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Ecriveuse en herbe
3 décembre 2006

Le moulin du soleil **

Le moulin du soleil (exposé de la biologisto-sorcière géographe au nom imprononçable)

Ce genre de moulin se trouve au cœur d’une forêt qui n’a rien de magique. Elle n’est pas pour autant une forêt du style traversable. C’est le genre de forêt qui est beaucoup plus qu’un groupe d’arbre. Le genre qui n’est pas plein de gentils petits animaux des bois. Si on s’aventure trop profondément dans cette forêt, quelle que soit la direction qu’on prend, on va vers le centre, et ce en traversant des buissons épineux, en escaladant des talus traîtres et en se faisant fouetter par les branches des arbres sinistres : elle n’a pas l’option chemin, cette forêt-là. Les voyageurs qu’on croise dans cette forêt sont forcément perdus, à moins qu’ils ne soient égarés et ne se perdent sous peu. Elle ne figure pas sur les cartes, bien qu’elle soit située dans un pays bénéficiant d’un certaine avancée technologique : ce ne sont pas des satellites qui parviendront à voir cette forêt quand elle n’a pas envie d’être vue.

Une fois qu’on a bien marché, qu’on est perdu, trempé, épuisé, affamé et (de préférence) terrorisé, il fait nuit. Si on est entré dans cette forêt tard le soir, on a plus de chance que quand on y est entré tôt le matin, parce que de toutes façons, il fait nuit quand on arrive au centre. Fin de la discussion. On débouche alors dans une clairière. Rare sont ceux qui l’ont remarqué, mais cette clairière n’est pas dépourvue d’arbres pour les raisons habituelles. Tout simplement, les arbres ont peur d’y pousser, et même les rares mauvaises herbes qui osent semer dans cette clairière le font en catimini, l’air de rien.

Au centre de la clairière, brillant de mille feux, se trouve le moulin du soleil. Cette gigantesque plante est dix fois plus grande qu’une maison ordinaire. Ses racines plongent profondément dans le sol. Ses tiges brunes, dures comme de la pierre, s’entrelacent selon un maillage complexe et creux, qu’il est impossible de voir de l’extérieur. Sur un de ses cotés, trois grosses branches tournent comme des hélices, deux gardant toujours le même sens et le même rythme, la troisième tournant de façon totalement aléatoire. Ses feuilles, larges et plates, sont collées les unes aux autres dans un cône de verdure, à la pointe duquel flotte un petit soleil, qui éclaire l’ensemble et le fait vivre.

Il est difficile de dire si le moulin et le soleil sont une seule et même créature, ou si ce sont deux êtres vivant en symbiose, ou si le végétal moulin nourrit le minéral soleil pour mieux l’utiliser. En tout cas, c’est ce soleil portatif qui a permis à la plante de croître, et c’est la plante qui a fabriqué et alimente le soleil. Si le procédé de l’alimentation des plantes par la lumière vous est déjà connu, vous serez sans doute curieux d’apprendre comment un moulin peut faire un soleil.

Pour commencer la visite, inutile de compter sur une porte : malgré son apparence très proche d’une maison, ce moulin est une plante qui n’aime pas qu’on lui triture la sève. Il faut s’en creuser une. De nombreux animaux y parviennent, mais comme aucun ne s’aventure dans la forêt, il est appréciable que vous ayez pensé à vous perdre avec une tronçonneuse, voire à la limite une hache. Laissez tomber le canif et le couteau suisse, c’est un conseil.

Une fois à l’intérieur, on est en général surpris par le fait que la plante soit creuse, et aussi sèche qu’une maison bien tenue. En fait, non. On est en général davantage surpris par le fait qu’il y fait plus noir que dans un four, et les lunettes de soleil que vous aviez sorties tout à l’heure n’arrangent pas les choses. N’empêche qu’on se croirait dans une maison dont on aurait éteint toutes les lumières. A ceci près que si vous avez une lampe torche et qu’elle refuse d’apporter la moindre lumière, ce ne sera pas la faute de la pile neuve : c’est l’effet que produit l’endroit où vous êtes. Vous êtes coincés, de fait, entre le tronc et l’écorce. Mais rassurez-vous : pas pour longtemps.

