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Ecriveuse en herbe
3 février 2007

La mort et les chevaliers *****

La mort et les chevaliers

J’émerge de mon sommeil péniblement. Mon corps est lourd, si lourd. Je suis peut-être en train de m’enfoncer dans un marécage. Ma poitrine me pèse, elle écrase mes poumons. Ma respiration est en fer. Je ne sais même pas si je meurs. Je suis un homme de sable.

Une main soulève ma tête. J’ouvre les yeux. C’est une jeune femme qui me tient comme ça. Elle me tend quelque chose. Et je réalise que le bourdonnement qui m’assaille, depuis tout à l’heure, ce sont ses mots… Elle veut que je boive.

Ses gestes sont brusques, son discours aussi. Elle se contraint à être patiente avec le vieillard que je suis, mais je peux facilement sentir la tension qui l’a envahie toute entière. Elle vibre d’une énergie et d’une colère contenue. Je n’aime pas l’idée de rester seul avec elle. N’y a-t-il personne d’autre pour s’occuper de moi ?

Je ne me souviens plus de rien.

A nouveau, le brouillard. Quand je me réveille, je me sens encore plus pâteux que tout à l’heure. Ou qu’hier ? La femme m’a-t-elle drogué ? Je tente de bouger un peu. Difficile. Comment retrouver mes forces ?

La femme somnole sur une paillasse, au pied de mon lit. Elle se relève dès que je fais un mouvement, d’un geste souple de félin. Elle se penche sur moi, me demande ce que je désire. Je lui répond : marcher. Elle sourit, et tente de me redresser. D’abord, elle me fait asseoir. Elle est forte, et je sens dans ses paumes des cals. Non, je ne rêve pas : ce ne sont pas des mains de paysanne, mais bien des mains habituées à manier l’épée et l’arc. Une mercenaire ? Je sais que les barbares de l’Est emploient fréquemment des femmes dans le métier des armes. Est-ce là que je suis ?

Rien qu’à être assis la tête me tourne. Ennemie ou pas, je m’accroche au cou de la femme comme si ma vie en dépendait. Mes bras sont si minces, si frêles… Et mes mains ! Elles étaient puissantes, mais il n’en reste plus que des os et des taches de vieillesse. J’étais un seigneur autrefois. Je crois…

Mon passé m’échappe, il s’effiloche comme une brume que je cherche en vain à attraper au filet. La femme prend mes jambes pour poser mes pieds hors du lit. Elles sont en aussi sale état que mes bras… Quel est mon âge, pour être si faible ? Aucune drogue ne peut expliquer ma décrépitude…

La femme me soulève. Je suis debout, mais mon poids ne s’appuie pas sur mes pieds : d’une main autour de ma taille, elle me soutient comme un pantin. Ça me fait mal, j’ai la tête qui tourne. Je n’ai plus du tout envie de marcher, de toutes façons je sais que je n’y arriverai pas. Je demande à la femme de me recoucher. Elle a l’air triste, et inquiète, mais très vite son visage n’exprime plus qu’une colère sourde. Contre moi ? Parce que je n’arrive pas à marcher ?

Pour la dérider, je lui dis : je vous remercie, gente Damoiselle. Elle n’a plus vraiment l’âge d’être une Damoiselle, et n’a pas l’air d’être gentille, mais ça devrait lui faire plaisir. Même pas. Ses yeux s’écarquillent, une grimace tord sa bouche très vite, comme un tic, et elle me rallonge en détournant le regard. Je me fais encore mal en retombant trop vite, c’est réellement la pire infirmière qu’on puisse donner à un vieillard. Je suis épuisé, je me rendors. Elle me secoue. Il faut manger. Je n’en ai pas l’envie, mais je la regarde et j’accepte sans protester. Comment dire non ? Elle a l’air d’un soldat qui vient de prendre une flèche et de l’arracher de sa chair pour continuer à se battre coûte que coûte. Mais contre quoi se bat-elle ? Pas contre moi, pourtant…

Elle me laisse dormir longtemps. Quand je me réveille, je n’ose pas bouger. Au bruit, elle fait le ménage. Tous ses gestes sont brutaux, comme si la poussière était son ennemi personnel et qu’elle doive l’assommer avant de la déblayer.

Ou peut-être qu’elle est en train de chasser les souris ou les rats.

C’est vraiment misérable, ici. Je n’y avais pas fait attention avant. Comment est-ce que j’y suis arrivé ? Je me souviens de palais, de châteaux, de manoirs… pas d’une petite maison en terre puant l’humidité. Ici, il n’y a que du bois pour mobilier, et pas du beau bois sculpté, non, juste des bouts de bois mort liés par ce qu’on a trouvé.

J’entends quelqu’un parler. Un esprit ? Un homme ?

La femme lui répond, mais pas vraiment sur un ton aimable… Plutôt sur le ton qui veut dire : vous n’entrerez pas, à moins que vous ne réussissiez à me passer sur le corps. A moins que ce ne soit ce qu’elle a dit, tout simplement. Je ne sais plus. En tout cas, l’autre n’insiste pas.

