigneusement caché ses sentiments pour Sanx et les détails de ce qui c’était passé chez lui, alors qu’elle aurait juré connaître jusqu’au moindre recoins de son âme…

A présent elle a l’impression d’être face à un étranger – une situation totalement irréaliste lorsqu’on mêle son esprit à celui d’un autre, un autre qu’on connaît depuis sa naissance. Pour ne rien arranger, elle se fait du souci pour 3, 4 et 5 qui ont flanqué un beau bazar à Los Angeles avant de s’évanouir dans la nature.

Pourquoi tu veux que j’abandonne tout ce que j’ai fait ici pour aller sauver ce type ? répète 2 d’une pensée teintée de la douleur de la trahison. Suppliante, aussi, exprimant un intense désir d’avoir des explication sensées, d’avoir la preuve que tout cela n’était qu’un atroce et stupide malentendu, que jamais son frère ne lui aurait caché quelque chose d’aussi important pour lui, car ce qui est important pour lui est important pour elle, est important pour eux tous, et le cacher reviens à leur mentir à tous, à trahir la pureté du Réseau et de l’espèce naissante des Techs humains – ni plus ni moins. Oui, elle serait prête à croire n’importe quoi expliquant qu’elle est en train de se tromper lourdement et qu’elle a mal interprété les pensées de 1 – comme si ce genre de biais dû aux mots n’était pas totalement inconnu de leur communication télépathique.

Liée à lui, 2 s’aperçoit que 1 regrette mais ce n’est qu’une infime sensation au milieu du tumulte d’émotions et de pensées qui agitent son frère. L’urgence qu’il ressent à sauver Sanx l’emporte sur tout le reste. Et ce qui est fait est fait, 2 se dit qu’il ne lui reste plus qu’à pardonner – à quoi ça les avancerait qu’elle se fâche avec 1 ? Au contraire, c’est dangereux pour eux tous. Plus tard, dans un plus tard hypothétique où ils seraient tous en paix et en sécurité, il pourra lui demander pardon et elle pourra lui reprocher son manque de confiance. Peut-être que ce jour-là la blessure se refermera. Pour le moment l’adolescente décide de faire avec et d’obéir. C’est à elle d’y aller, d’après 1, parce qu’elle a en tant que garde présidentiel un laissez-passer tech et un autre non-tech et qu’il y a de fortes chances pour que ce soit ce dernier qu’on lui demande avant de lui remettre Sanx. Les deux aînés des Techs n’ont eu aucun mal à repérer les rapports de l’opération menant à la capture de Sanx et même s’ils ne peuvent pas libérer l’adolescent par l’esprit ils savent où il est et savent qu’ils n’auront aucun mal à y accéder. Bien sûr, c’est peut-être un piège pour capturer les Techs encore dans la nature. Raison de plus pour que ce soit 2 qui y aille : elle est déjà capturée.

Malgré tout 2 considère les risques comme non négligeables : elle va devoir s’évader et donc brûler une cartouche précieuse en montrant que le système qui la retient prisonnière ne peut pas grand-chose contre elle, ce qui va inciter les responsables à le renforcer. De plus elle va devoir laisser 6 servir de symbole représentant les Techs seul, même si 1 est présent dans ses pensées pour l’aider et le rassurer.

Au moins, tout est prêt pour son départ, même l’avion dont elle aura juste à modifier légèrement le plan de vol. Elle explique la situation à 6 et l’embrasse pour lui dire au revoir. Elle sait bien qu’il ne risque pas plus de choses si elle est là ou pas, mais ça lui fait mal de laisser l’enfant seul. Encore plus mal quand elle pense qu’il va devoir affronter les conséquences de sa fugue à elle. Elle aimerait entrer dans son esprit et vérifier que tout va bien, que le mensonge de 1 ne lui a pas causé trop de chagrin, mais elle parvient à se retenir. On n’a pas à entrer dans un esprit qui ne vous a pas invité, règle d’or de la télépathie quand on tient à laisser aux autres une personnalité à peu près intacte et individuelle. 6 lui dit qu’il va bien, elle doit donc le croire et partir. Elle part. Sans parvenir à le croire avant.

