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Ecriveuse en herbe
23 septembre 2007

Le Chien vide ***

Le Chien vide

Ainsi meurent les rêves. Parce oui, un rêve, ça meurt. Puisque ça vit. Il naît en nous, on l'aime, on le soigne, il grandit et grandis, et un jour, bang ! il meurt. A pus rêve.

Et quand un de nos rêves meurt comme ça, qu'est-ce qu'on peut faire ? On ne peut rien faire pour lui. On tente de guérir. Parce que ça fait mal un rêve qui meurt, forcément, ça arrache un paquet de tripes avec, on est amputé de quelque chose qu'on aime, c'est pas franchement agréable. Voir abominable. Atroce.

Je me soigne avec de l'alcool – une méthode reconnue par le corps médical lui-même, parfaitement ! Quand on saigne, il faut désinfecter. Et l'alcool ça désinfecte. Et l'avantage du wisky, c'est que ça désinfecte jusqu'au fond de l'âme. Si jamais je retrouve mon âme quelque part dans ma carcasse usée. Je ne suis pas sûr qu'elle y soit encore. Elle est sans doute restée avec lui, veiller sur lui puisque moi je ne le peux plus. Mais je désinfecte scrupuleusement et même plutôt deux fois qu'une. On ne sait jamais.

Ce n'était même qu'un tout petit rêve. C'est vrai ça, quels rêves peut bien avoir un chien ? C'est comme ça qu'on m'appelle, le Chien, et j'en suis un, un vrai de vrai, un cabot qui marche et qui parle mais un cabot quand même. Vous voulez une preuve, madame la charmante bouteille ? Vous me plaisez beaucoup et j'ai envie de vous parler. Ça vous tente que je vous raconte ma vie ? Trop aimable.

Je n'étais rien qu'un chien sans collier qui charpardait ce qu'il pouvait trouver. Pas d'amour, pas de respect, pas même quelqu'un qui se soucierai de mon existence. Il n'y a rien de pire pour un chien que de ne pas avoir de collier. De ne pas avoir de maître. Il y a des gens, au fond d'eux-même ce sont des loups, des chats, des oiseaux, des requins, des gens qui savent se débrouiller seuls et qui refusent qu'on pense pour eux. Moi j'avais besoin de quelqu'un.

On dit un maître comme si c'était forcément de l'esclavage d'obéir à quelqu'un, mais c'est bien plus compliqué que ça. Ou plus simple. C'est un pacte, un pacte si ancien et si évident que plus personne ne le dit à voix haute aujourd'hui. Il y a en a un qui obéit. Et l'autre qui le protège. Pas qui le protège au sens de combat – un chien peut se battre pour son maître, pas de problème – mais qui le protège de la vie. Qui le nourrit, le soigne, lui donne un but, lui donne une fonction. Le protège du vide, le sort du néant. Le maître donne une existence à son chien. Les chiens sans collier ne peuvent pas redevenir des loups. Les chiens vides sont les créatures les plus malheureuses du monde. Ils n'ont rien.

Moi ça se voyait que j'étais un chien. J'étais né pour être chien, un chien aux pieds d'un maitre, j'avais besoin d'un guide qui me donne une raison d'être sur cette terre. Je l'appelais patron et lui m'appelait Evan ou P'tit gars, il ne m'a jamais appelé le Chien, ce sont les autres qui m'ont surnommé comme ça. Mais il savait très bien que je l'aimais. Pas le genre ''embrasse-moi on vivra ensemble pour toujours'', non, vraiment rien à voir avec ça, mais c'était de l'amour quand même. La loyauté du chien vers son maitre. Je le dis comme ça parce qu'il n'y a pas une vrai manière de le dire. Ce qui prouve que notre langue est vraiment mal foutue. Je me battait pour lui, je tuais pour lui, et il me donnait de l'argent. Et surtout il me donnait de la fierté. Il était satisfait de moi. J'avais bien travaillé. Pas de la reconnaissance – qu'est-ce que j'en aurai fait ? Il me donnait ce qui me manquait. Une fonction. Une existence. Rien à voir un simple travail.

Quand ça a commencé à sentir mauvais j'ai porté le chapeau pour toute la bande et je suis allé en prison. Il s'est débrouillé pour que j'en sorte. Ça fait parti du pacte : j'obéis et il me protège. Un pacte simple et efficace. Celui par lequel les humains ont convaincu les loups de devenir des chiens. J'ai été un bon chien et il a été un bon maître. Il s'est tenu tranquille quelque temps. Je l'ai suivi dans les affaires légales comme je l'avais suivi dans les affaires illagales, je savais que quand il aurait besoin de quelqu'un il dirait ''Evan !'' et que je serais là. Et ça n'a pas traîné. Normal. La légalité c'est vraiment pas son truc. On a recommencé. Il y avait d'autres membres de la bande, ça allait, ça venait, aucune importance, moi j'étais toujours là. Fidèle au poste ! Le Chien quoi.

Et maintenant... non mais regardez-moi. Toi, bouteille, regarde-moi. Et vous tous, VOUS TOUS ! REGARDEZ-MOI ! Le Chien sans maître, me voilà, regardez ! Vous ne voyez rien ? Vous ne voyez pas le problème ? C'est parce qu'il est à l'intérieur, le problème, je suis vide, je n'ai plus rien, je ne suis rien, rien qu'un gouffre de néant, un gouffre solide et tranchant – oui le néant ça peut être solide, parfaitement ! Moi je vous le dis, solide et tranchant mais ce n'est que du vide. Du vide ! Du rien ! Un Chien sans maître ça n'est rien !

C'est si simple un rêve de chien. Si facile à réaliser. Je voulais rester près de mon maître. C'est tout. Où est le problème ? Où est le mal ? Je l'aimais et il m'a chassé. Trop vieux qu'il a dit. Je l'ai servit toute ma vie. C'est normal que maintenant je sois vieux. Il faut prendre soin des vieux chiens. Ils sont toujours aussi loyaux. Aussi fidèles.

Fidèle, oui. J'ai besoin d'un maître et je n'en veux pas d'autre. Alors je vais y aller. Je te remercie bien, charmante bouteille, pour la plénitude que tu m'as offert. C'était parfait. Maintenant je vais aller gratter à la porte de l'homme qui m'a chassé et je vais lui montrer ce que c'est la loyauté. Jusqu'à la mort je le servirai et s'il ne veut plus de moi, alors la mort ça sera tout de suite, ce soir, ce matin – car nous sommes le matin, petite bouteille et moi avons parlé longtemps – et le Chien finira son histoire sans faillir, comme un bon chien. Car je n'ai plus rien d'autre que ma fierté d'être un bon chien. Alors bonne nuit bouteille et fais de beaux rêves. Adieu.

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Commentaires
L
Ecrit en septembre 2007 pour Deslyres. Contrainte : écrire sous le titre "le Chien vide", comme la nouvelle de je-sais-plus-qui (voir le site de Deslyres). Je n'ai pas eu envie de parler d'un vrai chien pour ne pas partir dans des histoires d'empaillage. J'ai failli écrire une nouvelle qui justifierait le titre en ne parlant ni de chien ni de vide, mais c'est un truc que je garde pour le jour où je sècherai vraiment. Le bandit appelé le Chien est tiré du livre "le chien qui vendait des chaussures" à part que j'ai modifié sa personnalité pour qu'il se sente vide. C'est en expliquant que c'était lui le chien de l'histoire que j'ai décidé de continuer sur le coté chien-loyal-qui-aime-son-maitre pour expliquer ce vide.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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