La femme me secoue. C’est l’heure du repas. Encore ? Ou elle me gave comme un dindon pour le Jour d’Hiver, ou je perds la notion du temps. Hum, vu comme mon esprit bat la campagne, c’est plutôt la deuxième solution…

Elle me tient, son bras me sert de dossier. De l’autre main, elle me nourrit à la cuillère, comme un bébé. De la bouillie pour bébés, d’ailleurs. Je mange, en lui jetant de temps à autres des regards inquiets. Il n’est plus question de dignité ni de prestige ici, je suis entre ses mains, aussi faible qu’un mourant. Je ne tiendrai pas longtemps si elle décide de m’abandonner, ou simplement me traite mal. Mais qui est-elle ? Ma mémoire est désespérément vide…

Est-ce qu’elle me connaît ? Est-elle de mes proches ? Non, je m’en souviendrais… Quoique. Je ne me souviens pas si j’étais marié, si j’avais des enfants…

J’étais chevalier, je le sais, j’en suis sûr. Mais qui était mon suzerain ? Mon écuyer ? Je ne me souviens même pas du nom de mon cheval !

Je mange. Elle est brusque, ici aussi : la cuillère en bois me cogne souvent les dents ou le menton, et à chaque fois elle se renfrogne un peu plus. On sent qu’elle meurt d’envie de jurer, mais allez savoir pourquoi elle se retient. Ce qui n’améliore pas son humeur.

Je lui demande :

« Est-ce que… je vous connais ?

Elle a l’air surprise, et un sourire plein d’espoir traverse son visage. Elle acquiesce trop fort, et me dis :

_ Oui, messire ! C’est moi, Yena ! J’étais votre écuyère ! Vous m’avez trouvé chez les Rats, à Yella-la-dévoreuse ! Vous vous souvenez ? Yena !

Elle parle trop vite, trop haut, elle me soûle. Je vois bien que c’est très important pour elle, mais… Yena ? Non, ça n’évoque rien en moi. Je connais bien sûr Yella-la-dévoreuse, la tentaculaire ville des Guildes et des marchands, et je sais que les bandes de gosses qui vivent dans ses poubelles sont appelés les Rats. J’ai du mal à croire qu’elle vienne de là. Elle ne parle pas comme un Rat, et elle ne jure pas comme un Rat non plus.

_ J’ai connu un Rat, avant… Un gamin qui disait des mots plus gros que lui. 20 kilos tout mouillé. Ça l’empêchait pas de se battre, pour sûr. Intenable, qu’il était.

Je ne sais plus d’où je sors ce souvenir, mais je suis sûr que la femme n’est pas un Rat. Pourtant, elle insiste :

_ C’est ça, messire, c’était moi ! Quand j’étais toute petite, vous m’avez prise comme écuyère. Vous vous souvenez ? Parce que j’étais la fille de votre ami, le chevalier du Mierale, mort héroïquement en vous sauvant la vie ! Vous êtes venu me chercher à Yella, il y a longtemps. On me faisait passer pour un garçon, Yenon. Vous vous souvenez ? »

Je ne comprends rien à ce qu’elle me raconte, alors pour gagner du temps, je dis oui, oui, et je fais mine de me rendormir. Et j’y arrive fort bien.

Je me réveille en sentant des mains m’agripper au niveau du bassin. J’ouvre les yeux, à peine, pour ne pas donner l’alerte. Mais comment vais-je me sortir de ce piège ? Je peux à peine bouger les doigts ! Qu’est-ce qu’elle me fait ?

Elle me lave.

Je sens la honte m’embraser des pieds à la tête. Je ne suis plus un homme. Même plus un nouveau-né. Au moins, on peut mettre de l’espoir dans un nouveau-né. Se dire que ça ne peut que s’arranger. Moi non. Seule la Mort, cette vieille salope, viendra arranger la situation…

Je n’ai pas de blessures. Je ne crois pas être malade. Je suis vieux, et c’est la plus humiliante des fins pour un guerrier.

Si seulement j’en avais la force, je me tuerais tout de suite.

La femme, Yena, n’a pas l’air à la fête non plus. Elle n’a rien du dévouement d’une infirmière ni d’une sœur des Sept-Esprits : elle serre les dents et me nettoie comme si la crasse qui me recouvre sûrement l’avait insultée. Je voudrais que quelqu’un d’autre s’occupe de moi. Je ne crois pas qu’elle veuille mon bien. On lui a dit d’être là, et elle fait son devoir. Qui est-elle ? Elle a dit quelque chose à propos des Rats…

Un Rat m’aurait achevé, lui. Il ne me laisserait pas crever à petit feu, dans la honte et la pourriture. En tout cas, il m’aurait pillé avant de me laisser me débrouiller seul, donc mourir. Ils ne s’en rendent pas compte, mais c’est une forme de pitié.

Est-elle de mes parents ? Ma fille ? Ça expliquerait tout.

Je le lui demande.

Son visage se ferme.