Sanx s’est assis dans un coin de sa cellule, à même le sol, négligeant la chaise et le lit à sa disposition, il s’est recroquevillé sur lui-même et a caché son visage dans ses genoux. Sa position lui a été dictée par plusieurs raisons, issues d’une certaine expérience des cellules, des institutions et des gens ordinaires se retrouvant dans une situation de pouvoir. Il ignore par quel organe gouvernemental il a été arrêté mais il sait que la majorité d’entre eux sont soumis à l’obligation de référer tous leurs prisonniers psychologiquement instables à un centre psychiatrique, et Sanx se fait fort d’embobiner n’importe quel réducteur de tête qui tenterai de l’interroger. Si jamais ils ne le réfèrent pas alors qu’il vient d’un milieu assez aisé pour leur coller un procès, c’est qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes lois que le reste du gouvernement, ce qui ne laisse que l’armée, les services secrets, le B.A.G.N. et les anti-terroristes. Des gens qui ne connaissent absolument pas les gens comme lui. Ce sera sûrement dur de les mener en bateau mais plus il paraîtra désespéré et perdu et plus ils le sous-estimeront. Evidemment, si ce sont les antiterroristes, ça ne servira à rien. D’après ce qu’il sait d’eux, la seule chose à faire quand on tombe entre les mains de ces cinglés aux pouvoirs quasi-illimités c’est de coopérer avant qu’ils ne commencent une séance de torture. Surtout quand on est un mineur ayant l’habitude de fréquenter les mauvaises personnes et les mauvais endroit : personne ne s’étonnera qu’on retrouve son cadavre dans un terrain vague d’ici quelques jours. La perspective de sa propre mort ne l’effraye pas plus que ça – c’est une idée avec laquelle il a toujours aimé jouer. L’idée de la torture est déjà beaucoup plus difficile à supporter. Mais le pire pour lui, même s’il n’est pas réellement prêt à l’admettre, la raison pour laquelle il a choisit de cacher son visage plutôt que de faire n’importe quoi d’autre qui ferait croire à ses geôliers qu’il est à bout de ressources, c’est que ces salopards l’ont démaquillé. Qu’ils l’aient fait changer de vêtements le touche à peine, qu’ils aient coupé ses cheveux l’énerve mais sans plus, mais le démaquiller c’était lui arracher son visage, pire que son visage, sa personnalité.

Pour le moment Sanx est recroquevillé dans un coin de sa cellule et dresse des plans pour se sortir le mieux possible de ce piège, il réfléchit et calcule un maximum de possibilités pour rester concentré et mieux se cacher à lui-même que son cœur hurle devant le sacrilège qu’on lui a imposé. Sanx est différent des adolescents nés comme lui dans le confort et la sécurité. C’est à la fois sa force et sa faiblesse.

2 descend tout juste de l’avion lorsqu’elle reçoit un appel d’Eve Hindgam. La piste est saturée de Réseau et elle pourrait répondre sans avoir besoin d’utiliser le moindre instrument mais elle préfère éviter d’avoir des ‘absences’ en public, surtout lorsque le public est composé de deux agents du B.A.G.N. et de deux colonels de l’armée. Un public dont le mélange est plutôt détonnant, chacun cherchant à faire de Sanx son appât à Tech attitré tout en redoutant l’intrusion de cette nouvelle venue. 2 ne sachant pas à quel coté faire allégeance, elle s’est présentée au titre d’envoyée personnelle du vice-président de l’Alliance. Elle n’a pas pu s’accorder les pleins pouvoirs pour récupérer le prisonnier puisque l’adolescent a été jugé assez important pour être classé Essentiel à

la Sécurité

de l’Alliance : il faudrait que le président ou le vice-président (ou peut-être même ce mystérieux Mr Edmund, soupçonne 2) en personne vienne se charger du transfert. Mais une fois sur place, elle pense pouvoir le faire évader sans le moindre mal. Si son comité d’accueil ne s’est pas entre-tué d’ici là. Pour le moment ils en restent à la voix glaciale et aux regards foudroyants. Elle les ignore tous les quatre et décroche son téléphone de fonction, gracieusement offert par l’Alliance. Un téléphone tech doté d’antiques puces d’espionnage non-tech, elle n’a eut aucun mal à l’ouvrir et à le rendre sûr. Ce qui est sans doute la raison de l’appel. Maintenant qu’elle fugue et que les responsables chargés de la surveiller jour et nuit s’aperçoivent qu’ils n’ont aucun moyen de la repérer, ils ont demandé à Eve Hindgam de prendre contact avec elle et si possible de la ramener gentiment à la maison-B.A.G.N..

« Allô ?

_ Betsie ! explose une voix de femme furieuse. Qu’est-ce que tu fous, bordel ? Ramène-toi tout de suite !

2 vérifie d’un coup d’œil circulaire que personne d’autre n’a entendu – son image d’envoyée présidentielle en prendrait un sacré coup. Non, tout va bien. Dans le doute, elle baisse mentalement le son du portable, autant par discrétion que par égard pour ses oreilles. Jamais elle n’aurait cru entendre Eve aussi énervée. Elle lui répond de sa voix la plus sérieuse et professionnelle – tentant au passage de se faire passer pour plus âgée aux yeux des quatre autres :

_ Navrée mais c’est impossible pour le moment. Je serais de retour ce soir, veuillez transmettre la situation au président.

_ Pense à ton frère ! Il va devoir faire face aux fauves tout seul ! Je ne peux pas le protéger, c’est à toi de faire…

2 écoute à peine. Elle sait exactement où trouver 6 par le Réseau et vérifie rapidement que 1 est à ses cotés, prêt à entendre et à voir ce que l’enfant entend et voit pour ensuite le conseiller immédiatement sur la marche à suivre. 6 lui-même lui confirme qu’il n’y a pas de problème. Hindgam est une menteuse et une bonne, il ne faut surtout pas qu’elle l’oublie.

_ Je dois m’occuper d’une mission prioritaire. Je vous expliquerais plus tard, je ne suis pas seule.

_ Quoi ? Tu es où ? Tu as retrouvé les autres Techs ? Qu’est-ce que vous allez faire ?