A tâtons, il n’est pas difficile de sentir qu’on est dans un long couloir, et le fait qu’on ne sente pas le moindre plafond, le fait qu’il soit impossible de repérer l’endroit par lequel on est entré ou surtout le fait qu’il parte en ligne droite alors qu’on se trouve dans un truc circulaire devrait immédiatement mettre la puce à l’oreille de l’explorateur aussi aventureux qu’expérimenté que vous êtes. Et n’allez pas croire qu’il s’agit d’un compliment. Surtout si vous êtes assez bête pour suivre le couloir, parce que nous nous trouvons, comme je viens de vous l’indiquer (et on suit, derrière !) entre le tronc et l’écorce d’une plante ronde. Le fait qu’il parte en ligne droite est un leurre : ceux qui l’empruntent tournent en rond éternellement, ce qui change de la forêt où les voyageurs perdus tournent en spirale. Bref. Passons.

Toujours est-il que vous avez intérêt à avoir gardé votre tronçonneuse à la main, et à ne pas être à court de batterie, parce que maintenant il faut percer l’autre mur. Tout à tâtons, ben oui, je sais, mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Evitez de vous couper quelque chose, et continuons.

Une fois l’autre mur percé, on se glisse entre des milliers de petites tiges fines comme des cheveux. Elles sont très espacées, alors ce n’est pas la peine de les casser. L’ensemble baigne dans une douce lueur teintée de chlorophylle. Penchez-vous vers l’une des tiges, je vois bien que vous en mourrez d’envie. Joli, n’est-ce pas ? De petites bulles de lumière se glissent depuis les racines profondes pour monter, grâce au puissant pompage de la plante, vers une destination qui ne restera pas inconnue longtemps, faites-moi confiance. Chacune de ces bulles naît d’un éclat de roche brillant qui se cache dans le sous-sol, comme ces pierres qui miroitent pour attirer les innocents (et moins innocents) promeneurs dans les pièges des créatures du petit peuple. La poésie voudrait que chacune de ces gouttes de lumière naissent d’un moment magique de la vie, un sourire tendre, une cascade gelée, une étoile qui naît, enfin ce genre de truc. Dans ce cas, la science des phénomènes para-magique est bien obligée, bon gré mal gré, d’admettre que la poésie n’a pas tort. Ces événements se cristallisent souvent en cailloux précieux, que l’on chérit et garde précieusement, jusqu’à ce que le temps passe par là et les ramènent dans la terre et l’oubli. Dans les anciennes villes des peuples oubliés, là où même les ruines sont tombées en poussières, les éclats de lumière continuent à briller dans l’obscurité de la roche, attendant qu’on vienne les chercher. Les moulins de soleil poussent facilement sur ce genre de mine.

Il existe plusieurs méthodes pour accéder à la salle supérieure, mais impossible de dire si cette salle se trouve à coté des tiges, au centre, au-dessus ou en-dessous, et de nombreux scientifiques se bagarrent là-dessus dans le plus pur style des scientifiques[1]. Peut-être que le cœur de la plante est en réalité formé de tout autre chose que ce que nous croyons, mais croyez-en quelqu’un qui y est allé : au cœur de la plante, c’est une véritable usine. Toutes les tiges, qui avaient bien l’air d’être verticales, forment en fait un cône. Une fois au sommet, elles redescendent brusquement en un énorme tuyau composé de milliards de ces petits fils. C’est au bout de ce tuyau que se trouvent les énormes pompes, dont l’énergie permet à la lumière de remonter depuis les ténèbres de la roche. Quand aux racines, personne ne les a vues en entier, mais il n’est pas invraisemblable de penser qu’elles s’étendent en dessous comme un reflet inversé du moulin, ou encore qu’elles servent de clôture entre deux univers magiques se côtoyant sans cesse sans jamais se mélanger, ou encore que ce sont de merveilleux amalgames de cellules permettant, sans la moindre conscience visible à l’œuvre, de transformer des éléments minéraux en vie (mais cette dernière hypothèse est quand même un peu trop farfelue pour être sérieusement prise en compte. Restons logiques).