« Non, messire, je ne suis pas votre fille. Je suis votre ancienne écuyère. Yena. »

J’ai envie de lui demander si j’ai des enfants, mais je me retiens. Je ne pourrais pas me fier à ce qu’elle me dirait. Elle tient des propos absurdes. Une femme ne peut pas être écuyer, se serait se moquer des Sept-Esprits et du Royaume entier. Nous, les chevaliers, connaissons l’honneur.

Elle me recouvre soigneusement. Elle est en colère, encore. J’ignore si elle a été un jour écuyère, mais je ne peux nier qu’elle a tout d’une guerrière, à commencer par une puissante énergie. Oui, elle serait plus à sa place à massacrer des gens sur un champ de bataille que dans une masure qui tombe en ruine, à veiller sur un vieil homme qui perd la boule…

Pourquoi n’y a-t-il aucun de mes compagnons à mes côtés ? Sont-ils tous morts ?

Je le lui demande.

Elle explose :

« Parce que vous avez agi selon le Droit, comme le veulent les Sept-Esprits, et pas selon les ordres du Roi ! Et que tous ces ingrats vous ont abandonné les uns après les autres. J’ai demandé de l’aide – je sais bien que je n’ai rien d’une sœur des Sept-Esprit ! Moi, je suis chevalier, je me bat pour protéger le Royaume. Je ne sais pas prendre soin d’un malade ! Et eux sont tous partis ! Ils vous avaient tous promis amitié, aide, soutien, et ils sont tous partis ! Ils ne savent même pas si vous êtes mort ou vivant ! Vos parents ne vous reconnaissent plus, votre seigneur vous a renvoyé, vos bâtards profitent de vos largesses passées et vous ont oublié aussi, et même votre dernier écuyer a pris la fuite. Vous…»

A ce moment-là, elle me regarde et se met la main sur la bouche, comme un enfant. Je sens les larmes couler sur mes joues.

Je suis donc seul.

La seule personne au monde à se soucier de moi, je l’ai injurié en pensée. Ce n’est pas de sa faute, si elle n’est pas douce ni souriante. Elle…

« Tu es chevalier ? Comment est-ce possible ?

Elle s’agenouille près de mon lit. Ma voix avait tremblé comme une feuille dans le vent, en posant cette simple question. Je ne veux plus penser à ce qu’elle m’a dit.

_ Vous m’avez fait passer pour un garçon, messire. Et j’ai prononcé mes vœux d’écuyer avec mon véritable nom, devant les Sept Pierres elles-même. Même le roi ne pouvait briser ces vœux. Votre seigneur de l’époque, le prince Etrix, vous a renvoyé. Vous êtes devenu chevalier errant. Et je vous ai suivi, messire. Vous m’avez appris à protéger le faible et l’innocent, à lutter pour la justice des Sept-Esprits, même quand la loi officielle n’était pas de notre côté. Et j’ai appris à me battre à l’épée, à cheval… Tout ce qu’il fallait. Nous avons participé à des batailles. Le prince Aegion m’a pris pour écuyère à son tour. Et il m’a adoubé chevalier à la bataille de Malar, avec l’épée encore couverte de sang que j’avais arrachée au Seigneur des Corbeaux. J’avais 22 ans. C’est tard, mais vous étiez fier de moi quand même. »

Elle soupire et se redresse. Puis se penche et, maladroitement, essuie mes joues.

« Pardonnez-moi, messire. Je n’aurais jamais dû vous parler ainsi. C’est juste qu’on en a vu des dures, vous et moi, pendant toutes ces années de misères, et ça me rend triste de vous voir ainsi. Et que vous m’ayez oublié, bien sûr. Faut pas vous faire de mouron, messire. Vous n’avez pas la reconnaissance des hommes, mais les Sept-Esprits savent que vous êtes un Chevalier, le meilleur et le plus noble de tous. Vous n’êtes pas doué en politique, c’est tout. Et vous êtes un peu trop porté sur les femmes mariées à des seigneurs puissants et pas commodes, c’est sûr. Mais bon, c’est elles qui vous couraient après sans arrêt. Vous vous souvenez ? Dame Dina, dame Mylone, damoiselle Emyla… Vous aviez un sacré succès.

_ Elles aussi… elles m’ont oublié, n’est-ce pas ?

_ Je ne sais pas. Je pense que non. Mais elles n’ont pas le pouvoir de venir librement.

Des femmes m’aimaient… Oui, cela je veux bien le croire.

_ Mieux vaux qu’elles… ne me voient pas… dans cet état, non ?

Je suis si fatigué que je peux à peine finir mes phrases.

_ Sans doute, messire.

_ Et toi… tu resteras avec moi ?

_ Oui, messire. Jusqu’à ce que quelqu’un de plus compétent vienne me remplacer, ou que la Vieille Salope débarque.

_ La Vieille Salope…

_ La Mort, messire. La Camarde, la Vieille Peau, le tas d’os… on lui avait donné pas mal de surnoms. Elle nous a pris pas mal de compagnons, aussi. C’est mieux que vous ayez oublié.

_ Qui prie pour eux ?