Décidément, lorsque cette femme n’a pas le temps de calculer soigneusement ses réponses à l’avance, elle est aussi bornée que n’importe quel adulte. Mais 2 s’est réellement attachée à Hindgam et la considère comme une alliée précieuse. Elle a l’impression que

la RP

partage les mêmes valeurs qu’eux et se bat pour les mêmes buts – qu’elle utilise simplement des armes différentes. Aussi l’adolescente décide de lui donner une chance. Elle murmure :

_ Je vous en pris. Faites-moi confiance.

2 se retiens et ne rajoute rien. Inutile de dire qu’ils détiennent 6 et donc qu’elle reviendra forcément. Inutile de rappeler qu’elle et son petit frère se sont remis de leur plein gré aux autorités et que 2 n’a aucune raison de leur faire croire qu’elle va revenir si ce n’est pas le cas. Non, si la moindre de ces précisions était utile, alors Eve Hindgam ne serait pas Eve Hindgam mais un simple pantin qu’on lui a agité sous le nez pour qu’elle croit avoir une amie et se tienne tranquille.

_ Je te fais confiance, répond la femme qui fait visiblement des efforts pour se calmer, si tu me promet de tout m’expliquer à ton retour. Et que tu as une bonne excuse !

_ Excellente, assure 2 ravie, je vais libérer un prisonnier. »

Elle raccroche son portable, relève la tête et réalise brusquement qu’elle a parlé trop librement devant les quatre hommes venus se disputer le prisonnier en question. En même temps Hindgam la rappelle. Mentalement 2 la fait basculer sur un répondeur où elle enregistre instantanément un message lui expliquant qu’il est inutile de la rappeler avant son retour. Elle regarde tour à tour les agents surqualifiés à présent tous ligués contre elle – plus précisément gardant le silence en attendant que se confirme l’énorme gaffe qu’elle vient de commettre. Et elle est seule. Pas de foule hostile, pas de fusils braqués sur son visage, rien que des humains attendant patiemment qu’elle tente de se dégager du pétrin dans lequel elle s’est fourrée pour pouvoir l’achever. A elle de s’en débrouiller.

Elle leur lance alors un sourire qu’elle espère aussi franc et enjoué que celui d’Eve – elle s’est entraînée devant son miroir – et elle leur dit d’un ton naturel :

« Un autre prisonnier. Une malheureuse affaire que je vais régler dès que j’aurais terminé ma visite ici. A présent, pouvons-nous y aller ? »

Cachant plus ou moins bien leur colère de ne pas avoir réussi aussi facilement à se débarrasser de la gamine qu’on leur a stupidement collée dans les pattes, les hommes l’invitent à les suivre jusqu’à Sanx.

6 et 1

Ils sont des dizaines et ce que chacun d’eux sait, il l’envoie dans le monde et des milliards de gens savent alors qu’il a raison. Ils cherchent la vérité. C’est bien tout ce que 6 sait à propos des journalistes : 1 ne lui a communiqué que ses certitudes – ou plutôt ce qu’on lui a soigneusement appris dans le laboratoire – pour ne pas l’embrouiller avec des détails supplémentaires et contradictoires. Le jeune homme ignore encore une chose importante : les journalistes sont loin de n’être que quelques dizaines.

6 doit participer à une conférence de presse organisée à la hâte – mais sans doute très efficacement – par Eve Hindgam et son prestigieux cabinet pour rétablir une image positive des Techs dans la capricieuse opinion publique, ou au moins freiner les dégâts avant qu’une image trop négative ce soit gravée dans les esprits. L’expérience autant que ses longues études ont appris à Hindgam qu’il n’existe aucun fait dont on ne puisse pas changer l’impact, l’essentiel étant d’y arriver dans les temps et avec les moyens disponibles. L’expérience lui a aussi apprit qu’il n’y a rien de plus relatif au monde que la sacro-sainte Vérité.

Pour le moment elle fulmine devant l’absence de 2. Présenter les terrifiants Techs par l’image d’un petit garçon innocent est sans aucun doute efficace, mais infiniment moins que la combinaison petit garçon innocent/jeune fille noire. Deux extrêmes de la nouvelle humanité se serrant l’un l’autre dans un geste de protection. Ils auraient été parfaits ensemble ! Si parfaits même qu’Eve pense quelques instants à utiliser une comédienne pour remplacer 2 avant de rejeter cette idée : elle sait très bien que 6 refuserai de jouer la comédie avec une étrangère et qu’elle ne pourrait pas utiliser l’effet naturel et touchant de la combinaison entre l’amour qu’ils se portent et l’accord télépathique de leurs gestes et de leurs mots. Quand à utiliser uniquement des acteurs, c’est hors de question : si jamais il y avait une fuite – et il y a toujours des fuites – ça provoquerait un scandale capable d’ébranler jusqu’aux fondations de l’Alliance. Non, Hindgam en est réduite à ronger son frein et tenter une fois de plus de faire rentrer dans la tête de 6 la notion d’impact visuel.

« Soit mignon, pour l’amour de ta fratrie ! Les gens là-bas vont te regarder, tu comprend, et ils vont te juger au premier coup d’œil et si tu fais cette tête-là ils vont te prendre pour un espèce de robot. Quand ils vont te voir, c’est comme s’ils voyaient tous tes frères et tes sœurs en même temps, d’accord ? Alors il faut que tu ais l’air inoffensif et surtout mignon ! Rah, écoutes-moi, bon sang !