Où j’en étais, déjà ? Ah, oui, la salle des tiges, dite la salle supérieure pour des raisons scientifiques[2]. Là, des milliers de petites créatures hautes comme le pouce pour les plus grandes (et comme une rognure d’ongle pour les plus petites) s’affairent à faire tourner la baraque. Eh oui, la photosynthèse c’est ravissant, mais pour alimenter un moulin il faut de la main d’œuvre efficace, et pour ça rien de mieux que de créatures de forme humaine mais trop petites pour râler, demandez donc au Père Noël. Ce qui est marrant, c’est qu’ils sont tous vert puceron, et se fondent dans le décor crûment éclairé : au début, on croirait voir des feuilles, ou des bosses sur les plantes, au milieu de machines qui fonctionnent toutes seules. Vert puceron aussi, les machines, histoire de ne pas oublier qu’on est dans une plante. Et même quand on s’est aperçu de l’existence des lutins, le spectacle d’une usine à filer la lumière vaut tout de même son pesant de cacahouètes.

Armés de minuscules pics, ils creusent les tiges pour en extraire les blocs de lumières, qui sont ensuite broyés, puis filés. Tous ensembles, ces câbles de lumière partent dans de gros conduits. Pas compliqué, n’est-ce pas ? Sauf que dans cette usine, comme partout, il y a toujours quelque chose qui ne marche pas, et la moindre panne emmerde tout le monde, bloque les uns pendant que les autres piaillent qu’ils n’ont plus rien à faire, etc… Une fois réparée, la machine ronronne joyeusement, mais tout le monde cherche à combler son retard, ça court dans tous les sens, tout le monde crie et personne n’écoute, bref, ça ressemble à une fourmilière dans laquelle on aurait donné un coup de pied. Et si, par extraordinaire, vous tombez sur un moment de calme et d’efficacité, prenez des notes pour avoir le Nobel de biologie. Ceci dit, vous pouvez donner un coup de pied dans une machine ou une autre, si ça vous amuse. Ce n’est pas de la cruauté quand c’est envers le végétal, il paraît. Vous raconterez ça aux lutins qui essaieront de vous grignoter le tibia.

Zoomez vers les minuscules étincelles qui éclairent les visages graves et verts des lutins. Ca les rend vaguement phosphorescents, on dirait des miniatures de l’incroyables Hulk, l’air constipé en plus. C’est que ça turbine, là-dedans ! Le grouillement de leur millier de petits pieds donne comme une basse à la mélodie de leurs piaillements, rythmée ça et là par les crissements et grincements des machines qui ne marchent plus. L’ensemble peut donner un début de vertige, voire plus qu’un début si vous n’avez jamais mis les pieds dans une grande ville. Dans ce cas, vous allez être content, parce qu’on continue la visite.

Impossible de suivre les conduits de lumière pour qui ne possède pas la puissance de destruction d’un Ouwarrte, parce que c’est solide comme… comme des conduits de lumière, il n’y a rien qui soit comparable. Inutile d’espérer partir, comme les lutins, par les rames de métro qui s’enfoncent dans les HLM du sommet des racines : vous n’avez pas la bonne taille. Et je ne vois pas ce que vous reprochez au métro. Les métros du moulin sont certes très petits, mais aussi très pratiques, et, comme toutes les machines, 100 % végétales. Et oui, comment croyez-vous qu’elles sont réparées, les machines ? Les lutins coupent les engins défectueux, et ils repoussent. C’est un des nombreux miracles de la nature, faut pas s’étonner, sinon on n’en finirait plus. Et on évite aussi de repartir par là où nous sommes arrivés, parce que c’est le meilleur moyen de tourner en rond éternellement (ou jusqu’à ce que mort s’ensuive, ce qui est, concrètement, beaucoup plus court que l’éternité.) Pour les sensibles qui voudraient rentrer à la maison, j’ai le regret de vous annoncer que c’est trop tard. Il faut aller jusqu’au bout, quoi qu’il advienne. Si vous êtes un touriste égaré, je suis désolée pour vous. Si vous êtes un scientifique avide de me voler mon Nobel de biologie, je suis désolée de ne pas l’avoir su avant, ce qui m’aurais permis de vous envoyer dans le puit de fournaise, au centre de l’usine, qui alimente la plante en sève ayant la consistance du magma. Quoi, je n’avais pas prévenu les autres non plus ? Et bien maintenant, c’est fait : le rond, au centre, qui n’est pas dessiné mais qu’on voit parce que personne ne marche dessus, et bien, ne marchez pas dessus. Vous voilà averti.