_ Je prie tous les jours, messire. Et je prierai pour vous aussi, quand le moment sera venu. »

Mais que quelqu’un la fasse taire ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas finir de pourrir dans cet endroit pourri, entre les mains d’une folle, abandonné par tous ceux qui devraient… qui devraient…

Au nom de quoi suis-je sûr qu’on doit le respect ? Je ne me souviens de rien. Je crois, je suis sûr, je mérite les égards dus à un chevalier, un guerrier… Pourquoi personne n’est à mes côtés, alors ? La mort d’un guerrier est une affaire d’homme. Je ne veux pas mourir avec pour toute compagnie une femme qui attend que j’y passe pour retourner à ses affaires.

Yena a dû comprendre qu’elle était maladroite en mots comme en gestes. Elle n’a plus rien dit de tout le jour.

Et à nouveau, le brouillard m’avale…

J’émerge à nouveau. Yena est encore là, et je suis content de me rappeler de son nom. Je l’entends qui fait quelque chose avec du métal… Je ne saurais dire quoi, mais ce bruit m’est doux et familier, rassurant.

J’ai envie de m’asseoir. Sans aide. Je suis vieux et malade, mais pas mourant, par la Vieille Salope ! Enfin, je crois…

Je place mes coudes (maigres comme des cures-dents) à hauteur de mes épaules, et je m’appuie dessus. Mon corps est si lourd, j’ai l’impression de soulever une des Sept Pierres. Je sais pourtant que je dois être aussi léger qu’un souffle d’aile de papillon sur un squelette, et j’en convainc mes bras, qui finalement me soulèvent. Ouf. On a une belle vue de là-haut.

Le bruit de tout à l’heure, c’est Yena qui aiguise une épée. Elle est penchée sur son ouvrage, et pour la première fois dont je me souvienne, elle ressemble à une vraie femme : douce, précise, concentrée, d’une infinie patience. Ses cheveux longs sont attachés en tresse de guerrier, et je parviens à voir une cicatrice sur sa nuque… La peste emporte ma mauvaise vue ! Quand j’étais jeune, je distinguais jusqu’aux yeux des aigles qui guettaient leurs proies depuis l’azur. J’en suis sûr !

Epuisé, je me laisse retomber plutôt durement sur ma couche. Aussitôt, Yena est là, à me demander ce que j’ai, ce que je veux. Je suis vieux et je veux redevenir l’homme que j’étais, voilà tout, ma fille. Mais comment pourrait-elle le comprendre ? Moi-même, ai-je une seule fois compris les vieillards qui ne supportaient ni bruit ni lumière, qui se laissaient crever dans leur pourriture ? Elle tente de m’aider – mais elle n’a aucune aide à m’apporter. Me nourrir, veiller à ce que je ne prenne pas froid, ça ne m’aide en rien, ça ne fait que retarder un sort pire encore.

Un homme arrive. Je le vois de ma couche, il reste prudemment sur le seuil. Il parle à Yena :

« Etes-vous prête, à présent, messire ?

_ Non. Je t’ai déjà dit que je resterai tant que messire Godoire aura besoin de moi, alors file chercher de l’aide au lieu de me tourner autour comme un moustique attiré par une peau de jouvencelle !

Yena est encore penchée vers moi, et si j’étais vicieux, je penserai qu’elle est heureuse d’avoir quelqu’un sur qui se défouler de sa mauvaise humeur. Pourtant, rien dans ses mots n’indique sa colère. Son ton est froid et menaçant, sans plus.

L’homme doit se dire qu’il ne court pas grand risque à insister : il entre, timidement, et ôte immédiatement son bandeau de messager de son front. Je croirais avec plaisir que ces marques de respect me sont destinées, mais je vois bien qu’il garde les yeux braqués sur Yena. En fait, il ne me salue pas plus qu’il n’aurait salué un chat.

La femme réagit immédiatement : elle fonce sur l’intrus, l’attrape par le bras qu’elle tord affreusement dans son dos, et le jette dehors avec sa botte au fondement. Le messager gémit :

_ Mais, messire, le Roi vous fait mander ! Vous êtes le septième Chevalier Blanc, vous vous devez de…

Et j’entend Yena lui gronder :

_ Quand on est poli et maître des mots, on dit la septième Cavalière Blanche. Et quand on connaît les lois de l’honneur, on ne demande pas à son chevalier d’abandonner son maître dans le besoin – jamais, au nom des Sept-Esprits !

J’entend des bruits de corps qui se heurtent, la femme doit appuyer sa leçon par quelque démonstration physique. Le messager glapit une justification, elle le fait taire et rentre dans la maison, à peine décoiffée.

Elle voit que je la regarde et me sourit. Un vrai sourire de canaille, le sourire de quelqu’un à qui il vaut mieux ne pas confier son cheval. Elle a joué un sale tour à l’autorité, et ça m’amuse bien, je dois l’avouer. Si j’avais encore la maîtrise de mon corps, je crois qu’elle me plairait bien, cette fille. C’est une mauvaise soigneuse, voilà tout.

Elle s’approche de mon lit. A nouveau, je me sens mal à l’aise. Je crois qu’elle cherche quelque chose à me dire. Je ne sais plus trop ce qu’elle m’a dit, mais je n’avais guère aimé. Heureusement, elle finit par se redresser sans un mot.