Hindgam a refusé de laisser quelqu’un de plus habitués aux enfants parler à 6 à sa place – il faut absolument que l’enfant ait confiance en elle et soit prêt à obéir aux moindres de ses gestes à elle. Mais elle n’arrive pas à le manipuler comme elle l’aurait fait d’un adulte : il est insensible aux sous-entendus du langage comme à la corruption et ne prête aucune attention à ce qu’il ne comprend pas. Pour le moment, ce qu’elle lui reproche le plus, c’est son expression. Il a l’air trop mûr, trop intelligent. Pouce dans la bouche, il incarnerait à la perfection l’enfance dans ce qu’elle a de plus vulnérable s’il n’avait pas la manie de fixer ses interlocuteurs droit dans les yeux, d’une manière qui sous-entend que non seulement il peut lire les pensées de celui qu’il regarde, mais qu’en plus il les trouve très mal rangées. Etant donné le peu qu’ils savent des Techs, la plupart des gens croient vraiment qu’il peut lire dans leurs pensées. Sa manière de réagir à toute nouveauté par la curiosité ou l’indifférence – sans jamais montrer la moindre peur – leur parait tout aussi inquiétante. Pour sa part, Eve pense qu’il est plus malin et doué que la plupart des enfants de son âge mais qu’il reste tout de même un gosse, Tech ou pas, un simple enfant qui pour le moment lui pose trop de soucis.

Il écoute une de ses voix intérieures. La femme a appris à reconnaître les yeux perdus dans le lointain qui indiquent une communication télépathique Tech à l’œuvre. Elle espère bien qu’il est en train de négocier avec Betsie pour qu’elle revienne tout de suite. Au lieu de ça, 6 lui dit :

_ 1 dit qu’on s’en fiche de ce à quoi je ressemble. Je dois parler pour tous les Techs, comme ça ils sauront qui on est et ce qu’on veut faire.

Eve se plaque théâtralement une main sur le front. Un vieux truc sans doute inutile mais qui lui fait du bien. Elle n’a pas le droit à l’erreur pour convaincre à la fois l’enfant et l’autre Tech – un de ceux qu’elle appelle mentalement les Techs sauvages, ces mystérieux autres Techs qui ont refusé de faire allégeance à l’Alliance, se mettant ainsi à la merci de tous leurs ennemis…

Elle choisit de tempêter :

_ Ah ouais ? Et est-ce que ce 1 connaît quoi que ce soit à l’impact visuel ? A l’opinion publique ? Parce que laisse-moi te dire, enfin, vous dire à tous les deux, une bonne chose. Leur dire simplement qui vous êtes et ce que vous voulez, ça ne marchera pas. Ils vont écouter et vont le classer dans la catégorie de l’embobinage. Les gens ne croient que ce qu’ils voient, ils se fichent des raisons, ils se fichent de ce qu’ils entendent, ils croient aux images et c’est avec les images qu’on va leur parler ! (sa voix se radoucit tandis qu’elle s’accroupit, pose ses mains sur les épaules de l’enfant et le regarde droit dans les yeux en disant :) Votre sœur me fait confiance. Elle sait que je sais comment vous défendre grâce aux images. Alors il va falloir me faire confiance aussi, d’accord ?

Steven la regarde, grimace, et dit :

_ Je préfère que ce soit lui qui vous parle.

Eve le lâche et s’apprête à lui demander ce qu’il veut dire quand elle comprend. Elle voit en même temps la métamorphose. Ce fameux Tech inconnu – 1 – prend possession du corps de 6. Il enlève le pouce de la bouche de l’enfant et met les deux mains de l’enfant sur ses hanches. Il redresse son corps. Et son menton. Son expression est un mélange de méfiance, de fatigue et d’exaspération ; l’expression rêveuse et paisible de

6 a

totalement disparue. Et quand il parle, c’est d’une voix aiguë utilisant des cordes vocales d’enfant, mais l’intonation et le vocabulaire indiquent un âge nettement supérieur à six ans.

_ C’est à nous de nous défendre.

5 a

exprimé un message de colère. Il faut que nous nous expliquions et personne n’est capable de le faire à notre place !

_ Je te dis qu’ils ne comprendront pas et si jamais ils voient un enfant de six ans parler comme je t’entends – ou je vous entends, je ne sais même pas – parler, ils vont crier au monstre et tout sera fichu !

_ Arrêtez de traiter la population humaine comme une bande de… de débiles !

_ Tu peux aller sur le Réseau, pas vrai ? Tu y passes même ta vie, non ? Alors vas-y et regarde comment la population humaine réagit quand on lui parle. Compare les faits et les conséquences. Si tu t’en donnes la peine tu verras que la différence entre accepter et rejeter n’a rien à voir avec ce qu’on leur met sous le nez, la seule chose qui compte c’est comment on les présente ! Et moi je sais présenter les choses. Faites-moi confiance !

L’enfant la fusille du regard, les lèvres serrées, une expression qui redonne confiance à Hindgam. Jusqu’à ce qu’il dise :

_ Je ne vous crois pas et Betsie non plus.

Eve est déstabilisée et tente de gagner du temps :

_ C’est pour ça qu’elle est partie ?

_ Hein ? Heu, non. Elle devait aller quelque part. Pour moi.

