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Ecriveuse en herbe
2 décembre 2006

Gardien du Trésor ***

Gardien du Trésor

Au cœur des montagnes sombres et glacées du Mautral se tient la plus étrange des constructions. Nul ne sait aujourd’hui qui était son créateur et par quel malveillant cauchemar il était tenu même à l’état de veille, mais chacun sait que ses terrifiants pouvoirs lui étaient donnés par la folie qui le rongeait. Comme un animal sauvage grattant les murs de sa prison, elle tentait de percer la paroi de son crâne et de s’échapper. Le Gralgrimon, le bâtiment le plus dément qu’on puisse imaginer, était son expression pure et simple. Jadis, son créateur l’avait même habité. Et d’après des manuscrits anciens, cela n’avait fait que précipiter son irrévocable chute.

Peu d’hommes ont réussi à revenir du Gralgrimon physiquement indemnes, et un seul en est revenu avec apparemment toute sa raison. Son témoignage se limite à la description extérieure des murs de pierres, car il n’a pas osé pénétrer à l’intérieur (ce qui explique sans doute sa survie). Il en parle comme d’un défi aux lois de la terre, qui obligent les pierres à être plus lourdes que l’eau, et qui obligent les objets à tomber par terre, et qui surtout interdisent formellement aux matériaux, des plus vils aux plus nobles, de bouger comme s’ils étaient animés de vie. De plus, il avoue avoir senti une volonté sourdre des pierres, comme un entêtement d’animal agrippé à sa montagne et fermement décidé à ne laisser rien ni personne l’en dégager. Enlever de serait-ce qu’un caillou du sentier pour le mettre dans sa poche, ce serait se condamner soit-même. Car, perchée sur un étrange piton qui n’est ni l’œuvre de la nature ni celle des hommes, mais plutôt un monstre ou un dieu endormi, la demeure n’est qu’un gigantesque labyrinthe qui sait attirer les visiteurs toujours vers son centre, quelle que soit la direction qu’ils prennent.

Et le bruit… On pourrait croire que ces montagnes désertes sont silencieuses, mais il n’en est rien. Qui sait, peut-être que l’inventeur du Gralgrimon cherchait à faire un gigantesque instrument fonctionnant avec le vent du Mautral ? Mais difficile de s’habituer à ce bruit qui semble vibrer directement dans les os des hardis voyageurs, qui est juste assez fort pour ne pas être ignoré, qui semble régulier jusqu’au moment où une brusque déchirure de la mélodie primaire fait se tendre tous les muscles, qui commençaient à peine à s’habituer ? Nul ne peut dormir à proximité du Gralgrimon, et très souvent la folie s’empare des preux explorateurs avant même qu’ils ne mettent le pied sur le portique, seule entrée du lieu, qui semble s’amuser à ne jamais être au même endroit d’une expédition à l’autre.

Et dans le labyrinthe le vent malicieux souffle et murmure des promesses d’insensé, des êtres étranges jouent à perdre les gens en les effrayant ou en les attirants, des pièces venues des architectures du monde entier luttent contre d’envahissants jardins exotiques, et les micro-climats aiment faire fondre la moitié des objets tandis qu’ils gèlent l’autre. Les humains restent parfois en vie le temps d’arriver en vue du puit, au centre exact du Gralgrimon, qui attire et repousse toutes créatures. Noir et profond, il s’enfonce dans le piton, non jusqu’aux entrailles de la Terre, mais jusqu’au cœur du Mautral, jusqu’à l’immense caverne de la Bête.

Dans ce lieu capable d’engloutir une montagne sans qu’elle ne le remplisse, la Bête veille, inlassablement, depuis l’aube des temps jusqu’à leur crépuscule, sur le plus fabuleux trésor dont l’imagination humaine puisse rêver. Assez grande à elle seule pour utiliser une montagne comme oreiller, elle paraît pourtant un minuscule dragon, perché au sommet de ces richesses. Allongé, le Gardien se contente d’allumer et d’éteindre les lampes qui font des reflets cuivrés sur ses écailles rouge sang. Ses ailes de nuit, noires comme l’âme des mondes, sont étendues pour couvrir le plus de joyaux possibles. Ses griffes plus longues qu’un homme trient et rangent infiniment les pièces de son trésor, même les plus petites et les plus fines, avec la délicatesse d’un amant. Depuis si longtemps qu’il peut à peine se le rappeler, il est le Gardien du Trésor, la Bête, la Créature Monstrueuse et Vorace, le Cruel et Perfide Serpent, la Dernière Frontière, la Limite, le Dévoreur, Celui qui Jamais ne Dort, Celle qui Jamais ne Rêve, le Veilleur, l’Attentif. Il est là pour les aventuriers qui parviendraient à passer l’obstacle du Gralgrimon, le dernier gardien du trésor, celui que personne, ni dieu, ni héros, ni humain, ni monstre, ni homme, ni femme, ne parviendra jamais à passer. Et, ce soir comme tous les instants de tous les jours invisibles de l’éternité, une pensée roule dans sa tête de géant :

« Qu’est-ce que je m’emmerde… »

Fin

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Commentaires
L
Ecrit en 2004, sans raisons particulière, à part que je trouvais ça marrant. Je commençais à découvrir les univers "fantasy" et certains de leurs clichés, j'adore ces mondes-là.
Ecriveuse en herbe
  • Envoi d'histoires, textes, nouvelles, scénario de BD et tentative de roman que j'ai écrit. Plus elles sont bien, plus il y a d'étoiles après le titre. Bonne lecture ! (textes protégés donc demandez avant de les utiliser merci)
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