Mais pourquoi une sève aussi chaude, me demanderez-vous ? Et bien, elle n’a rien à voir avec la sève issue des feuilles, et donc de la photosynthèse, qui nourrit tout à fait normalement la plante (quoique le type qui a inventé ça doit avoir une sacré imagination, il aurait dû déposer le brevet parce que vraiment, tout le monde le copie, c’est révoltant). Elle sert à nourrir les lutins. Tous les déchets de la plante (et parfois aussi un scientifique, à l’occasion) fermentent dans ces grands puits, qui déversent leur lave dans les conduits spécialement prévus à cet effet, où elle refroidi en petites barres, dont se nourrissent les lutins. Métro-boulot-miam-miam-dodo, voilà l’ordinaire de leurs journées, à croire que ces créatures, dont l’intelligence est comprise entre celle de la fourmi et celle de l’huître, sont au sommet de la civilisation moderne. Mais il est naturel que la plante les soigne : après tout, elle en a besoin.

Pour partir, il faut suivre les flèches. Elles ne sont pas difficiles à repérer, avec toute cette lumière : ce sont de modestes traces gravées dans les fibres des machines par les explorateurs précédents, qui s’étaient dit qu’un peu de tourisme dans le coin ne ferait pas de mal à leur porte-feuille. Ceci dit, si vous les croisez, vous n’êtes pas obligé de payer. Vous n’avez qu’à dire que vous êtes un touriste égaré dans une forêt mystérieuse, et que vous n’avez pas de monnaie. Et que c’est tout à fait par hasard que vous portez une tronçonneuse sur vous.

Quoi qu’il en soit, on arrive très vite, en traversant le labyrinthe de l’usine, à une petite salle bas de plafond, ce qui est pratique puisque c’est dans le plafond qu’il y a une trappe assez grande pour un être humain de taille moyenne. Empruntez-la, puis suivez la pente qui s’ouvre devant vous. C’est un gigantesque système de secours qui mène au sommet du moulin. Je sais, on s’y cogne la tête, mais il est gigantesque par rapport aux grgriiffaas qui y vivent, pas par rapport à nous. Eux, ils n’ont rien à voir dans la symbiose du moulin et du soleil, ce ne sont que des parasites qui squattent les espaces creux du tronc, entre l’usine et les feuilles.

Par contre, entre leurs villages de bric et de broc, tout au centre de la plante, autour du conduit de lumière principal, au-dessus de la salle des lutins (vous y êtes ?), se trouve le cœur du moulin, ceux dont la fonction est de faire tourner les ailes dont le mouvement produit la réaction chimique nécessaire pour que la lumière pure, une fois arrivée au sommet, ne se disperse pas en feux d’artifices mais reste concentrée en boule. Ces êtres merveilleux, mythique, sont la clé de voûte de l’édifice délicat qu’est cette anomalie de la réalité que nous explorons depuis tout à l’heure. Ils… hum. Enfin. Bref. Mon honnêteté foncière me pousse tout de même à avouer, malgré toutes mes études sur le sujet et les ricanements des scientifiques au fond de la salle, que personne, moi y compris, ne sait quoi que ce soit à leur sujet. Sont-ils minéraux, végétaux, animaux, pur esprit ou illusion, je donne ma langue au chat.

Tant pis. Vous venez quand même d’entendre l’exposé le plus clair qu’on ait jamais donné sur le sujet, je peux tout de même être satisfaite de moi. Sur ce, si vous voulez davantage de détails, je peux vous envoyer sur place avec des provisions, une tronçonneuse, une caméra à vision infra-rouge et un exemplaire de mon livre Les anomalies végétales les plus marquantes, et qui sait, peut-être qu’on vous reverra un jour. Merci et au revoir.

Fin (de l’exposé) 


[1] C’est à dire à deux en maillot dans la boue.

[2] Faut pas chercher à comprendre.

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Commentaires
L
Ecrit en 2003. Une histoire un peu sans queue ni tête, et la fin est un peu bâclée. Vu que je l'ai fait pour m'amuser, je ne pense pas la retravailler.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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