_ C’est toi le prisonnier.

_ Non. C’est un copain.

Visiblement ce sujet met 1 mal à l’aise. Depuis le début de la conversation Eve le soupçonne de cacher une forte anxiété sous ses manières bravaches sans être sûre que cette histoire de corps d’emprunt ne modifiait pas tout simplement les expressions. A présent il se tortille et porte sa main à sa bouche, pas pour sucer son pouce comme 6 mais pour se ronger les ongles. Il mord dans l’un d’eux et rabaisse la main vivement – il est sans doute malpoli entre Tech de ronger les ongles de quelqu’un d’autre, même avec ses propres dents. Hindgam est sûre qu’il est dévoré d’angoisse à propos de son mystérieux copain et note précieusement l’information dans un coin de sa tête. Pour le moment ce n’est pas ça l’urgence. Elle s’est levée et le toise de toute sa hauteur.

_ Ecoute, petit débutant, j’ai un boulot à faire et je le fait pour vous, alors soit tu m’aides et tu expliques à Steven – qui doit être par là dans un coin de cette tête j’imagine – ce que j’ai besoin qu’il fasse, soit je laisse les fauves vous mettre en pièce. D’ailleurs, viens par là.

Elle attrape la main de 6 et le tire derrière elle. Ils arrivent derrière le mur de l’amphithéâtre où aura lieu la conférence de presse. Une fente a été pratiquée (dans la plus pure tradition moyenâgeuse mais Hindgam sait qu’en ces temps de technologie de pointe beaucoup de monde refuse de croire autre chose que ses propres yeux) pour permettre d’espionner la salle. Sans se demander si c’est 1 ou 6 qu’elle prend dans ses bras, elle attrape l’enfant et le hisse jusqu’à ce qu’il voit par la fente. Elle sait très bien le spectacle qui l’y attend. Deux cent quatre vingt-trois journalistes venus de tous les pays du monde et pour la plupart accompagnés de leurs traducteurs bien qu’ils parlent parfaitement anglais, suffisamment de caméras et de micros pour retracer la moindre de leurs respirations millième de seconde par millième de seconde, le tout dans une salle de conférence grandiose, c’est un spectacle plutôt impressionnant. Elle n’est pas étonnée d’entendre la respiration de l’enfant (qui que ce soit à l’intérieur) émettre un hoquet sous l’effet de la surprise. Elle le fait redescendre et se masse les bras. Il est plus lourd qu’elle ne l’aurait cru, ou alors il est temps qu’elle se remette à faire du sport.

_ C’est différent de ce qu’on voit par le Réseau, pas vrai ?

Elle ne sait pas si elle s’adresse à 1 ou à 6 jusqu’à ce qu’il relève la tête vers elle et qu’elle voit qu’il se mord la lèvre, indécis. Ce n’est pas le genre de choses que fait 6, c’est donc toujours 1 qui est aux commandes. Elle décide d’adapter ses explications à son âge à lui :

_ Si je vous lâche là-dedans avec pour seules armes vos bonnes intentions, vous allez vous faire dévorer tout cru. Ces gens ne sont pas des psys, ce sont des journalistes et des féroces, ils ne sont pas là pour écouter, ils sont là pour poser des questions et ce seront les pires des questions, ils vont vous traquer jusqu’à ce que vous ne sachiez plus quoi dire, jusqu’à ce que vous ne sachiez plus ce qu’il y a dans vos propres têtes. Ils savent très bien faire ça. Tous ceux qui passent devant eux sont aidés à l’arrière par notre équipe qui leur dicte les bonnes réponses et de toutes façons ils ont de l’expérience de ce genre d’arène. Pas vous. Votre meilleur moyen d’expliquer que vous êtes des humains, de simples enfants un peu plus télépathes que la moyenne, c’est de le montrer. Et pour le montrer, il faut que Steven se montre inoffensif et mignon. C’est tout. C’est simple. Dis-le lui, d’accord ?

L’enfant soupire et regarde tristement Eve.

_ Il sait très bien le faire tout seul. Je vais le laisser s’occuper de ça. Simplement, n’oubliez pas que même si vous lui dites ce qu’il doit faire, je suis toujours avec lui, et si ce n’es pas moi c’est 2, enfin, Betsie, et qu’on ne vous laissera pas lui raconter de mensonges. Compris ?

_ Reçu cinq sur cinq.

_ Alors il faut que je sois mignon, c’est ça ? Comme quand je veux qu’on me donne des bonbons et que c’est pas l’heure ?

6 a

repris les commandes de son corps, paisible, vérifiant le plan comme s’il demandait plus de détails sur la meilleure façon de se brosser les dents. 6, quoi. Hindgam ne connaît pas grand-chose aux enfants et elle est la première à dire qu’elle serait incapable de les différencier les uns des autres sans leurs cartes d’identités. Mais lui, elle commence à le connaître. Et à l’apprécier.

_ Parfait, bonhomme. Maintenant, tu es prêt à entrer en scène ?

_ Oui.

_ Tu n’auras pas peur ?

_ C’est vous qui allez parler, non ?

_ Non, mais c’est moi qui leur ai expliqué ce qu’ils devaient dire.

_ Alors j’ai pas peur.

Eve lui sourit.