Une idée bizarre me trotte dans la tête… L’homme a bien parlé de Chevalier Blanc, non ? Suis-je un Chevalier Blanc ? Ça expliquerait que je ne me souvienne ni de mon nom ni de ma terre. Les sept Chevaliers Blancs sont les meilleurs guerriers du Royaume et ne se consacrent qu’au Royaume, ils doivent abandonner leur nom et leur terre et servir le Roi de leur force et de leurs conseils. Même si certains riches seigneurs refusent de postuler, c’est l’honneur suprême de tout chevalier, et plus d’un troisième fils noble a tout perdu en cherchant à passer l’épreuve…

Moi, l’aurais-je réussi ?

Cette idée m’empli de plaisir. Chevalier Blanc… Oui, aucune vie ne peut être vaine ni absurde, si on a été, au moins pendant une année pleine, un Chevalier Blanc, luttant pour le Royaume, son roi, son peuple et sa terre. Je demande à la femme – je suis si faible qu’elle ne m’entend pas tout de suite :

« Yena… Yena… fille, viens…

Enfin, elle arrive, intriguée.

_ Oui, messire ?

_ Yena, suis-je… un Chevalier Blanc ?

Son visage est absolument immobile tandis qu’elle me répond :

_ Oui, messire, vous l’êtes. Vous avez passé l’épreuve à la troisième année du règne de notre bon Roi Entrix, dont vous aviez été le chevalier attitré durant dix années. Je vais chercher votre manteau. »

Elle repart dans un coin de la masure, et reviens avec une épée, un bouclier blanc, une armure sans blason ni cimier, et un splendide manteau blanc, agrafé sur le devant par la broche du Royaume, en forme de dragon s’élevant vers les cieux… Quelle merveille ! Oui, j’ai été Chevalier Blanc, sans nul doute – comment ai-je pu l’oublier ?

L’épée est quand même petite, et l’armure fort étroite d’épaule… N’étais-je pas un colosse ? Non, ça doit être ma vue qui me joue des tours.

Je tends la main pour les toucher. Elle tremble, elle est si lourde et pourtant si frêle… La fureur me prend contre ma faiblesse. Elle brûle en moi le temps d’un battement de cœur, et s’arrête. Je n’ai même pas la force de m’insurger contre mon sort.

Je caresse le manteau. Je ferme les yeux et m’imprègne de sa douceur. Il est tissé avec la fourrure des yénotes blanches, les plus rares. Ce simple manteau vaut à lui seul la rançon d’un roi barbare. C’est le symbole de la valeur des Chevaliers Blancs pour le Royaume : ils ne possèdent rien, pas même un sou de bronze, et vivent dans le luxe, car la puissance du Royaume s’évalue à la richesse des cadeaux qu’il leur fait. Si pauvre que soit un village, il sera prêt à se priver pour leur offrir un peu d’or ou un met délicat… parce que si pauvre que soit un village, il sera défendu par les Chevaliers Blancs. Tous les chevaliers doivent être prêts à défendre un mendiant face à un seigneur, eux défendent des poignées de hameaux aussi bien contre les envahisseurs barbares que contre les villes aux sombres pouvoirs et les Tours qui servent d’école aux magiciens.

Et moi j’ai été tout cela. J’ai défendu le peuple, le sang du Royaume. Et l’on m’a béni pour cela, et des lèvres reconnaissantes ont baisé l’ourlet de mon manteau…

La femme l’enlève, je m’y accroche par le peu qu’il me reste de volonté. Non, pas lui, c’est la seule trace de mon passé. Elle me le laisse alors et même me couvre avec. Elle me borde presque tendrement, elle qui n’était qu’une boule de nerfs et de mauvaise humeur. Elle sait ce que ce manteau signifie. Elle sait combien de sang se cache sous sa blancheur immaculée – aujourd’hui, elle le sait même mieux que moi.

Je m’endors, et pour la première fois, je respire légèrement. L’odeur des poils de yénote m’enivre et m’apaise. Confiant, je me laisse guider par la fée du sommeil, et je rêve de chevaux et de batailles glorieuses.

C’est un chuchotement malfaisant qui me réveille.

Je ne suis pas un lâche, ni un paysan superstitieux, mais j’ai affronté suffisamment de sorciers pour ne pas avoir honte de faire un geste de protection lorsque j’entends ce genre de choses – mais j’essaye en vain de bouger ma main. Sous le poids de la couverture et du manteau, elle peut à peine remuer le bout des doigts. Encore tout empêtré de sommeil, je veux appeler la jeune femme à mon secours. Mon souffle n’est plus qu’un filet d’air sifflant, il ne suffirait même pas à un couinement de souris.