_ Dans ce cas tout va bien se passer. Je te le promets. »

3, 4 et 5

Ils ont fuit loin du Réseau et du cri révolté de 5. Pour le moment, la petite fille a la migraine : elle a besoin de calme. 3 et 4 n’ont pas hésité cette fois à voler une voiture tech – leur petite sœur pèse son poids, et sa douleur les rend beaucoup moins sensibles à l’éventuel douleur de quelqu’un qui souffrirait de ce vol. De toutes façons, une voiture tech, ce n’est pas l’idéal, le Réseau est encore trop présent, l’esprit de 5 risque encore trop de s’étioler au fur et à mesure qu’elle le répare. Ce que les Techs appellent leur esprit, qui contient toutes leurs pensées et leurs sentiments, leur identité, leur conscience, c’est ce qu’ils considèrent comme leur vrai moi. Mais la place de ce vrai moi est dans le cerveau qui l’a créé. Lorsque l’esprit part sur le Réseau, ce n’est qu’une représentation, une ombre électrique issue de leur corps, qui peut être détruite. Le cerveau Tech en reconstruit alors une autre à l’identique, puisque lui n’a pas souffert. La migraine tech est malgré tout l’équivalent d’une mort cérébrale, l’extinction de toute conscience, et le processus de reconstruction est atrocement lent et douloureux. 4 emploie le peu d’énergie qu’il lui reste à protéger l’esprit renaissant de sa sœur tandis que 3 conduit le véhicule. Mais eux aussi doivent faire très attention s’ils ne veulent pas avoir une migraine à leur tour. Ils ont déjà donné presque toute leur énergie à 5.

« Où est-ce qu’on va ? demande 4 d’une voix pitoyable.

Ça fait un moment que 3 y réfléchit. Après le coup d’éclat de sa petite sœur, le retour au 10 Johnson Street lui parait plutôt compromis. Elle a entendu parler d’un endroit où les matériaux Techs sont excessivement rares car ses habitants sont tous très pauvres. Ça devrait faire l’affaire le temps que 5 aille mieux – ensuite ils aviseront.

_ On va se cacher dans le Ghetto.

_ Hein ? Mais il parait que c’est super dangereux là-bas !

_ Il n’y a pas d’accès au Réseau, 5 sera vite guérie et on partira tout de suite. »

De toutes façons ils n’ont pas le choix. Le Ghetto de Los Angeles n’est pas loin et son accès nécessite un laissez-passer si basique que même 3 arrive à le créer de toutes pièces. Arrivés devant l’immense mur bétonné, elle dirige la voiture vers l’une des immenses portes de métal blindé. Personne ne regarde ce qu’il y a dans la voiture. La porte s’ouvre, ils entrent dans un tunnel, la porte se referme derrière eux, après quoi une autre porte devant eux s’ouvre. 3 et 4 abandonnent le véhicule et sortent en portant 5 de leur mieux.

Devant eux, le paysage ressemble à celui d’une cité en ruine.

2

Au total il y a douze personnes responsables à différents niveaux du cas de Sam T. Larch, dit Sanx, seul otage permettant de faire sortir les Techs restant de leurs cachettes, seul témoin susceptible de connaître un indice menant jusqu’à eux. Douze personnes qui s’efforcent de convaincre celle qu’ils prennent pour l’envoyée présidentielle que leur unité sera la plus efficace pour gérer cette situation délicate. Peine perdue pour les uns et pour les autres, la jeune femme passe son temps les yeux dans le vague, apparemment perdue dans ses pensées…

C’est que

2 a

beaucoup à faire pour se débarrasser de ses hôtes et partir à la recherche de Sanx elle-même, chacun devant la croire avec quelqu’un d’autre. Au fond, ce n’est qu’un exercice de logique utilisant le temps et l’espace comme elle en a déjà fait des milliers. La partie complexe, c’est ce que ses professeurs appelaient ‘le facteur humain’ et qu’elle commence à rebaptiser ‘l’envie de tout faire mieux que tout le monde même si c’est une bourde monumentale’, ou plus simplement ‘l’ambition irréfléchie’. Ils veulent tous l’avoir de leur coté et elle a vraiment du mal à trouver des prétextes pour qu’ils la lâchent enfin.

Elle se glisse dans l’immeuble, fantôme invisible pour les caméras, membre du personnel pour les ordinateurs vérificateurs d’identité, jeune femme vaquant à ses occupations pour les quelques humains qu’elle croise sans oser les regarder dans les yeux. Comme des abeilles supposant que l’insecte intrus est une abeille puisqu’il est dans leur ruche, ils l’ignorent tous, plus occupés aux luttes de pouvoir mesquines et stériles qui animent leur journées. Le lieu, en effet, ne possède que quelques rares cellules d’interrogatoire, l’essentiel de l’immeuble est composé de bureaux partagés par les militaires et le B.A.G.N. Celui ou celle qui avait eu l’idée de réunir ces deux factions rivales sous le même toit partait peut-être d’un bon sentiment, voulant apaiser une bonne fois pour toutes les tensions et forcer à la collaboration les deux agences. Peut-être. Il est sûr en tous cas que chaque camp avait sauté sur l’occasion pour espionner l’autre. Les dossiers les plus confidentiels étaient alors partis ailleurs et les agents restant sur place n’avaient plus rien eu d’autre à faire qu’à se regarder dans le blanc des yeux et manœuvrer dans leurs propres rangs pour avoir enfin un travail digne de ce nom – c'est-à-dire un travail offrant des perspectives de promotion.

Elle arrive au premier sous-sol. C’est là que les ennuis devraient commencer. Effectivement, ils ne tardent pas.

« Navré, mademoiselle, mais vous ne pouvez pas entrer sans être accompagnée par les agents Bats et Wilson , explique un gardien vêtu d’un costume impeccable.

_ Et par le colonel Wyatt et le colonel Goësberg, ajoute un deuxième gardien vêtu d’un uniforme tout aussi impeccable.

_ Je préfère y aller seule, répond négligemment 2. C’est pour une évasion. »

Les deux hommes, dans un ensemble qui ferait honneur à la coopération entre l’armée et le B.A.G.N., l’arrêtent d’une main sur chaque épaule tandis qu’une femme derrière eux prend son téléphone pour demander des instructions. En vain, bien sûr, puisque

2 a

brouillé toutes les transmissions à cet étage. La tentation la démange en regardant juste sous son nez la cravate tech du premier gardien. Qui était sans doute très fier de pouvoir se la payer. La jeune fille n’aurait qu’à le vouloir pour l’étrangler. Elle se retient et se concentre sur les pistolets techs soigneusement accrochés aux holster des trois gardiens… il faut qu’elle les prenne tous les trois en même temps, ce n’est pas de la haute voltige mais c’est tout de même assez délicat… Voilà.

Les deux hommes et la femme ne réalisent même pas qu’ils sont en train de se faire dépouiller quand ils sentent leurs armes prendre la clé des champs de leur propre volonté. Ils mettent une pleine seconde à réagir et à tenter de les rattraper, et c’est trop tard, bien trop tard, ils se font braquer par deux flingues tandis que le troisième reste collé au bras de

la Tech

, comme magnétisé par sa peau. Elle n’a pas envie de le laisser traîner par terre. D’une voix étrangement calme et polie, 2 leur ordonne de se mettre les mains sur la tête et de s’allonger à plat ventre. Une pensée monte en elle Ça y est j’ai le pouvoir je les tiens tous et j’aime ça, une pensée qu’elle qualifie immédiatement de pensée horrible et chasse rapidement. Elle a des choses plus importantes à faire.

Elle attache les trois gardiens pour être sûre qu’ils ne la suivent pas et continue sa route ; elle sait où elle va. Très irrégulier, tout ça, elle n’a pas finit d’en entendre parler, et encore, il faudrait que le président accepte d’étouffer l’affaire, sinon c’est l’acceptation de tous les Techs qui sera compromise. Elle est surprise de s’apercevoir que ces idées qu’elle avait longuement et sombrement ruminées dans l’avion ne lui font plus peur. L’humanité les a déjà rejetés. S’ils ne reviennent pas sur leur décision, ce sera tant pis pour eux. Elle est là pour son frère, pour calmer son désespoir, pour lui prouver qu’il peut avoir une pleine confiance en elle et être sûre qu’il ne lui cachera plus jamais rien. L’une après l’autre, les portes s’ouvrent devant elle. Le système de sécurité est essentiellement tech mais des responsables ont ajouté à la hâte des verrous mécaniques et des gardiens humains. Les verrous mécaniques, 2 les fait sauter grâce à ses armes techs. Les gardiens humains, elle les neutralise aussi facilement que les premiers qu’elle a rencontré. De toutes façons, ils ne sont pas très nombreux, le piège anti-Techs étant dressé à l’entrée du bâtiment, une entrée qu’en tant qu’envoyée gouvernementale elle a franchit sans encombres. La sortie risque d’être plus délicate, mais vraiment rien d’impossible.

La porte de la cellule de Sanx n’a même pas été fermée – c’est un blindage tech – on s’est contenté d’installer devant une série de lasers servant habituellement à protéger les coffres-forts. A coté de l’appareil un générateur d’électricité ronronne. 2 se demande ce qui a bien pu passer par la tête de ceux qui ont conçu ce stratagème, s’il s’agit d’un piège ou si les agents ont royalement sous-estimé les Techs. A moins que ce ne soit l’œuvre d’un crétin. La jeune fille détruit le générateur d’un seul tir de son arme et comme prévu les fins lasers s’arrêtent. Elle tend précautionneusement son revolver dans l’ouverture, vérifie toute la hauteur de la porte, mais non, tout va bien, elle peut passer.

A l’intérieur, Sanx a entendu le cri d’agonie du générateur et s’est retourné vers la porte pour voir un flingue entrer, suivit d’une adolescente. Voilà qui ne rentre dans aucun des plans qu’il avait élaborés, mais Sanx est un garçon très adaptable. Il se lève et salue élégamment la jeune fille :

« Ma chère, soyez la bienvenue dans ma modeste demeure. Que puis-je pour vous ?

_ Heu…

2 laisse ses deux bras pendre, le canon de ses armes pointées vers le bas, et ça rassure Sanx : au moins elle n’est pas venue le tuer.

_ Est-ce que, vérifie-t-elle, tu es bien Sanx ?

_ Oui.

_ Ah. Parfait. Viens.

_ On s’évade ? Comme ça ?