La voix paraît furieuse. Pourvu que je me sois trompé, que je ne sois pas la cible de cette fureur ! J’entends :

« … et qu’en plus, vous lui laissiez le manteau le plus précieux qui existe sur la terre des Sept-Esprits comme une vulgaire couverture, au milieu de sa vermine ! J’en parlerai au Roi, et je vous pris de croire qu’il saura vous faire passez l’envie de ridiculiser les Parures du Royaume ! De toutes façons il vous renverra dès que vous daignerez vous présenter à son côté ! Ignorer ses ordres pour vivre dans la moisissure d’une hutte digne d’un mendiant, pour un renégat ! Croyez-moi, cavalière Yena, vous serez dans les contes et les chansons que vous aimez tant, non seulement pour avoir été la première femme Chevalier Blanc, mais aussi pour avoir été le premier Chevalier blanc renvoyé sans avoir effectué même une seule mission ! De quel droit osez-vous seulement appeler ce traître messire ? Ce n’est qu’un arnaqueur !...»

Un bruit retentit alors, le bruit que ferait une gifle rapide, efficace et dénuée d’émotion. Je n’entends plus la voix malfaisante. Tant mieux. Je n’ai rien compris à son envieux charabia, mais je sais bien ce qu’il veut : mon manteau. Et bien il ne l’aura pas.

J’entends qu’on entre dans la maison. Une main aux doigts fins comme ceux d’une femme mais pleine de cals d’épée se pose sur mon front. J’entends la voix de Yena murmurer :

« Ça va, messire ? Cet imbécile ne vous a pas réveillé ? »

Dans le doute, je ne dis rien. Ce qui paraît la satisfaire. Elle repart s’activer dans la maison. Bruyamment. Je somnole quelque instants – ne suis-je pas un vieillard ? – et je ne crois pas m’être rendormi quand j’entends à nouveau la voix haineuse. Cette fois-ci, elle est toute timide et humble. C’est ainsi que j’aime les voix haineuses : matées par le fouet du maître. Le juste n’est jamais haineux.

Je regarde. Un messager – à ses couleurs, il doit être messager du Roi – se tient sur le pas de la porte. Il demande quand tout cela sera fini. Moi aussi, j’aimerais bien le savoir. La femme prend une épée dans son fourreau et, posément, la dégaine devant l’autre, dans un doux chuintement de lame. Et j’entends distinctement le bruit que fait le messager en avalant sa salive. Elle dit juste :

« Prie pour que ce soit le plus tard possible. »

Il y a une telle violence dans sa voix… Pas une violence aveugle, une violence maîtrisée, qui n’attend qu’une occasion pour se concentrer un mouvement fulgurant et mortel. J’ai connu quelqu’un ainsi, dans le temps. Quelqu’un qui se servait de sa colère sans jamais se laisser aveugler par elle, comme on monterai un cheval fougueux. Je crois que c’était quelqu’un d’effrayant, mais je n’en ai jamais eu peur… Rah, maudite mémoire !

En tous cas, le messager fuit sans demander son reste. La femme reste seule avec sa colère et son épée. L’épée, elle la rengaine lentement, sans la regarder, avec l’aisance de l’habitude. Puis prend un balai de branchages. A voir de quelle manière elle le manie, je crains qu’elle n’ai pas réussi à rengainer sa colère aussi facilement.

Un nouveau jour se termine, péniblement.

Je mange. Je dors. Je bois. Je dors à nouveau. Une femme est là qui s’occupe de moi. Elle chasse les mauvais esprits. Elle est en colère, mais maintenant je sais que ce n’est pas contre moi. Elle est triste. Elle ne pleure pas, cependant. Je crois que la colère assèche ses larmes avant qu’elles n’atteignent ses yeux.

Une autre femme arrive. Une vieille sorcière. Je me défends, je ne veux pas qu’elle me touche. J’appelle ma mère. Pourquoi n’est-elle pas là ? Je suis tout seul contre ces deux sorcières, la femme qui est triste aide la vieille femme, et elles me regardent de tous les côtés. Vont-elles me guérir ? Je suis très malade, j’ai besoin d’aide ! Je pleure et je gémis, mais ces mégères m’ignorent. Puis elles s’éloignent.

La vieille dit à la jeune que je vais mourir très bientôt, et que rien ne peut me soigner. Qu’est-ce qu’elle en sait, cette vieille peau ? Je veux qu’on me sauve, qu’on me ramène au Palais, il y a un médecin qui saura me sauver ! Que quelqu’un vienne à mon secours !

La femme jeune frappe le mur de terre et ça ébranle toute la maison. Je ne sais pas si elle a mal, et de toutes façons je ne le saurai jamais. Je la connais, je crois. Je me souviens qu’elle ne montre jamais ni douleur ni faiblesse. Mais comment s’appelle-t-elle ? Comment l’ai-je connue ? Serait-ce une de mes parentes ? Elle n’a pas l’air d’être une servante…

Elle reste longtemps assise par terre, seule. Elle serre une épée dans ses bras, comme une enfant serre sa poupée, en se balançant d’avant en arrière. Elle chantonne. Sa voix tremble un peu. Pas beaucoup.

J’aime cet air. Je le connais, je crois. Je lui demande de chanter plus fort. Aussitôt elle se lève et se rassoit près de mon lit. Elle chante. Elle a une belle voix. C’est une marche de guerre, qui parle de sang et d’honneur, de mort et de vengeance, tout ça pour l’herbe verte d’une terre de pucelle, à moins que ce ne soit les yeux de la pucelle qui soient verts comme de l’herbe, je ne sais pas, ça va trop vite. Je ne comprends pas qui attaque qui ni pourquoi, mais ces soldats se battent, leurs amis meurent, leurs ennemis aussi, et je sais ce qu’ils ressentent. Mon cœur le sait, si ma pauvre cervelle l’a oublié. A la fin, la femme me pose plein de questions sur ce que ce chant m’évoque, et je ne peux y répondre. Alors elle ne dit plus rien, et en chante un autre. Elle chante vraiment très bien. Cette fois-ci, il est question d’un cheval qui accompagne son maître à la bataille et poursuit le combat, son maître mort sur le dos.

Elle chante longtemps, et je dors un peu de temps en temps, mais j’aime qu’elle me chante ces ballades. Tout mon corps commence à partir, il ne reste plus de moi qu’un esprit, deux yeux qui marchent mal et une oreille qui guette les dernières petites traces de vie autour d’elle… 

Je ne sens plus mes bras ni mes jambes. J’entends mon souffle, et je ne sens pas ma poitrine s’élever. Je suis devenu étranger à moi-même. Il ne me reste qu’un morceau de rêve, des chants de batailles, des combats glorieux, des héros et des gentes damoiselles…

Et les chants s’arrêtent. La femme me parle. A mi-voix, comme si elle se fichait que je l’écoute. J’entends :

« Messire, je dois vous avouer quelque chose. Je ne l’ai jamais dis à personne, mais j’ai toujours voulu que vous sachiez… Et maintenant, vous ne comprenez plus rien, vous n’êtes même pas capable de vous rappeler qui je suis. J’ignore si c’est de ma faute, si en vous faisant entrer dans une maison je vous aurais permis une fin plus décente. Enfin, plus décente c’est sûr, mais est-ce que ça aurait sauvé votre tête… Allez savoir. En tous cas, c’est maintenant ou jamais que vous devez m’entendre.

« Messire, je vous ai menti. En ce fameux jour où vous êtes venus chercher le fils du chevalier du Mierale, chez nous, à Yella, je vous ai dit que c’était moi. Non, qu’en fait il avait eut une fille, et que c’était moi. J’ai menti.

« Il avait bien eut un fils, un gaillard qui était de mon clan. On avait le même âge. Rénon, il s’appelait. Son histoire, sa mère nous l’avait racontée plus de cent fois, alors j’en savais assez… Quand vous êtes arrivé, j’ai juste sauté sur l’occasion. Voilà. C’était lui ou moi, ou n’importe quel gamin qui aurait eu la chance d’être à ma place. Je veux dire, ma seule justification, c’est que si les rôles avaient été inversés il m’aurait piqué la place tout autant. Tout fils de chevalier qu’il soit.

« Alors voilà. Je ne suis pas de sang noble. Je n’ai aucun droit à cette épée, ni à cette armure, et encore moins à ce manteau – au passage, c’est le mien, je ne sais pas si ça fait une grande différence maintenant… J’ai volé sa vie. A l’heure qu’il est… Par les Esprits, j’ai 27 ans, ça m’étonnerait qu’il ait tenu aussi longtemps… Il est sans doute mort. Egorgé par un clan rival, empoisonné par les ordures qu’on mangeait, vendu comme esclave à un bordel, une mine ou une armée, poignardé par un cocu jaloux, dévoré par des chiens, ou des chats, ou des rats, ou emporté par la peste ou une maladie vénérienne… La seule mort qu’on puisse écarter, c’est mort en couche, et encore : peut-être qu’il a servi de cobayes à des magiciens… Ça arrive, de temps en temps… Enfin ça arrivait quand j’y étais.

« J’ai juré de protéger le faible et l’innocent, et depuis que j’ai fait ce serment, je m’y suis tenue. J’ai protégé le Royaume comme on aurait dû me protéger moi. Et je m’en sors bien. N’empêche que quand la Vieille Salope viendra, elle m’emmènera au jugement et là… Voler une vie, c’est le pire des crimes. J’irai faire la causette aux quatorze mille démons.

« Peut-être qu’ils seront indulgents. A l’époque, je ne savais pas séparer le bien du mal. On arnaquait les gens, parce qu’il fallait bien vivre. Et on était pas très violents, comparés aux autres. Evidemment, quand il y a un agent du guet qui  nous tombait dessus on le tuait, comme l’aurait fait n’importe quel Rat. Sûr, c’était pas de très bon goût de jouer à la balle avec sa tête. Mais c'est arrivé qu'une fois. Et on était des gosses. On trouvait ça marrant. Alors prendre la place d’un autre… Non, je n’ai pas eu un seul scrupule. Evidemment, je n’aurais pas reconnu un scrupule même si il m’avait craché dans l’œil, mais c’est pour dire. Et aujourd’hui, s’il fallait recommencer, si je devais encore choisir entre une vie de misère et une vie de chevalier, je ferais le même choix… Peut-être qu’ils ne seront pas indulgents, finalement. Parce que je regrette, mais je ne ferais rien pour changer les choses. Pas si je dois renoncer à ce que j’ai. L’honneur, je l’ai appris, je ne suis pas née avec. C’est peut-être pour ça… Malgré tout ce que j’accompli, j’ai toujours l’impression d’être une imposteuse.