_ Oui.

_ Pardonne mon étonnement. Je suis novice en matière d’évasion. »

Les mains dans les poches, un léger sourire aux lèvres, Sanx suit sa sauveuse sans se poser davantage de questions. L’idée de son visage effacé le torture beaucoup moins devant une femme. Pour sa part, la jeune fille a du mal à s’habituer à ses réactions décalées et à ses manières désinvoltes. Comme s’il était en train de jouer. Elle se demande quelques instants s’il n’est pas tout simplement fou. Il ne manquerait plus que ça, que 1 soit tombé amoureux d’un cinglé… Elle oublie de compter parmi les comportements anormaux de Sanx le fait qu’il suive aveuglément une parfaite inconnue qui a passé à sa ceinture et dans les poches de sa veste tous les revolvers qu’elle a confisqué aux différents gardiens et qui s’arrête de temps en temps, touche le fil de Réseau du mur, reste parfaitement immobile et change de direction. Sanx lui aussi considère les risques qu’elle soit folle comme plutôt importants, mais lui n’en a rien à faire. En matière de cruauté liberticide, il estime qu’il n’y a personne de plus dangereux que les gens normaux. Il est donc beaucoup plus à l’aise avec ceux qui ne le sont pas.

L’alerte a été donnée et

2 a

décidé de sortir par le garage de l’immeuble, qui présente le double avantage d’être au sous-sol et d’être rempli de voitures techs blindées. Elle entraîne à sa suite l’adolescent. Ils arrivent devant un énorme sas de sécurité. La jeune fille le regarde quelques secondes pendant que son esprit le pirate et l’ouvre. Lorsque la porte ronde s’écarte d’eux, Sanx lui dit sur le ton de la conversation :

_ Tu aurais beaucoup plus impressionnante si tu avais utilisée une formule magique.

Malgré elle 2 éclate de rire.

_ C’est exactement le genre d’idées que 4 aurait adoré !

_ 4 ? Il est comme Will ?

_ C’est notre petit frère. Moi, c’est 2. On m’appelle Betsie.

_ Enchanté.

Le bruit de leurs pas se mêle à leurs voix pour résonner dans le sas métallique. Ils chuchotent tous les deux et ça donne à 2 l’impression d’une complicité, l’impression que sans rien savoir ce type a tout compris, que lui au moins ne va pas prétendre qu’ils sont autre choses qu’humains. Elle commence à comprendre pourquoi il a plu à 7 – elle préfère ne pas se demander pourquoi il a plu à 1.

_ Tu viens me sauver dans un but particulier ? Ou c’est juste la générosité Tech qui s’exprime ?

_ La générosité Tech ?

_ Ne pas tuer ses ennemis, par exemple. Il ne m’a pas semblé que c’était juste pour mes beaux yeux que Will a épargné mon père – mais bien sûr je peux me tromper.

_ Non, c’est bien pour… Enfin, on essaye de faire le bien, quoi. D’arranger les choses. Pour tout le monde. On est là pour ça.

Ils sont tous les deux devant l’autre bout du sas et il ne vient même pas à l’esprit de 2 de l’ouvrir. Elle a besoin que Sanx comprenne. Sanx est surtout touché de voir qu’elle utilise les mêmes mots que la petite 7, que malgré tout ce qu’elle a vu la jeune fille croit encore à sa mission. Il la regarde et lui dit :

_ Vous avez tous beaucoup de courage.

Ces mots frappent 2 au ventre. Plus tard, s’oblige-t-elle à penser, tu réfléchiras à ça plus tard, tu pleureras sur ton sort plus tard…Elle se concentre et ouvre la porte. Jamais elle n’aurait cru qu’une simple reconnaissance, une simple compassion venant d’un humain pourrait la toucher autant. Et réveiller la douleur de tous ceux qui aurait dû avoir exactement la même reconnaissance et la même compassion et qui ne l’ont pas eut. Même les professeurs. Ils disaient aux Techs qu’ils étaient nés avec une mission. Ils n’ont jamais dit que les Techs avaient beaucoup de courage de l’accepter.

Derrière la porte, plusieurs dizaines de soldats et d’agents du B.A.G.N., chacun braquant une arme vers eux. Une arme tech. L’un d’entre d’eux crie dans un porte-voix :

« Jetez vos armes et mettez vos mains sur votre tête ou nous tirons ! Dernier avertissement ! »

2 regarde Sanx et lui sourit. Le jeune homme lui sourit aussi, confiant même s’il ignore l’étendu ou la limite des pouvoirs Techs. Et, en même temps qu’elle envoie toutes les armes techs se coller au plafond tech, elle fait un grand geste de la main et dit « Abracadabra ! », la première formule magique qui lui soit venue à l’esprit. Elle et Sanx éclatent de rire, elle en voyant les visages abasourdis et terrifiés des humains venus l’arrêter, Sanx en appréciant l’humour du geste, et tout en riant les deux adolescents montent à bord d’une voiture et s’enfuient sans le moindre mal.

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Commentaires
E
Oh génial! ma dose!<br /> J'adore toujours autant...<br /> <br /> J'ai honte, je n'ai toujours pas commencé les relectures. Si tu pouvais attendre jusqu'aux vacances de Noël, ce serait parfait.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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