« Je fais mon devoir même si personne ne me le demande. Je sais que je ne rachèterai jamais mon crime. Ça ne m’empêche pas d’essayer.

« Et maintenant… vous êtes mourant, messire. Et je viens encore vous demander votre aide et votre pardon, comme une pauvre petite fille effrayée. On ne peut pas être parfait.

« J’ai fini mon histoire. Je ne sais même pas si vous l’avez comprise. Peu importe. Que désirez-vous, messire ? Une chanson ? De l’eau ? Pitié, dites-moi… Dites-moi que je peux faire quelque chose. J’en ai plus besoin que vous, je le crains. »

Quel long discours… Oui, petite fille, je t’ai entendue. Je ne sais plus qui tu es, ni pourquoi tu me confie ta peine, mais je t’ai entendue et je t’ai comprise. Nul ne peut réparer le passé. On peut juste l’empêcher de se répéter – on commet alors d’autres erreurs, qu’on baptise des progrès. Les Rats de Yella la dévoreuse sont les créatures les plus misérables du monde, et les plus dangereuses : elles n’ont rien à perdre. Nous, les chevaliers, n’avons pas le droit d’intervenir à Yella…

Et alors ? Qu’est-ce qui nous empêche de faire quand même quelque chose ?

Qui s’est battu pour eux ?

Je sens quelque chose sur ma main. C’est celle de la jeune femme. Une main forte, habituée à l’épée. C’est étrange. Je lui dis :

« Si tu… es triste pour ton passé… lutte pour que personne… d’autre ne le vive. Peu importe… ce que disent les lois… Aucune douleur n’est juste… Et si tu n’es… pas assez forte… demande aux Chevaliers Blancs.

Je me tais, épuisé. Elle me répond d’une voix grave :

_ Merci, messire. »

Rien de plus. Elle me serre la main, pas trop fort pour ne pas me faire mal. Elle pleure, maintenant. Elle ne pleurait pas, avant ? Je ne crois pas. Elle reste agenouillée devant moi longtemps, ma main dans les siennes, pressées sur ses lèvres, et ses larmes coulent sur ma manche.

Le temps passe encore et encore, c’est ce qu’il sait faire de mieux.

Cette fois, c’est la fin.

C’était la fin depuis longtemps déjà. Mais c’était le début de la fin. Maintenant, c’est la fin de la fin.

C’est injuste. On devrait retrouver la mémoire pour ses derniers mots. Je ne mourrai pas seul, et je ne peux même pas dire à cette personne que je l’aime ou que je la déteste – parce que je n’en sais rien.

Je m’arrêtes de lutter. Ça n’a l’air de rien, mais c’est tuant de vivre. Surtout quand soulever une couverture pour respirer vous fait l’effet de lever un cheval à bout de bras. Je pars doucement. De toutes façons, il ne me restait pas grand-chose. Un corps de sable, un souffle de fer. Je serais plus léger sans. Même ma mémoire trouée m’encombre. Je ne veux pas me souvenir que j’ai oublié.

Alors je pars. Pas si facile. J’ai peur.

Elle se penche vers moi, remonte machinalement la couverture – pourquoi est-elle si blanche ?

En voyant mes yeux, elle comprend. Elle me dit juste :

« Messire…

Un temps de silence, puis :

_ Quand vous verrez la Vieille Salope, mettez-lui donc la main au panier de ma part. Et dites-lui de bien vous traiter – j’arrive bientôt. »

Très drôle… Oui, je vais voir la Vieille Salope, yeux dans les yeux. Je ne peux plus parler. Je cligne des yeux une ou deux fois, pour qu’elle comprenne que j’ai bien saisi le message.

Je respire, encore une fois. Bon, pas la peine d’insister. L’autre m’attend. Je l’ai côtoyée toute ma vie. Pourquoi en avoir peur ?

Je pars.

Adieu, fille

.

FIN

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Commentaires
L
Deux nouvelles pour le moment sur les premières aventures de Yena : "Le maître du Chateau" et "la Tour"
L
Ecrit au printemps 2006. J'avais lu une nouvelle fantastique utilisant des chevaliers et les Sept-Royaumes (il faut absolument que je trouve les livres d'ailleurs). J'ai un peu transformé leur mythologie avec les Sept Esprits, et j'ai imaginé comment une femme pourrait être chevalier. J'ai imaginé l'histoire de Yena en commençant par le début (quand elle est adoptée par messire Godoire), et je compte bien raconter ses premiers exploits un jour. Parfaitement.<br /> Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit la mort de Godoire. Tout le texte m'est venu tout seul, j'avais même du mal à avouer que je consacrai tout mon temps à écrire l'histoire d'un mec mourrant, ça fait assez étrange à entendre. <br /> Au final, je suis très fière de cette histoire ! En la relisant trois mois plus tard, j'avais l'impression que c'est quelqu'un d'autre qui l'a écrite. C'est la première fois que ça m'arrive, et ça fait très bizarre !
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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